L artiste, le saint : les tentations de Saint-Antoine - article ; n°55 ; vol.17, pg 79-90
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L'artiste, le saint : les tentations de Saint-Antoine - article ; n°55 ; vol.17, pg 79-90

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Description

Romantisme - Année 1987 - Volume 17 - Numéro 55 - Pages 79-90
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 87
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

MME Gisèle Séginger
L'artiste, le saint : les tentations de Saint-Antoine
In: Romantisme, 1987, n°55. pp. 79-90.
Citer ce document / Cite this document :
Séginger Gisèle. L'artiste, le saint : les tentations de Saint-Antoine. In: Romantisme, 1987, n°55. pp. 79-90.
doi : 10.3406/roman.1987.4863
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1987_num_17_55_4863SÉGINGER Gisèle
L'artiste, le saint :
les tentations de saint Antoine
Flaubert a souvent établi des parallèles entre l'artiste et le saint.
S'agissait-il seulement de rendre représentable, par l'adoption d'une image
culturalisée — l'ascèse mystique, son étrange obstination à écrire qu'il fau
drait alors analyser par delà les images ? Ou était-ce, plus fondamentale
ment, une métaphorisation au cours de laquelle s'opérait un échange réel
de qualités entre le comparé et le comparant, entre l'artiste et le saint ? Si
on lit les textes de Flaubert à la lumière de sa propre théorie sur Г indistinction
de la forme et du fond, on ne peut manquer de supposer que les images ne
sont pas seulement des travestissements formels, mais engagent une relation
plus profonde entre ces modes existentiels.
Ermites et poètes expérimentent des sensations d'ordre extatique (1) et
l'écrivain comme le saint paraît devoir les mériter par un véritable chemine
ment initiatique et la vertu du sacrifice :
« Rien ne s'obtient qu'avec effort ; tout a son sacrifice. La perle est une
maladie de l'huitre et le style, peut-être, l'écoulement d'une douleur plus pro
fonde. N'en est-il pas de la vie de l'artiste, ou plutôt œuvre d'Art à
accomplir, comme d'une grande montagne à escalader ? Dur voyage, et qui
demande une volonté acharnée ! D'abord on aperçoit d'en bas une haute cime.
Dans les cieux, elle est étincelante de pureté, elle est effrayante de hauteur,
et elle vous sollicite cependant à cause de cela même. On part. Mais à chaque
plateau de la route, le sommet grandit, l'horizon se recule, on va par les précipi
ces, les vertiges et les découragements. Il fait froid et l'éternel ouragan des haut
es régions vous enlève en passant jusqu'au dernier lambeau de votre vêtement.
La terre est perdue pour toujours, et le but sans doute ne s'atteindra pas [...].
L'on n'a rien qu'une indomptable envie de monter plus haut, d'en finir, de
mourir [...]. Mourons dans la neige, périssons dans la blanche douleur de notre
désir, au murmure des torrents de l'Esprit, et la figure tournée vers le soleil ! »
(A L. Colet, 16/9/53 ; Corn, II, 431-32).
Cette lettre qui date de l'époque où par ailleurs se précise l'impératif
d'impersonnalité, peut accréditer la thèse d'un mysticisme esthétique (2) que
l'on pourrait rapprocher des expériences religieuses de Sainte Thérèse par
exemple : « Je me sentais mourir du désir de voir Dieu, et je ne savais pas
où il fallait chercher cette Vie excepté dans la mort [...]. C'était une espèce de 80 Gisèle Séginger
mort si délicieuse que mon âme aurait voulu la prolonger toujours. » Cette
mystique du sacrifice va circuler de la correspondance à l'œuvre et, d'un
texte à un autre, s'éclairer de nuances qui rendent cependant problématique
son rapport avec la sainteté. Dans une lettre à L. Colet, Flaubert décrit une
scène de flagellation qui se retrouvera dans La Tentation :
« On s'étonne des mystiques. Mais le secret est là ; leur amour, à la
manière des torrents, n'avait qu'un seul lit, étroit, profond, en pente, et c'est
pour cela qu'il emportait tout.
Si vous voulez à la fois chercher le Bonheur et le Beau, vous n'atteindrez
ni à l'un, ni à l'autre. Car le second n'arrive que par le Sacrifice. L'art, comme
le dieu des Juifs, se repaît d'holocaustes. Allons ! déchire-toi, flagelle-toi,
