La Conquête de la monnaie. Pouvoir et sapèques de cuivre au début de la période pré-moderne  - article ; n°1 ; vol.28, pg 25-46
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La Conquête de la monnaie. Pouvoir et sapèques de cuivre au début de la période pré-moderne - article ; n°1 ; vol.28, pg 25-46

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Ebisu - Année 2002 - Volume 28 - Numéro 1 - Pages 25-46
En lançant dès son avènement les premières fontes massives de monnaies en métaux précieux depuis le Xème siècle, la dynastie des Tokugawa se démarquait nettement des régimes guerriers médiévaux. Car ceux-ci n'éprouvèrent jamais le besoin de produire et d'imposer leur propre numéraire, et si le Moyen-Age japonais connut malgré tout un incontestable développement de l'usage de la monnaie métallique, ce fut essentiellement grâce aux importations de pièces de cuivre chinoises. L'usage de ces sapèques chinoises persista au début XVIIeme siècle, mais la fonte officielle d'espèces en cuivre au Japon ne fut entreprise que plus d'une trentaine d'années après la création de nouvelles monnaies d or et d'argent. Les Tokugawa durent en effet d'abord juguler les désordres hérités de la fin du Moyen-Âge qui perturbaient la circulation du numéraire de cuivre. Il leur fallut en particulier combattre les pratiques de tri entre « bonnes » et « mauvaises » pièces afin d'unifier l'usage et la valeur des sapèques dans l'ensemble de l'archipel. Bien que la monnaie de cuivre ait été dévalorisée par l'apparition des métaux précieux, sa prise de contrôle revêtait toujours une signification stratégique de première importance pour les Tokugawa, en particulier a cause de son usage persistant sur les voies de communication. La création d'une sapèque japonaise parachevait la conquête du cuivre par le régime d'Edo, en consacrant l'émancipation de l'influence monétaire chinoise et en imposant définitivement aux grandes maisons guerrières de l'archipel la « monnaie souveraine » du shogun.
Compared to others Japanese medieval periods, the Tokugawa shogunate proves completely different in the matter of politics concerning money. Japanese State-produced coins existed in Ancient Japan until Xth Century but vanished with the coming of medieval times. Since then the warrior regime rather used to import chinese copper currency than producing its own regardless of the huge development of trade and exchanges that once might take place. The use of these imported copper coins from China lasted until Edo period at the beginning of seventeenth century. The new shogunate was still casting gold and silver currencies and it is only about 30 years after the beginning of the new regime that the Tokugawas began to mass-produce also new types of copper coins. As a. sine qua non It was felt necessary above anything by the authorities to stop the use of old copper Chinese coins in the archipelago in order to ensure the new currency's launching, and to reach its goal the government had then to face and solve many problems. The shogunate first had to prevent the old habit, coming deep from Sengogu period's money crisis state, of copper coins qualitative selection. To establish new standards or coins, central authorities had to unify coins value at a whole territory scale. As gold and silver coins became mass-produced in the beginning of XVIIth Century, older copper coins of medieval times lost their value. For the new shogunate, it was then a great deal to control and remove copper coins, which were overwhelmingly used in the traffic between Japan and the mainland. By the production of gold and silver coins, by the creation or a new copper coin, the Tokugawas assumed their supremacy in Japan, controlling a tri-metallic system, achieving complete autonomy toward China, and at the same time, imposing their will to other lords as the unique power able to control money in the archipelago.
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 44
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Guillaume Carré
La Conquête de la monnaie. Pouvoir et sapèques de cuivre au
début de la période pré-moderne
In: Ebisu, N. 28, 2002. pp. 25-46.
Citer ce document / Cite this document :
Carré Guillaume. La Conquête de la monnaie. Pouvoir et sapèques de cuivre au début de la période pré-moderne . In: Ebisu, N.
