L Histoire ailleurs - article ; n°106 ; vol.28, pg 213-225
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Description

L'Homme - Année 1988 - Volume 28 - Numéro 106 - Pages 213-225
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

France-Marie Renard-Casevitz
L'Histoire ailleurs
In: L'Homme, 1988, tome 28 n°106-107. pp. 213-225.
Citer ce document / Cite this document :
Renard-Casevitz France-Marie. L'Histoire ailleurs. In: L'Homme, 1988, tome 28 n°106-107. pp. 213-225.
doi : 10.3406/hom.1988.368979
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1988_num_28_106_368979-M Arie Ren ard - Case vitz France
ailleurs* L'Histoire
France-Marie Renard-Casevitz, L'Histoire ailleurs. — L'histoire, en tant que
changement postérieur à l'époque fondatrice de la société matsiguenga, apparaît, dans
les mythes, liée à l'extériorité. Analysant deux de ceux-ci, l'auteur montre que cette
exériorité se présente sous les figures invariables de trois peuples considérés comme
catégories ethniques ou sociales : les quechuaphones des hautes terres andines, les Incas
et les Blancs. Mais à la fin du second mythe, la frontière entre le troisième peuple et les
Amazoniens change de nature : de spatiale, elle devient temporelle et Tailleurs de
l'histoire correspond à celui non plus de l'étranger mais d'un futur propre à la société
matsiguenga et aux peuples de la forêt.
Frontaliers des empires andins, huari puis inca, proches voisins de leurs
capitales respectives, Guamanga (l'actuel Ayacucho) et Cuzco, les Matsiguenga
constituent le groupe le plus méridional du vaste ensemble linguistique des
Arawak préandins établis depuis plus de quatre mille ans dans les piémonts
amazoniens des Andes centrales du Pérou. La culture et l'histoire de cet
ensemble attestent une résistance pluriseculaire aux visées annexionnistes de ses
voisins des hautes terres andines. Résistance que couronna le succès jusqu'à
l'époque du caoutchouc puisque grosso modo les conquérants inca, les
conquistadors espagnols et les colonisateurs ne dépassèrent pas une même front
ière. Cependant, c'est le mythe et non l'histoire qui fonde la culture et les tra
ditions matsiguenga, et je voudrais dégager sous quelles modalités le premier
porte témoignage de la seconde.
De nombreux mythes matsiguenga développent une histoire située à l'ori
gine des temps et des sociétés humaines : ils content comment le monde vint à
l'existence et acquit ses caractères, comment s'organisa la vie sociale et cultur
elle. Mais d'autres mythes ou épisodes mythiques remodèlent l'ordonnance du
monde en prenant pour thèmes des bouleversements historiques relevant d'un
passé plus ou moins lointain. C'est à propos de ceux-ci que sera abordé le pro
blème du mythe et du changement.
Premier fait marquant, ces bouleversements font l'objet d'un seul traite-
L'Homme 106-107, avril-sept. 1988, XXVIII (2-3), pp. 213-225. FRANCE-MARIE R E N A R D - C A S E V I T Z 214
ment mythique qu'on peut caractériser d'ethnologique : ils concernent en effet
l'avènement ou l'émergence d'une triade de peuples ou d'hommes — les Puna-
runa, les Incas et les Viracocha ou Blancs — sans concéder aucun rôle aux an
imaux ou aux plantes, très présents dans les autres mythes. De plus nous
n'avons pas ici, comme dans maints autres mythes amérindiens, une séparation
et une diversification d'une humanité primordiale en peuples et races, sépara
tion et qui intègrent à ce passé originel des gens débarqués ou
découverts dans un passé récent. A l'inverse, la mythologie matsinguenga met
en scène des êtres différents par essence et séparés à l'origine, que les aléas de
l'histoire vont rapprocher.
Les dires des Cashinahua du sud-est péruvien, voisins des Matsiguenga à
l'époque inca, illustrent la première façon de transcrire l'histoire de la diversité
humaine. « II y avait les premiers hommes et un jour ils voulurent émigrer à la
recherche du métal. Certains d'entre eux purent franchir le grand fleuve et
atteignirent la terre du métal ; ce sont les ancêtres des Incas et des Blancs.
Les autres échouèrent et furent contraints de rester sur leur rive ; ce sont les