roule-toi dans la cendre, avilis la matière, crache sur ton corps, arrache ton
cœur ; tu seras seul, tes pieds saigneront. [...] Rien de ce qui fait la joie des
autres ne causera la tienne. — Ce qui est piqûre pour eux sera déchirure pour
toi, et tu rouleras perdu dans l'ouragan avec cette petite lueur à l'horizon.
Mais elle grandira, elle grandira comme un soleil, les rayons d'or t'en
couvriront la figure. Ils passeront en toi. Tu seras éclairé du dedans. »
(21/8/53 ; Corn, II, 402-403).
Ce noyau textuel est disséminé dans différents épisodes des trois ver
sion de La Tentation. Il passe dans le discours des hérésiarques montanistes :
« Persévère, Antoine ! C'est par la pénitence que tu vaincras le Démon. Fais-
toi souffrir, morfitie-toi, macère-toi ! [...]. Démolis donc ta chair, fais-y de
larges ouvertures pour qu'y descende l'air du ciel » {Tentation 1, 398). La
souffrance se mêle à la volupté ; saint Antoine « se fustige avec frénésie » :
« Malgré moi mon bras continue... qui me pousse ? où vais-je ? Quels suppli
ces ! Quels délices ! je n'en peux plus, mon être se fond de plaisir, je meurs ! »
(T. 1, 428). La contiguïté de la souffrance et du plaisir permettra de redéfinir
la sainteté en la détachant de la morale et le rapport entre l'écrivain et le saint
s'en trouvera modifié. La pratique de l'artiste se définira alors progressiv
ement en se distinguant de notions proches ou concurrentes comme celles de
poète ou de génie, dans le travail même des textes qui semblent parfois en
porte à faux les uns par rapport aux autres.
Dans les premières années, le mot poète revient plus souvent sous la
plume de Flaubert que le mot artiste qui n'apparaîtra que peu à peu sans
le remplacer exactement, ni causer sa disparition. Comme le saint reçoit sa
foi d'une source transcendante (« Oh ! merci, mon Dieu, de m'avoir fait une
âme douce comme la vôtre et capable d'aimer ! », Smarh, I, 187), le poète
tient son désir, l'inspiration initiale, de l'intervention du surnaturel : dans
Smarh, un jeune homme veut se consacrer à la poésie après avoir rencontré
une fée au diadème d'or qui répand sur lui fleurs et diamants avant de dispar
aître (I, 215). Mais dès les œuvres de jeunesse, la dépendance de la poésie
à l'égard de la transcendance, loin de la valoriser et d'en faire la voie royale
pour un accès au divin, ne parvient qu'à la vider de toute consistance : le
mot « art » apparaît alors avec une connotation péjorative. C'est le vain
labeur, Partificialité mensongère par rapport à la vérité du monde idéal :
« L'art ! l'art ! quelle belle chose que cette vanité ! [...] L'homme, avec son
génie et son art, n'est qu'un misérable singe de quelque chose de plus élevé. »
(Mémoires d'un fou, I, 243.) L 'artiste, le saint 81
L'au-delà est d'ailleurs souvent appréhendé dans une disjonction
totale qui vampirise à la fois le monde fini et la poésie détachés de toute réfé
rence supérieure. L'art n'est même plus un reflet imparfait comme dans
Mémoires d'un fou, c'est un fantôme maléfique qui ne brille des lumières
du ciel que pour égarer : « Ô l'art, l'art, déception amère, fantôme sans nom
qui brille et qui vous perd » (à E. Chevalier, 26/12/38 ; Corr., I, 34). La cou
pure métaphysique retourne l'absence divine en exigence persécutrice car la
perte des repères idéaux, l'indifférence, laisse l'artiste dans une incertitude
menaçante, un silence qu'il interprète comme une menace certaine. Para
doxalement, il ne peut que tout donner justement parce qu'il n'a rien reçu.
En effet, l'absence de toute relation structurante avec l'Idéal, trop haut placé,
l'ouvre sans limites au vide. Il fait l'expérience de la dépossession et de la
mort sans contrepartie. Les images culturelles qui l'évoquent sont emprunt
ées de façon significative au judaïsme, religion antérieure à la médiation
du Christ («L'Art, comme le dieu des Juifs, se repaît d'holocaustes»).
L'ermite expérimente de la même façon que le poète la coupure métaphysiq
ue, par une perte des limites. Son expérience est d'autant plus intéressante
qu'elle art

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