28, 2002. pp. 25-46.
doi : 10.3406/ebisu.2002.1264
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ebisu_1340-3656_2002_num_28_1_1264Résumé
En lançant dès son avènement les premières fontes massives de monnaies en métaux précieux depuis
le Xème siècle, la dynastie des Tokugawa se démarquait nettement des régimes guerriers médiévaux.
Car ceux-ci n'éprouvèrent jamais le besoin de produire et d'imposer leur propre numéraire, et si le
Moyen-Age japonais connut malgré tout un incontestable développement de l'usage de la monnaie
métallique, ce fut essentiellement grâce aux importations de pièces de cuivre chinoises. L'usage de ces
sapèques chinoises persista au début XVIIeme siècle, mais la fonte officielle d'espèces en cuivre au
Japon ne fut entreprise que plus d'une trentaine d'années après la création de nouvelles monnaies d or
et d'argent. Les Tokugawa durent en effet d'abord juguler les désordres hérités de la fin du Moyen-Âge
qui perturbaient la circulation du numéraire de cuivre. Il leur fallut en particulier combattre les pratiques
de tri entre « bonnes » et « mauvaises » pièces afin d'unifier l'usage et la valeur des sapèques dans
l'ensemble de l'archipel. Bien que la monnaie de cuivre ait été dévalorisée par l'apparition des métaux
précieux, sa prise de contrôle revêtait toujours une signification stratégique de première importance
pour les Tokugawa, en particulier a cause de son usage persistant sur les voies de communication. La
création d'une sapèque japonaise parachevait la conquête du cuivre par le régime d'Edo, en consacrant
l'émancipation de l'influence monétaire chinoise et en imposant définitivement aux grandes maisons
guerrières de l'archipel la « monnaie souveraine » du shogun.
Abstract
Compared to others Japanese medieval periods, the Tokugawa shogunate proves completely different
in the matter of politics concerning money. Japanese State-produced coins existed in Ancient Japan
until Xth Century but vanished with the coming of medieval times. Since then the warrior regime rather
used to import chinese copper currency than producing its own regardless of the huge development of
trade and exchanges that once might take place. The use of these imported copper coins from China
lasted until Edo period at the beginning of seventeenth century. The new shogunate was still casting
gold and silver currencies and it is only about 30 years after the beginning of the new regime that the
Tokugawas began to mass-produce also new types of copper coins. As a. sine qua non It was felt
necessary above anything by the authorities to stop the use of old copper Chinese coins in the
archipelago in order to ensure the new currency's launching, and to reach its goal the government had
then to face and solve many problems. The shogunate first had to prevent the old habit, coming deep
from Sengogu period's money crisis state, of copper coins qualitative selection. To establish new
standards or coins, central authorities had to unify coins value at a whole territory scale. As gold and
silver coins became mass-produced in the beginning of XVIIth Century, older copper coins of medieval
times lost their value. For the new shogunate, it was then a great deal to control and remove copper
coins, which were overwhelmingly used in the traffic between Japan and the mainland. By the
production of gold and silver coins, by the creation or a new copper coin, the Tokugawas assumed their
supremacy in Japan, controlling a tri-metallic system, achieving complete autonomy toward China, and
at the same time, imposing their will to other lords as the unique power able to control money in the
archipelago.Ebisu 28, Printemps-été 2002, Maison Franco-Japonaise, Tôkyô, p. 25-46.
LA CONQUÊTE DE LA MONNAIE
Pouvoir et sapèques de cuivre au début de la période pré-moderne
Guillaume CARRE
École des Hautes Études en Sciences Sociales
« La bonne ou la mauvaise qualité des sapèques
n'apporte ni gain ni perte au gouvernement.
Faire un choix entre les pièces revient à
entraver l'évaluation des choses : et ce sont
alors surtout les usagers qui en supportent la
gêne. »
Yantielun M$kWi, (Dispute sur le sel et le fer,
1er siècle avant J. C. ), IV, 6.
