L intelligentsia avant la Révolution - article ; n°1 ; vol.37, pg 119-155
38 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

L'intelligentsia avant la Révolution - article ; n°1 ; vol.37, pg 119-155

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
38 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Revue des études slaves - Année 1960 - Volume 37 - Numéro 1 - Pages 119-155
37 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1960
Nombre de lectures 5
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Monsieur Dimitri Kantchalovski
Pierre Pascal
L'intelligentsia avant la Révolution
In: Revue des études slaves, Tome 37, fascicule 1-4, 1960. pp. 119-155.
Citer ce document / Cite this document :
Kantchalovski Dimitri, Pascal Pierre. L'intelligentsia avant la Révolution. In: Revue des études slaves, Tome 37, fascicule 1-4,
1960. pp. 119-155.
doi : 10.3406/slave.1960.1729
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1960_num_37_1_1729L'INTELLIGENTSIA
AVANT LA RÉVOLUTION
PAR
DIMTTRI KANTGHALOVSKI
L'auteur de l'étude qu'on va lire sur ľ intelligentsia appartenait lui-même à une
famille qui a donné à la Russie des intellectuels de marque : le père était ce « bon
géant voûté, velu, à la sourde voix de basse, l'éditeur P. P. Kantchalovski » que
mentionne Pasternak au début du chapitre premier de son Essai d'autobiographie.
Les frères furent l'un docteur, l'autre peintre, la sœur a enseigné le russe à Paris
pendant plus d'un demi-siècle à l'École des langues orientales, tous avec talent.
Famille physiquement et moralement solide, équilibrée. Dimitri Pétrovitch devait
avoir la carrière la plus tourmentée. Né en 1878, il eut le temps avant 1914 de se
spécialiser dans l'histoire romaine et d'enseigner cette discipline, comme privat-
docent, à l'Université et aux Cours supérieurs féminins de Moscou — auxquels ne
manquait que le titre d'Université. Il préparait déjà une thèse de doctorat sur le
mouvement des Gracques, sujet sur lequel il avait des idées originales. La guerre
l'enleva à ces études, et il ne retrouva son enseignement qu'en 1917 pour en être
dessaisi en 1921 par le nouveau régime, comme non marxiste. Dès lors, il subsiste
avec peine en des lieux de refuge comme l'Association des Instituts scientifiques
des sciences sociales (Ranion) ou l'Encyclopédie Granat, où il donne l'article « Hellé
nisme ». Il traduit pour la maison d'édition Academia les Vies des douze Césars
de Suétone, les Lettres de Pline le Jeune, d'autres textes encore. Il continue à être
considéré comme le meilleur spécialiste de Russie pour l'histoire romaine. Malgré
les difficultés de l'existence, il travaille encore à sa thèse sur les Gracques, et c'est
un fragment de celle-ci qui est remis en 1926 à la Revue historique de Paris : elle
en publie la traduction et réclame la suite, qui ne vint jamais. Le manuscrit de
l'ouvrage enfin terminé devait être perdu en 1944, pendant les tribulations de la
dernière guerre.
Les événements auxquels il avait assisté, depuis sa jeunesse et surtout depuis 1944,
obligèrent finalement Dimitri Pétrovitch à réfléchir sur les destinées de son pays,
sur les destinées des groupes sociaux, sur les destinées de l'homme. Il se retrouva
alors un fils fidèle de l'Église orthodoxe. A partir de 1941, il commença à noter pour
lui-même ses réflexions sur ces divers sujets. Quand les flux et reflux de la guerre,
après un séjour dans un camp en Allemagne, l'eurent, avec sa famille, déposé en 120 DIMITRI KANTCHALOVSKI
France et qu'il put rassembler et développer ses idées, il rédigea plusieurs articles
ou traités sur l'ancienne et la nouvelle Russie, les causes de la Révolution, l'histoire
et le rôle de l'intelligentsia, qui témoignent tous de l'ampleur de ses connaissances,
de l'intensité de sa méditation, de l'originalité de ses conclusions. C'est à un de ces
manuscrits, écrit pendant l'hiver de 1943-1944, qu'est emprunté le passage ci-dessous.
La mort seule, survenue en 1952, n'a pas permis à D. Kantchalovski de donner
à ce texte, comme aux autres, son aspect définitif.
Pierre Pascal.
Le problème que pose V intelligentsia russe est à la fois social et psycho
