L usage morbide des drogues. Raison personnelle et culture du risque dans les sociétés contemporaines (Commentaire) - article ; n°3 ; vol.21, pg 115-124
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L'usage morbide des drogues. Raison personnelle et culture du risque dans les sociétés contemporaines (Commentaire) - article ; n°3 ; vol.21, pg 115-124

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Sciences sociales et santé - Année 2003 - Volume 21 - Numéro 3 - Pages 115-124
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 19
Langue Français

Extrait

Philippe Le Moigne
L'usage morbide des drogues. Raison personnelle et culture du
risque dans les sociétés contemporaines (Commentaire)
In: Sciences sociales et santé. Volume 21, n°3, 2003. pp. 115-124.
Citer ce document / Cite this document :
Le Moigne Philippe. L'usage morbide des drogues. Raison personnelle et culture du risque dans les sociétés contemporaines
(Commentaire). In: Sciences sociales et santé. Volume 21, n°3, 2003. pp. 115-124.
doi : 10.3406/sosan.2003.1596
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/sosan_0294-0337_2003_num_21_3_1596Sciences Sociales et Santé, Vol. 21, n° 3, septembre 2003
L'usage morbide des drogues.
Raison personnelle et culture du risque
dans les sociétés contemporaines
Commentaire
Philippe Le M oigne*
Réduire la consommation des drogues à une origine pathologique
revient à lui imputer une anomalie de fonctionnement, biologique ou com
portementale. C'est donc impliquer un défaut de nature dans l'organisat
ion d'un phénomène qui recouvre, comme le montre la diffusion massive
des usages, bien d'autres formes. Les dimensions festives, participatives,
rituelles, commémoratives ou expérimentales de la consommation témoi
gnent d'une mise en œuvre ordinaire du lien social, d'une manifestation
culturelle qu 'on a bien du mal à traduire dans les termes de la maladie,
sauf à devoir désigner derrière chaque usager un patient potentiel. Faute
d'apercevoir ces dimensions, une dynamique de contrôle social pourrait
se profiler de proche en proche, notamment à l'égard des jeunes, et
concourir, selon les termes employés par Cas tel, au « dépistage général
isé » de la déviance (Castel, 1981). Tel est en substance V argument de
l'article de P. Peretti-Watel. Son propos entend placer la consommation
devant deux légitimités indépendantes, soit distinguer nettement la raison
des usagers de son diagnostic médical. En réalité, ces légitimités partici-
* Philippe Le Moigne, sociologue, INSERM, Centre de Recherche Psychotropes,
Santé Mentale, Société (CESAMES), CNRS / Université Paris V, 45, rue des Saints-
Pères, 75006 Paris, France. PHILIPPE LE MOIGNE 116
pent cl 'un même fond, et c 'est précisément l 'étude de leur grammaire com
mune qui permet de comprendre à la fois l'unité et la diversité contempor
aines des usages de drogues. C'est du moins le point de vue que ce
commentaire voudrait défendre.
La vulnérabilité psychobiologique :
médicalisation ou responsabilisation ?
Décrire par la psychopathologie l'ensemble des consommations de
drogues est aussi bien abusif que dangereux. Néanmoins, cette approche
participe d'une culture du risque extrêmement diffuse aujourd'hui, qu'il
convient de traiter dans ses multiples aspects, administratifs et sanitaires
bien sûr, mais également au regard de l'influence qu'elle exerce chez, les
usagers eux-mêmes. La thèse de la dégénérescence tendait au début du
siècle précédent à lier l'abus — d'alcool en particulier — à des facteurs
organiques hérités, eux-mêmes aggravés pensait-on par des comporte
ments d'excès, sexuels notamment (Roelcke, 1997). Cette thèse a eu pour
effet de réduire et de localiser à la fois les « consommations dange
reuses » à leur part la plus visible : celle des groupes paupérisés. La cul
ture du risque qui se développe avant-guerre aux États-Unis et surtout à
partir des années soixante, notamment sous la houlette du Mouvement de
l 'hygiène mentale, établit l 'usage des drogues et leur abus dans le cadre
d'une nouvelle logique : dans le droit fil de la pensée montante alors et
régnante aujourd'hui, qui postule l'origine individuelle des comporte
ments sociaux, elle considère que toute consommation peut déboucher sur