ancêtres des Cashinahua et des autres peuples de la forêt amazonienne »
(Deshayes & Keifenheim 1982). A cette genèse des peuples comme histoire
d'une séparation, les Matsiguenga substituent donc l'histoire des conjonctions
de peuples aux genèses séparées.
Ce que visent ces mythes relève bien du champ de l'histoire : ils relatent un
difficile voisinage avec les États andins. Toutefois cette visée s'inscrit au moyen
de catégories et non sous forme diachronique, et elle obéit à une finalité autre
qu'historique. Pour dégager ces catégories j'utiliserai deux récits : un épisode
du mythe de création précédé, pour mieux le situer, d'un résumé de la genèse,
et la version intégrale d'un court mythe intitulé par l'informateur « La pre
mière fois où on les vit ». Ces deux textes, avec leurs similitudes, leurs diffé
rences et leurs contradictions mettent en valeur non seulement des figures de
l'autre apparentées dans la pensée matsiguenga, mais aussi le détournement de
l'histoire au service d'une finalité socio-politique ou anthropologique.
La « genèse » matsiguenga amène à l'existence trois mondes : le ciel et ses
créatures divines, œuvre du « Tout-Puissant Souffle » d'en haut, dieu de
perfection ; les abysses et ses démons, œuvre du « Tout-Puissant Souffle »
d'en bas ou Kientibakori, miroir noir du premier ; et, à mi-distance entre ces
deux pôles d'un axe cosmologique vertical, la terre née de leur rencontre et de
leur compétition. A ce niveau intermédiaire, l'affrontement des deux créateurs
a pour effet de rompre la platitude d'un monde aqueux, de lui donner consis
tance et épaisseur par la formation de terres bonnes et mauvaises, par le soul
èvement de montagnes et le creusement de failles vertigineuses. Sur ce nouvel
axe vertical géographique, la première hiérarchie s'inverse, en sorte que les
associations opposées empyrée-bien, abysses-mal, par permutation de leurs
termes, deviennent celles du bas et du bien, du haut et du mal. Bas signifie
alors forêt, terre des hommes véritables tandis que haut désigne les hautes
montagnes et la région des nuages, résidence de démons et de futurs peuples L'Histoire ailleurs 215
d'origine démoniaque. Les hautes montagnes, les cimes et les escarpements
sont l'œuvre du Tout-Puissant Souffle d'en bas remaniant plaines, larges val
lées et doux reliefs créés par le dieu de perfection. Ainsi, en une opposition
affaiblie, le monde de la sierra est à celui de la forêt ce que sont les enfers à
l'empyrée.
Quand s'achève l'époque fondatrice, la terre est un lieu imparfait de par
son origine antinomique où s'est joué le destin laborieux et douloureux des
hommes. Ceux-ci sont déjà disséminés dans toute la forêt amazonienne, déjà
séparés en de nombreux peuples, déjà opposés en deux grands sous-ensembles :
les hommes et les cannibales.
Il y eut les tout premiers hommes, créatures du dieu parfait ; ils sont à l'ori
gine, par transformation de certains de leurs enfants, d'un grand nombre d'an
imaux comestibles et, par le don des biens culturels à leurs autres descendants,
des « vrais » peuples de la forêt : Matsiguenga, Nomatsiguenga, Ashaninga,
Simirinchi (Piro), appartenant tous à l'ensemble arawak, auxquels s'ajoutent,
selon les versions, les Conibo, Shipibo et divers groupes de l'ensemble linguis
tique pano.
Il y eut des insectes ou autres animaux nuisibles et des monstres créés par
Kientibakori, le dieu abyssal. Par transformation d'une partie d'eux-mêmes
— un essaim pour des insectes sociaux, une partie corporelle telle que les
plumes pour des oiseaux démoniaques — , ils sont à l'origine des peuples canni
bales de la forêt.
A ce moment des mythes, les hommes diffèrent par leurs origines, leurs
langues, leurs coutumes et leurs « manières de table », et l'époque fondatrice
s'achève sur un monde habité des seuls peuples amazoniens, homogènes en ce
qu'ils naissent dans le même espace et dans le même temps, hétérogènes quant
à leurs mœurs et à leur alimentation ; les vrais peuples nourris d'animaux ava
tars d'enfants d'homme sont la nourriture des peuples

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