logique. Social, parce que les classes différentes d'une société peuvent naître
et se développer sur une base qui n'est pas nécessairement économique.
Psychologique, parce que ce sont des mobiles d'ordre intellectuel et idéo
logique qui ont déterminé sa formation et lui ont fourni ses cadres. Peut-être
même l'absence de toute base matérielle stable est-elle précisément sa carac
téristique la plus frappante : elle serait comparable, de ce point de vue, à
une secte ou à un ordre; mais son manque de structure interne lui confère
plutôt le caractère de classe sociale.
Son rôle a été grand dans l'évolution intérieure du pays russe entre les années
30 et 40 du xixe siècle et les dix premières années du régime soviétique. Sa
renommée comme phénomène spécifiquement russe, aux confins des xixe-
XXe siècles, a même franchi les frontières nationales et gagné l'Europe. Les
Occidentaux, étonnés que, dans un pays réputé inculte et attardé, les él
éments pensants forment une classe à part avec laquelle le Gouvernement
conservateur était obligé de compter, ont alors adopté le vocable russe, et ils
l'emploient assez couramment pour désigner leur propre classe d'intellec
tuels, mais ils n'ont principalement en vue que leurs travailleurs intellecet le mot ainsi interprété n'a plus sa valeur originelle et ne répond
pas au phénomène qu'il exprime en russe.
Phénomène purement russe, Y intelligentsia est un produit du caractère
national, et se trouve à cet égard bien loin d'être aussi détachée du peuple
qu'on le prétend d'ordinaire. Elle procède de l'évolution spirituelle de la Russie
depuis l'époque où celle-ci a commencé à participer à la culture européenne,
et cela plus particulièrement à un moment politique déterminé, à savoir celui
de la réaction gouvernementale de Nicolas Ier qui s'est prolongée avec quelques
interruptions jusqu'à la révolution de février 1917. C'est cette réaction qui,
par ses persécutions même, a entretenu et fertilisé le terrain psychologique et
culturel sur lequel s'est épanouie V intelligentsia russe.
Bélinski, qui fut peut-être le premier intelligent (1) et contribua plus que
quiconque à la prise de conscience de Y intelligentsia, décrit avec assez d'exac-
(*) Le mot intelligent est emprunté par le russe, non pas avec le sens qu'on lui prête généra
lement en Europe : il désigne simplement un membre de l'intelligentsia, et c'est ainsi qu'il
devra être compris tout au long de la présente étude. L'INTELLIGENTSIA AVANT LA RÉVOLUTION 121
titude la naissance de ce groupe social, sans toutefois l'appeler par son nom,
dans son article de 1846 intitulé « Pensées et observations sur la littérature
russe » : « Notre littérature a formé les mœurs de notre société, elle a déjà
éduqué plusieurs générations très différentes les unes des autres, elle a
présidé au rapprochement des classes, créé une espèce d'opinion publique et
donné naissance à une sorte de classe sociale particulière, qui se distingue
de la classe moyenne ordinaire par le fait qu'elle n'est pas exclusivement
composée de marchands et de petits bourgeois, mais d'hommes issus de
toutes les conditions et rapprochés par l'instruction, laquelle, chez nous, se
manifeste principalement par l'amour de la littérature » (Bélinski, Œuvres
choisies, 1947, p. 526). Bélinski écrit plus loin : « II n'est pas rare de voir
à notre époque un cercle amical où se réunissent le grand seigneur, le rotur
ier, le marchand et le petit bourgeois, un cercle dont les membres oublient
totalement les différences extérieures qui les séparent et se considèrent les
uns les autres uniquement comme des hommes. C'est dans ce rapprochement
que s'exprime la vraie nature du milieu social cultivé que chez nous la
littérature a créé » (Bélinski, Œuvres choisies, 1947, p. 528). Bélinski voit
donc le principe originel de ce nouveau groupe social dans l'instruction,
celle-ci s'exprimant avant tout par l'intérêt porté à la littérature.
Nous ne trouvons pas encore dans ce texte la définition complète de Yintelli-
gentsia, mais Bélinski a très justement mis l'accent sur une particularité de
la

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents