L homme tranquille - article ; n°2 ; vol.78, pg 151-162
13 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

L'homme tranquille - article ; n°2 ; vol.78, pg 151-162

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
13 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Journal de la Société des Américanistes - Année 1992 - Volume 78 - Numéro 2 - Pages 151-162
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 47
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Gonzalo Churray
Jean-Patrick Razon
L'homme tranquille
In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 78 n°2, 1992. pp. 151-162.
Citer ce document / Cite this document :
Churray Gonzalo, Razon Jean-Patrick. L'homme tranquille. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 78 n°2, 1992. pp.
151-162.
doi : 10.3406/jsa.1992.1463
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1992_num_78_2_1463DOCUMENTS
L'HOMME TRANQUILLE
Récit de
Gonzalo CHURRAY
recueilli, traduit et présenté par
Jean-Patrick RAZON *
Plus d'un siècle de contacts permanents avec les Blancs qui débute, avec le
boom du caoutchouc, par une période entachée de tristes souvenirs — esclavage,
tortures, viols, decimation, déportation — n'aura pas eu raison des Indiens bora du
Nord-Ouest Amazone. Jusqu'à l'aube des importantes découvertes de la fin du xixe
siècle qui allaient fortement stimuler la demande de caoutchouc amazonien, les
Bora vivaient dans une relative tranquillité, avec leurs voisins, les Witoto, les
Andoke et les Ocaina dans la région située entre les fleuves Caqueta et Putumayo
en Amazonie colombienne. Toutefois, cette paix, qu'ils devaient à l'extrême
difficulté d'accès de cette région isolée, frontalière avec le Brésil et le Pérou, était
troublée par des contacts sporadiques et parfois brutaux avec les étrangers, des
Brésiliens pour la plupart, en quête de travailleurs, d'enfants-esclaves, de ressourc
es, voire d'âmes, et par des conflits avec les États voisins. Au milieu du xixe siècle,
les Bora représentaient un groupe d'environ 15 000 personnes. Les quelques
décennies que dura l'exploitation forcenée du latex amazonien, jusqu'à la pleine
productivité des plantations asiatiques dans les années 1920, virent l'extermination
de près de 90 % de la population, devançant certaines horreurs de la dernière
guerre mondiale. Le conflit frontalier de 1933 avec le Pérou éloigna définitivement
les quelques patrons caoutchoutiers d'origine péruvienne qui sévissaient encore
dans la région. Ne voulant se séparer de leur main-d'œuvre, ils déportèrent des
familles entières de Bora, Witoto, Andoke, Ocaina et les installèrent dans la vallée
de l'Ampiyacu, un tributaire du fleuve Amazone éloigné de plusieurs jours de
marche vers le sud de leur territoire ancestral. Vingt ans plus tard, après y avoir
tant bien que mal réorganisé leur vie, le joug des anciens patrons fut brisé par
l'arrivée des missionnaires évangélistes américains qui commencèrent leur œuvre
civilisatrice : regroupements en villages, evangelisation, prohibition des pratiques
culturelles et cultuelles traditionnelles...
* Survival International France, Paris.
J.S.A. 1992, LXXVIII-II : p. 151 à 162. 152 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
La proximité de l'Amazone qui, à cette hauteur se situe à égale distance entre
la frontière colombo-brésilienne et Iquitos, confère à cette région une présence
allogène assidue ; commerçants ambulants, patrons occasionnels, chasseurs de
peaux, missionnaires, touristes, narco-trafiquants... s'y succèdent sans répit.
Plusieurs communautés bora, witoto, ocaina ou mixtes se distribuent le long du
fleuve Ampiyacu et de ses affluents. Estimés à plus de 800 en 1985, les Bora sont
divisés en plus de 40 groupes de filiation patrilinéaires exogames dont certains ne
sont représentés que par quelques individus. Ils partagent avec leurs voisins une
culture commune proche des Tucano dont les traits les plus marquants sont
l'habitation collective traditionnelle plurifamiliale et patrilocale, la maloca, la
filiation patrilinéaire, l'essartage, avec le manioc comme cultigène principal, l'usage
de la coca, du tabac et la pratique de rituels d'initiation. Les Bora péruviens, qui
