L essence cruelle du rire : Villiers de l Isle-Adam - article ; n°74 ; vol.21, pg 73-82
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Description

Romantisme - Année 1991 - Volume 21 - Numéro 74 - Pages 73-82
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 45
Langue Français

Extrait

Madame Françoise Sylvos
L'essence cruelle du rire : Villiers de l'Isle-Adam
In: Romantisme, 1991, n°74. pp. 73-82.
Citer ce document / Cite this document :
Sylvos Françoise. L'essence cruelle du rire : Villiers de l'Isle-Adam. In: Romantisme, 1991, n°74. pp. 73-82.
doi : 10.3406/roman.1991.5818
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1991_num_21_74_5818Françoise SYLVOS
L'essence cruelle du rire : Villiers de PIsle-Adam
« L'homme mord avec le rire ». Cette formule de Baudelaire 1 définit parfa
itement la conception du rire qui se dégage des Contes cruels 2 et de la
Correspondance de Villiers de llsle- Adam . Tout en déployant les modalités les
plus variées d'un comique agressif et critique à l'égard des valeurs bourgeoises,
Villiers s'efforce de mettre te lecteur mal à l'aise : l'aspect macabre et tendacieux
des jeux de mots, l'ambiguïté du discours ironique contribuent à la cruauté éma
nant de ses contes.
Les procédés comiques sont assujettis à la volonté critique de Villiers. La
bourgeoisie, le sens commun et le positivisme font les frais du rire, qui se rat
tache d'abord à la tradition du comique de situation. Dans sa correspondance,
Villiers affirme son admiration pour Molière et revendique son héritage comique
et satirique : « Le fait est que je ferai du bourgeois, si Dieu me prête vie, ce que
Voltaire a fait des "cléricaux", Rousseau des gentilshommes et Molière des mé
decins » \ II y aurait beaucoup à dire sur cette formule, sur laquelle nous revien
drons. En attendant, elle signale l'accointance de Villiers avec un type de comique
assez éloigné de sa réputation de raffinement Le critique ne néglige pas de recourir
aux ressorts les plus efficaces pour discréditer son ennemi. Ainsi, dans Les
Brigands, la métamorphose opérée par la peur sur le comportement de petits bour
geois de province (« modernes paladins » 3 changés en « pâles voyageurs » 6),
l'attitude exactement symétrique des deux villages, la bêtise des notables de Pibrac
se mirant dans celle des nantis de Nayrac 7, produisent un plaisant retournement de
situation. Le comique lié au renversement se double d'une situation classique au
théâtre, celle du trompeur trompé, d'autant plus agréable au lecteur qu'elle est re
doublée. Les bourgeois de Nayrac laissent se répandre le bruit d'une menace liée à
la présence de mendiants et de malfaiteurs supposés aux environs du village. Mais
ils sont eux-mêmes victimes de leur mystification : ils se laissent en effet gagner
par la peur lorsque, rentrant à la nuit tombée d'une tournée, ils rencontrent sans
les reconnaître leurs voisins de Pibrac, qu'ils prennent pour des malfaiteurs.
L'erreur étant réciproque, le massacre des deux troupes apeurées est mutuel.
Cependant l'effet comique, le plaisir du lecteur dépendent largement du contexte
ironique : la persistance des insinuations conduit le lecteur à épouser un point de
vue hostile à ces notables provinciaux et donc à se rire de leurs déboires.
L'ironie détourne le comique de situation au profit de la critique anti-bour
geoise. De même, les références à la caricature, fréquentes dans les Contes cruels,
mettent le comique de Villiers du côté de la « raillerie féroce » 8 et du rire sans
indulgence. Villiers se flatte lui-même de rivaliser avec Daumier 9, de surpasser un
dessinateur que Baudelaire tenait d'ailleurs pour « bonhomme » 10. De fait, il ex-
ROMANTITSME n°74 (1991 - IV) 74 Françoise Sylvos
celle dans les descriptions « à charge », assorties de citations ironiques compar
ables aux légendes de certaines caricatures. Villiers ridiculise les bourgeois de
Nayrac, accueillis en triomphe par leurs femmes la veille d'une expédition menée
en dépit des malfaiteurs supposés. Leurs attitudes sont grotesques, comme en t
émoigne la représentation d'une épouse « sautant aux favoris » " de son héros lo