une conduite d'abus en vertu d'une vulnérabilité partagée (Pois, 2001).
Autrement dit, l'emploi pathologique des drogues cesse d'être réservé aux
« classes dégénérées » et s 'impose comme un risque commun dont l'éten
due ne diffère d'un individu à un autre qu'en termes de degrés. Ce risque
finira par être associé aux circuits neuronaux, c'est-à-dire à une prédis
position biologique masquée, un défaut de la neurotransmission dont cha
cun pourrait être porteur, d'où la présence du « Substance Abuse » au
titre des syndromes et des désordres mentaux réunis par la classification
internationale.
Il restait que ce défaut de conformation, ou plutôt cette anomalie
biochimique, si elle ne pouvait être mise au compte de l'individu lui-
même, ne le dédouanait pas complètement : le sujet porteur de ce déficit
pouvait apprendre à en maîtriser les effets, à en prévenir les abus, mot
d'ordre où devaient s'ancrer le mode d'intervention et l'idéologie des
« Alcooliques anonymes » et de l'ensemble des associations d'« addicts » L'USAGE MORBIDE DES DROGUES 1 1 7
de toute nature qui se sont développées depuis (May, 2001). En somme, la
pathologie du cerveau était ainsi disjointe du cogito, V alcoolique demeur
ait maître de son mental et il lui appartenait de tempérer sa conduite.
Cette distinction explique pour une bonne part l 'ambivalence de la psy
chopathologie contemporaine : elle reconnaît la pathologie du « drogué »
mais se refuse à l'amender tout à fait en cherchant le plus souvent à rap
porter sa dépendance à un style de personnalité, « antisociale » ou
« dépendante » elle-même, soit à une individualité ou excessive ou insuf
fisante. Et que l'usage compulsif des drogues s'accompagne d'une co-
morbidité, anxieuse ou dépressive par exemple, ne change rien au
maintien de cette disposition personnelle : le sujet est sans doute plus
affecté mais il n'en est pas moins responsable.
L'évolution du droit témoigne de cette reconstruction logique en
refusant de soustraire le consommateur en situation d'infraction au
régime de la responsabilité. Le durcissement pénal de la législation dans
le domaine de la conduite routière reflète la primauté des mesures de
rétorsion sur le soin, précisément en vertu du libre arbitre qui, à la
manière d'un postulat, est censé préexister à l'usage des substances psy-
cho-actives : la perte du discernement, quand bien même elle est patente
au moment de la contravention ou du délit, serait dictée en amont chez
l'usager par une résolution consciente en faveur des produits, soit par une
intoxication volontaire. Aux États-Unis, la forensic psychiatry, chargée
auprès des tribunaux de l'expertise mentale des justiciables, a vu ainsi
son rôle profondément réduit. Elle ne peut plus guère se substituer aux
juges, et opérer une sorte de préemption sur le verdict judiciaire en dia
gnostiquant une psychose, le cas échéant, une dépression. Le champ de
l'irresponsabilité pénale s'est réduit au périmètre des schizophrénies les
plus patentes, les magistrats ayant réinvesti en partie cette expertise en
statuant sur « le degré de dangerosité » du justiciable, pour lui-même ou
les autres, élément permettant d'ailleurs de justifier l'incarcération, en
particulier des toxicomanes (Halleck, 2000). Dans ces circonstances, la
maladie ou l'exigence de soin suffit rarement à constituer une circons
tance atténuante. Seul le fait d'avoir été abusé soi-même demeure rece-
vable. C'est là l'une des origines de la montée en charge de la
victimologie tant dans le domaine pénal que dans le secteur psychiat
rique. Le « Posttraumatic Stress Disordcr », retenu au départ par la noso-
graphie en vue de rendre compte des effets pathologiques des conflits
militaires, permet d'organiser ici une ligne de défense comme dans le cas
par exemple d'un agresseur sexuel qui aurait été lui-même abusé dans sa
prime enfance (Young, 1995). En revanche, ni les troubles affectifs ni
l'abus de drogues n'ont valeur de justification, et le mélancolique comme PHILIPPE LE MOIGNE 118
\e toxicomane demeurent justiciables précisément parce que leur patho
logie n 'abolit ni leur discernement ni leurs inclinations personnelles.
Cette cartographie, par son déc

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