ont su maintenir des contacts réguliers avec leurs parents colombiens — les Bora
et Mirafia — tentent aujourd'hui de reconstruire une culture dont les bribes se sont
dispersées au cours de leur pérégrination.
Le récit suivant est celui d'un homme ordinaire qui, contraint à une dépendance
mal acceptée par son groupe et ne pouvant plus y assumer pleinement son rôle,
choisit de s'exiler. En ville, il retrouve un statut qui lui permet de s'intégrer à sa
nouvelle vie dont il accepte volontiers les règles et les contraintes sans toutefois
renier son groupe avec lequel il conserve des liens étroits. Loin de renoncer à son
identité, il la proclame avec fierté malgré les pressions de toutes sortes qu'il subit
du monde dit civilisé. Son destin est à ce titre exemplaire, qui montre bien
l'ambiguïté de la situation actuelle des Bora : le « progrès », plus qu'une ascension
sociale, devient ici une échappatoire à une situation intenable.
J.-P. R.
LE RÉCIT !
« Je suis un Indien bora, mon nom est Gonzalo Churray et je suis né aux
sources de l'Ampiyacu. Mon défunt père qui était un chef m'a élevé selon la
tradition. Il ne s'intéressait à rien d'autre, comme tous les Indiens qui ne savent pas
lire parce que sa vraie profession c'était d'être indien. Il ne m'a enseigné qu'à
cultiver la terre, sans se préoccuper de mes études, puisque auparavant nous étions
tous analphabètes. J'ai donc appris toutes nos coutumes d'Indien. Je connais les
chants des fêtes, je sais faire une chacra (jardin) comme la faisaient nos ancêtres,
et cela depuis que je suis enfant. Un jour, alors que j'étais déjà plutôt grand —
j'avais 14 ans — mais encore un jeunot, un evangeliste arriva pour fonder une école
bilingue. Avant lui, nous vivions bien au centre, loin, loin en amont. Nous n'étions
pas rassemblés en communautés comme aujourd'hui, mais séparés les uns des
autres, chacun avec ses gens. L'évangéliste décida de nous rassembler pour former
une communauté. J'apprenais peu à peu par moi-même, et au bout de trois ans, je
savais déjà lire et écrire. Puis je terminais la cinquième année du primaire à l'école
bilingue. Je savais alors à peu près tout faire. Je travaillais à la chacra, j'aidais mon
père et nous faisions des fêtes auxquelles on me demandait toujours de collaborer
en m'envoyant récolter de la coca ou ramasser des feuilles de sético. Ma défunte l'homme tranquille 153
mère n'avait pas eu de filles, rien que des garçons. Alors c'est moi qui l'aidais.
J'étais obéissant à cet âge. J'allais lui chercher de l'eau, et parfois, même sans
qu'elle me l'eût demandé, je l'aidais à éplucher le manioc. Une fois terminé, je lui
disais, voilà maman, j'ai fini, je vais jouer au ballon maintenant. Vas-y mon fils. A
seize ans, j'admirais les soldats. Quelques jeunes Bora qui servaient déjà leur patrie,
venaient parfois nous rendre visite. Ils étaient magnifiques. Et que se passa-t-il ? J'y
pensais moi aussi, tant je voulais devenir un soldat. Cela me prenait... Bien
qu'encore mineur, cela me préoccupait beaucoup. Maman, lui confiais-je, je veux
faire l'armée. Non disait-elle, n'y va pas. Mais cela me troublait. Et à 17 ans, après
avoir terminé le primaire, j'y suis allé, comme on part pour faire n'importe quel
travail. Peut-être que si mon père avait su, il m'aurait dit de continuer mes études
au lieu de partir à l'armée. Mais il ne connaissait rien de tout ça, il ne songeait qu'à
notre tradition, qu'à faire des fêtes et à inviter d'autres chefs parce qu'ils étaient ses
égaux. Nous vivions déjà en communauté, à Brillo Nuevo. Le professeur s'appelait
Leónidas et dépendait du district de Pébas, un district péruvien. Des policiers de la
garde civile venaient depuis Pébas rassembler les jeunes des communautés. Ils
venaient les recruter pour le service militaire. J'allais trouver Leónidas sans en
parler à mon père, ni à ma mère. Bon, m'a-t-il dit, vas-y. Je me suis donc inscrit
et comme ils avaient un bateau, ils nous ont emmenés. Avant, je retournai à la
maison pour me changer et enlever mes chaussures et je partis pieds nus. Je ne fis
mes adieux ni à ma mère qui était déjà partie à la chacra, ni à mon père. Lorsqu'elle
arriva de la chacra, elle trouva mes

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents