Le corps créateur ou L artiste contre la nature - article ; n°91 ; vol.26, pg 5-17
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Description

Romantisme - Année 1996 - Volume 26 - Numéro 91 - Pages 5-17
Sarrasine est une nouvelle si étrange qu'on s'étonne de la rareté, le S/Z de Barthes excepté, des commentaires qu'elle a suscités. Sa portée théorique est d'autant plus grande que, de même que Le Chef-d'œuvre inconnu, elle n'utilise pas la fiction comme illustration mais comme une modalité de l'interrogation sur la nature de la création artistique. La mise en scène textuelle donne aux rapports du récit-cadre et du récit encadré une fonction heuristique et picturale capable de pulvériser les contraintes de la linéarité et du temps de l'écriture. Tout entière centrée autour d'un tableau d'Adonis nu inspiré d'une statue de femme elle-même réalisée d'après le modèle d'un musicien castrat, elle pose la question du génie à partir du corps de l'artiste créateur voué à la mort ou à la monstruosité : le grand art n'exigerait-il pas une radicale insurrection contre ce que nous nommons nature, contre le cloisonnement des sexes, de l'âme et du corps ? Le choix d'un chanteur castrat comme héros central joue le rôle d'une allégorie théorique, suggérant une esthétique qui annonce curieusement celle, à venir, de Baudelaire, et s'écarte de celle qu'on attribue de coutume à Balzac.
Balzac's short story, Sarrasine, is such a strange one that we are surprised by the very small number of studies Barthe's S/Z excepted it has inspired. Its theoretical value is, just a for Le Chef-d'œuvre inconnu, all the greater than could be that of mere illustration : fiction is here a modality of philosophical enquiry about the nature of artistic creation. The scenery which links the narrator's « talking » with the tale thus introduced allows the text to free itself from the constraints of linearity and successivness implied by writing. The fiction thus acquires an heuristic function. Its center is Vien's picture of Adonis, a nude, inspired by the statue of a woman, itself executed after a castrato, a strange mixture of arts and sexes. The question of genius arises from the very body of the artist, necessarily devoted to death or monstrosity. It is as if great art was demanding a radical rebellion against what we call nature, against the partition of masculin and feminin, body and mind. The fact that the central character is a singer (whose art implies the transformation of body into instrument), and a castrato, plays the part of a theoretical allegory suggesting a new conception of esthetics very similar to Baudelaire's...
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 61
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme France Vernier
Le corps créateur ou L'artiste contre la nature
In: Romantisme, 1996, n°91. pp. 5-17.
Citer ce document / Cite this document :
Vernier France. Le corps créateur ou L'artiste contre la nature. In: Romantisme, 1996, n°91. pp. 5-17.
doi : 10.3406/roman.1996.3068
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1996_num_26_91_3068Résumé
Sarrasine est une nouvelle si étrange qu'on s'étonne de la rareté, le S/Z de Barthes excepté, des
commentaires qu'elle a suscités. Sa portée théorique est d'autant plus grande que, de même que Le
Chef-d'œuvre inconnu, elle n'utilise pas la fiction comme illustration mais comme une modalité de
l'interrogation sur la nature de la création artistique. La mise en scène textuelle donne aux rapports du
récit-cadre et du récit encadré une fonction heuristique et picturale capable de pulvériser les contraintes
de la linéarité et du temps de l'écriture. Tout entière centrée autour d'un tableau d'Adonis nu inspiré
d'une statue de femme elle-même réalisée d'après le modèle d'un musicien castrat, elle pose la
question du génie à partir du corps de l'artiste créateur voué à la mort ou à la monstruosité : le grand art
n'exigerait-il pas une radicale insurrection contre ce que nous nommons nature, contre le cloisonnement
des sexes, de l'âme et du corps ? Le choix d'un chanteur castrat comme héros central joue le rôle d'une
allégorie théorique, suggérant une esthétique qui annonce curieusement celle, à venir, de Baudelaire,
et s'écarte de celle qu'on attribue de coutume à Balzac.
Abstract
Balzac's short story, Sarrasine, is such a strange one that we are surprised by the very small number of
studies Barthe's S/Z excepted it has inspired. Its theoretical value is, just a for Le Chef-d'œuvre inconnu,
all the greater than could be that of mere illustration : fiction is here a modality of philosophical enquiry
about the nature of artistic creation. The scenery which links the narrator's « talking » with the tale thus
introduced allows the text to free itself from the constraints of linearity and successivness implied by
writing. The fiction thus acquires an heuristic function. Its center is Vien's picture of Adonis, a nude,
inspired by the statue of a woman, itself executed after a castrato, a strange mixture of arts and sexes.