cal. Leurs paroles ne le sont pas moins, accompagnées de discrets indices cri
tiques. La ponctuation met ainsi en valeur la disparité des registres de parole dans
la phrase : « chacun rentra dans son ménage d'un air plus crâne que de coutume et
le chapeau, ma foi ! sur l'oreille » 1Z. Ici, la critique se concentre sur l'expression
connotée « ma foi !» qui, reléguée dans l'ordre du discours indirect libre, incarne
l'esprit provincial. De même, les guillemets, indices d'une distanciation ironique,
ridiculisent les ambitions chevaleresques des bourgeois, sensibles à travers le
discours rapporté et l'appellation de « mousquetaire » dont une femme gratifie
son époux: «son épouse [...] l'appela «mousquetaire», ce qui chatouilla
doucement leurs cœurs réciproques » 13. Ainsi, le portrait à charge s'accompagne
d'une caricature langagière : Villiers transfère sur son terrain la compétition avec
les dessinateurs. Dans les Contes cruels, la caricature devient un genre littéraire :
tout se passe comme si l'accent se déplaçait de l'image sur la légende, le texte
l'emportant sur la tentative de figuration, l'écrivain ne mimant plus le peintre,
mais trouvant son propre mode d'emploi de la caricature.
La généralisation du portrait (« Chacun rentra dans son ménage... » ") lui
donne un double statut C'est à la fois une caricature ciblée, destinée à la satire des
particularismes provinciaux (comme en témoigne le recul par rapport au socio-
lecte « ma foi ! ») et singulièrement étendue, anonyme, ce qui revêt un aspect i
nquiétant. La bêtise semble prendre une dimension universelle, déjà reflétée à
l'infini dans le face à face des villages jumeaux, Pibrac et Nayrac. De la même fa
çon, Villiers présente la corruption et la vénalité comme des vices éternels à tra
vers la scène qui, dans Deux augures 15, confronte le directeur d'un journal et un
écrivain de génie contraint de dissimuler ses qualités pour se vendre à cet homme
en quête de médiocrité. Cette scène semble, selon le narrateur, « se passer tou
jours ». Même si l'on a cru reconnaître Emile de Girardin sous le personnage sans
scrupules du directeur 1б, cette identification n'enlève rien à la portée générale de la
caricature. Au delà de la satire ponctuelle et à travers la précision des types so
ciaux, elle remet en cause la majeure partie de l'humanité, dans laquelle le posit
ivisme a placé sa foi et sur laquelle repose l'idée de progrès, si décriée par l'auteur
des Contes cruels 17.
La pratique de la caricature revêt un caractère doublement offensif dans le cas
de Villiers : il s'agit pour lui de détruire le symbole de la bêtise, le bourgeois, et
en même temps de rivaliser de modernité et d'efficacité avec des dessinateurs. La
parodie investit à plus forte raison le double plan de la critique idéologique et de
l'émulation artistique. Ainsi, l'imitation du style voltairien au début des
Demoiselles de Bienfilâtre (Villiers relativise notre morale en se référant aux codes
tout différents d'un pays étranger) fait toute l'ambiguïté de la nouvelle. La parodie
propose-t-elle le conte philosophique pour modèle ou se double-t-telle d'une ironie
à l'égard de ce genre ? Il est permis de croire que Les Demoiselles de Bienfilâtre ne
sont là que pour montrer quelles aberrations la tolérance voltairienne engendre, à
savoir une inversion totale des pôles du vice et de la vertu. Lorsque Villiers
déclare qu'il fera du bourgeois « ce que Voltaire a fait des "cléricaux" » 18, il rire des « Contes cruels » 75 Le
affirme déjà sa distance par des guillemets. La parodie retourne ses armes contre
son modèle ; application systématique et folle des principes voltairiens énoncés
dans son prologue, le conte introduit une ironie par rapport à ce prologue même.
L'agressivité du narrateur est donc une fois encore de deux ordres : elle s'attache à
dénoncer une morale bourgeoise qui n'a d'autre point de repère que l'argent, à
l'instar de celle des milieux de la prostitution présentés dans Les Demoiselles,
tout en remontant à la source supposée de cet état de la société, à sa

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