L anomie dans une saison en enfer - article ; n°27 ; vol.10, pg 3-13
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L'anomie dans une saison en enfer - article ; n°27 ; vol.10, pg 3-13

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Description

Romantisme - Année 1980 - Volume 10 - Numéro 27 - Pages 3-13
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1980
Nombre de lectures 24
Langue Français

Extrait

Marc Eigeldinger
L'anomie dans une saison en enfer
In: Romantisme, 1980, n°27. Déviances. pp. 3-13.
Citer ce document / Cite this document :
Eigeldinger Marc. L'anomie dans une saison en enfer. In: Romantisme, 1980, n°27. Déviances. pp. 3-13.
doi : 10.3406/roman.1980.5317
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1980_num_10_27_5317Marc EIGELDINGER
L'anomie dans Une saison en enfer*
II ne s'agit pas de proposer une lecture nouvelle ou exhaustive
à4 Une saison en enfer, mais de rechercher un principe de cohérence
de l'œuvre à partir du concept sociologique de l'anomie, formulé par
Durkheim dans Le Suicide et développé par Jean Duvignaud (1). Le
propre du phénomène anomique est d'apparaître pendant les périodes
de crise et de mutations, de se produire sous la forme d'une rupture
introduite par le changement des structures politico-sociales et sous la
forme d'une contestation de l'ordre établi et des valeurs traditionnelles.
Il se manifeste au XIXème siècle comme une protestation contre l'e
nvahissement tentaculaire des puissances économiques et industrielles,
comme une révolte qui, à la faveur des transformations, s'insurge contre
les règles et les normes de la civilisation occidentales. Révolte et trans
gression, perceptibles dans le comportement, l'action et le langage sous
le signe de l'éclatement. « Les faits d'anomie constituent un passage
d'une phase à l'autre, d'une structure systématique d'un langage à une
non-structure qui abolit pour un moment toute congruence établie en
ouvrant une béance, une illumination au milieu des discours institués »
(2). Selon les analyses de Jean Duvignaud, l'anomie se définit par la
tension des deux forces complémentaires : l'une, destructrice dans le
présent, la subversion, et l'autre, reconstructrice dans le futur, Vantici-
pation. Par un penchant libertaire la subversion opère la rupture avec les
conventions de la société, la séparation d'avec les mesures et les lois de
l'univers contemporain, tandis que l'anticipation invente la nouveauté
dans la perspective de la vérité utopique, elle contient la matrice du
possible et de l'avenir. L'anomie résulte, à l'intérieur de la métamorp
hose, d'un affrontement entre la tradition qui se perpétue et l'ouver
ture vers un futur hypothétique. Elle est déterminée par le désir en tant
qu'énergie de la révolte et de la recréation, que projection dans l'univers
de l'utopie ou du mythe ; elle s'oppose à la réalité de l'actuel en cons
truisant un imaginaire dont l'accomplissement appartient aux virtualités
de demain. Sociologiquement et littérairement, l'anomie correspond à
* Cet article reprend le texte d'une communication faite au colloque « Nature
et société au XIXème siècle » , organisé par la Société des Études romantiques à
l'Université de Neuchâtel les 10 et 11 avril 1979. D'autres communications faites à
ce colloque seront publiées dans un prochain numéro de Romantisme. Marc Eigeldinger 4
« l'émergence, à partir d'une trame collective, d'un phénomène indivi
duel » (3). Elle est le fait d'individus libertaires et hérétiques, écrivains
ou artistes, révolutionnaires ou créateurs de courants mystiques et ill
uminés, qui rompent avec l'idéologie de leur siècle et lancent un défi à la
société contemporaine (Proudhon, la majeure partie des poètes fran
çais du XIXème siècle, etc.) (4), mais elle peut de surcroît se manifester
sous l'espèce d'un groupe, d'une secte ou d'une communauté unie dans
l'effort de la subversion (la Commune, le surréalisme, etc.). Individuelle
à son origine, l'anomie débouche souvent sur l'œuvre et l'action collec
tives, en s 'agrégeant à un mouvement animé par la volonté de dissidence