Lors de l'établissement de l'État pré-moderne, au début du XVIIème siècle, le
Japon connut un renversement des rapports entre le pouvoir politique des shogun et
la monnaie. Durant tout le Moyen-Âge en effet, ni les différents régimes guerriers ni
la cour impériale n'avaient entrepris d'émettre du numéraire dans l'archipel japonais.
Or dès 1601, quelques mois seulement après s'être débarrassé de ses rivaux à la
bataille de Sekigahara H^H^, Tokugawa Ieyasu WWMM (1542-1616) lançait les
premières fontes massives de monnaies en métaux précieux, avant même d'avoir
obtenu officiellement le titre de shogun (1603). C'est dire l'importance capitale
qu'attachait le dernier des hégémons à l'édification d'un nouveau système monétaire.
Les historiens s'accordent d'ailleurs pour y voir à la fois un élément-clef de la
construction d'un nouvel ordre politique et social stable dominé par les Tokugawa,
et l'un des moteurs de la croissance économique du XVIIème siècle .
Entre les années 1600 et 1640 se mit donc en place dans l'archipel un
système tri-métallique. L'or circulait surtout dans l'est du pays, autour d'Edo la
capitale shogunale, et gagna progressivement le nord de Honshu. Le Kansai et
1 Cf. l'article de Iwahashi Masaru ïëWïM, « Tokugawa keizai no seidoteki wakugumi »
Wm$.fâ<Dfflfë.fà¥fiWLfr (Le Cadre institutionnel de l'économie des Tokugawa) in Hayami Akira MfrW,
Miyamoto Matao t^XJtE (éd.), Nihon keizai-shi 1, Keizai-shakai no seiritsu, 17-18 seiki
H^iS^fÈl, I5ifrfl:ê?>$3ï 17-18 tJifci (Histoire économique du Japon, vol. 1 : Naissance d'une société
économique, XVIIème et XVIIIème siècles), Iwanami shoten ëîS#/S, 1988, et du même auteur,
Edo-ki kahei seido no dainamizumu flFMMfftffl!%.?> ¥ >yf tï/^ (Le Dynamisme du système monétaire
de l'époque d'Edo), Kin.yû kenkyû &Mffi9i 17-3, 1997. 26 A LA CONQUÊTE DE LA MONNAIE
l'ouest en revanche, ainsi que les côtes de la Mer du Japon, étaient dominés par
l'argent. Enfin, à côté de ces métaux précieux subsistait une monnaie dite « de
cuivre » {zeni fl, dôsen UrIH, senka ilSt), en fait plutôt de bronze , et même fondue
parfois dans des alliages ou des métaux plus vils encore, comme le fer. Héritage des
sapèques chinoises en usage durant le Moyen-Âge, ces pièces s'échangeaient dans
tout le pays même si leur faible valeur et leur poids les rendaient peu pratiques pour
des transferts de fonds importants.
Dans le Japon des Tokugawa, la monnaie de cuivre semble avoir perdu la
place prépondérante qu'elle occupait dans les échanges jusqu'au XVIème siècle,
comme si les métaux précieux la reléguaient désormais au second plan. Pourtant, les
pièces de cuivre ne constituaient pas une simple subdivision de monnaies hautes ;
elles servaient par exemple d'instrument d'échange international, ce qui en faisait
une marchandise aussi appréciée que l'argent, comme en témoignent les exportations
massives de sapèques du Japon aux XVIIème et XVIIIème siècles . Il existait aussi un
marché pour le numéraire de cuivre qui connaissait des variations indépendantes de
l'or et de l'argent. Ogyû Sorai Dc^felâ^ (1666-1728), dans la foulée de sa vigoureuse
critique de la politique déflationniste d'Arai Hakuseki §Jf#:ÉlB' (1657-1725), proposait
même de faire du cuivre l'étalon monétaire du Japon . D'autre part, les usages
monétaires au cours de la période d'Edo demeurèrent très variables et différenciés
selon les conditions sociales, les régions, les milieux, urbains ou ruraux, où s'effectuaient
les échanges . En particulier dans les campagnes de la fin du XVIIème siècle, on
constate en

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