et d'insurrection.
Il apparaît de plus en plus à l'évidence que c'est à partir de 1830,
de l'instauration de la Monarchie de Juillet et de l'avènement au pou
voir de la société bourgeoise que le poète éprouve qu'il est un être ano-
mique, marginal, séparé du milieu politique et social dans lequel il est
contraint de vivre. La mutation produit une crise de la civilisation, sus
citée par le développement économique et industriel, de même que par
la naissance du capitalisme moderne, lié à l'accroissement du progrès
technique. Aliéné par le déclenchement de ces puissances conjuguées,
le poète est privé de son statut social, il devient un exilé, un étranger
qui se distance de la société contemporaine et refuse de s'intégrer dans
les catégories qu'elle a établies. C'est alors que les poètes prennent cons
cience d'être « les parias de la société », selon la formule de Vigny, et
que Stello et Chatterton accréditent la thèse de l'incompatibilité de la
condition du poète avec tout gouvernement et de l'impossibilité d'un
compromis quelconque avec une société gouvernée par l'hégémonie de
l'argent. Inadaptés aux exigences du monde moderne, les poètes se r
etranchent dans la séparation et la différence, ils se donnent, à défaut
d'un autre, le statut de la marginalité et « se réenfantent par un décla
ssement » (5), ils sentent désormais la création poétique comme un acte
de protestation contre le souci de l'utilitaire, qui sert de norme à la
classe bourgeoise. Qu'ils soient de la gauche ou de la droite, ils dé
noncent le mensonge de l'ordre social dont ils refusent de se solidariser.
Le poète devient un maudit, non dans la deuxième moitié du XIXème
siècle, mais au lendemain de l'établissement de la Monarchie de Juillet
déjà et sous le Second Empire. « II appartient à la race toujours maudit
e par les puissances de la terre » (6), malédiction ancienne, aggravée et
actualisée par le triomphe de la société capitaliste et industrielle avec la
complicité du progrès scientifique. En face de cette béance, causée par
la métamorphose du monde moderne, le poète n'a qu'une alternative : il
s'affranchit de la durée historique et s'exile en lui-même, dans sa « tour
d'ivoire », ou bien il s'engage dans l'opposition et se rallie au petit con
tingent de ceux que Philothée O'Neddy appelle les « brigands de la
pensée ». L'un et l'autre partis, au-delà de leur attitude divergente, se
rejoignent dans une réprobation violente du mensonge politico-social. 'anornie dans « Une saison en enfer » 5 L
Vigny note dans le Journal d'un poète en 1832 : « L'ordre social est
toujours mauvais. De temps en temps il est seulement supportable. Du
mauvais au supportable, la dispute ne vaut pas une goutte de sang »
(7). Et Philothée O'Neddy dans l'avant-propos à Feu et flamme :
« Comme vous [les ouvriers], je méprise de toute la hauteur de mon
âme Tordre social et surtout l'ordre politique qui en est l'excrément »
(8), Après 1830, les poètes anomiques se succèdent et se multiplient :
Vigny, les petits romantiques, Alphonse Rabbe antérieurement, Aloys
ius Bertrand, Pétrus Borel et O'Neddy, puis Gérard de Nerval, Baudel
aire et Verlaine, Lautréamont et Rimbaud peut-être plus que Mallar
mé (9). Ce sentiment de l'exil du poète, coupé de son siècle et de la
société, se généralise dans la génération romantique au point de deve
nir le fait d'écrivains détachés de toute préoccupation politique. Maur
ice de Guérin inscrit cette réflexion dans son Journal intime en janvier
1835 : « Le poète est chassé d'exil en exil et n'aura jamais de demeure
assurée » (10). Et, en se référant au passé de la Monarchie de Juillet,
Nerval écrit dans Sylvie : « II ne nous restait pour asile que cette tour
d'ivoire des poètes, où nous montions toujours plus haut pour nous
isoler de la foule » (11). Le dandysme baudelairien, associé au gui-
gnon, est aussi une forme de l'anomie et de la rupture avec la société
contemporaine ; mais, chez Baudelaire, la malédiction n'est pas seul
ement sociale, attachée à la condition

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