The question of genius arises from the very body of the artist, necessarily devoted to death or
monstrosity. It is as if great art was demanding a radical rebellion against what we call nature, against
the partition of masculin and feminin, body and mind. The fact that the central character is a singer
(whose art implies the transformation of body into instrument), and a castrato, plays the part of a
theoretical allegory suggesting a new conception of esthetics very similar to Baudelaire's...France VERNIER
Le corps créateur ou L'artiste contre la nature
Malgré, croirait-on, à cause de, serais-je tentée de penser, sa forme de fiction,
Sarrasine apparaît comme une interrogation que Balzac se fait à lui-même autant qu'il
la propose aux lecteurs, sur la nature et le processus de la création artistique. Une
« méditation fictionne Ile » pourrait-on dire en paraphrasant l'expression qu'il utilise à
propos de son héros lorsque celui-ci, ébranlé dans tout son être par la voix de
Zambinella, en proie à un délire qui « lubrifie ses sens », se met à dessiner frénétique
ment et se livre à « une méditation matérielle » : son esprit créateur, comme libéré
par la profonde « dépression morale » où il se trouve plongé par cette irruption sou
daine du corps jusque là domestiqué, « interdit », semble inaugurer une voie inconnue
et féconde. Epreuve véritablement initiatique grâce à laquelle le bon élève de
Bouchardon devient un créateur, un « artiste » au plein sens du terme, capable de pen
ser avec son corps et de convertir l'idée en création.
On sait que Balzac, parangon s'il en est de la puissance créatrice, s'est toujours,
mais tout particulièrement à l'époque où il écrit Sarrasine, passionné pour ce phéno
mène mystérieux qui le fascine chez lui comme chez ses personnages : à quelles
conditions, avec quels risques, pour le créateur comme pour son œuvre, l'imagination,
la pensée, la volonté, la « main » enfin (symbole du corps) peuvent-elles collaborer
harmonieusement pour réaliser une œuvre ? Si Louis Lambert et, plus encore la trilo
d' œuvre inconnu est sans doute le point culminant — que l'on n'a pas gie dont Le Chef
fini d'« interpréter », et qui ne le sera jamais de manière définitive tant son mystère
est capable de relancer, à chaque époque, la méditation - sont, de ce point de vue, les
œuvres qui mettent le plus ouvertement la création au cœur de l'écriture, c'est, beau
coup plus généralement une constante de toute l'œuvre que cette interrogation fasci
née autant qu'angoissée. Pour n'en prendre qu'un exemple hors des romans
spécialement axés sur ce problème, Splendeur et misère des courtisanes, dont le titre
invite pourtant à une autre perspective, est bien, aussi, aimanté par l'écartèlement
entre le beau poète raté, aimé et doué, qu'est Lucien de Rubempré et la puissance de
réalisation, courbant choses, hommes, femmes et institutions à sa loi, mais dépourvue
de capacité artistique qu'est Vautrin, dont le vrai malheur est peut-être de ne pas être
l'artiste qu'il aspire à être sans le savoir. Il est inutile de citer (tant, au fil des pages,
elles sont nombreuses) toutes les réflexions ou allusions qui, de manière presque lan
cinante, viennent ponctuer toute l'œuvre de considérations sur les rapports entre la
capacité d'imaginer, de concevoir, de rêver, et celle de « faire » ; sur les rapports
entre « faire » tout court et « faire » une œvre d'art. S'y ajoute, non moins constam
ment, mais plus souterraine, cette question qui hante le siècle (et continue de nous
hanter) : l'œuvre par excellence, en ce monde « où l'action n'est pas la sœur du
rêve », est-elle l'œuvre d'art, avec ses chances d'« éternité », ou - mythe napoléonien
aidant - l'action hic et nunc, pouvoir ou argent ?
ROMANTISME n°91 (1996-1) 6 France Vernier
Narration, corps et sexe
On a souvent souligné l le caractère exceptionnel, chez Balzac du moins, de la
structure de Sarrasine : en particulier le fait que le récit-cadre, comme dans Adieu,
loin de se limiter à une simple introduction du récit encadré, occupe, en longueur et
pour son intérêt romanesque, une place aussi importante.
Ce dispositif permet une maîtrise du temps remarquable puisque, dans l'étroit espa
ce d'une nouvelle, il en déborde la contrainte en conservant l'avantage d'une perspecti
ve à long terme sur les personnages sans perdre la concision « dramatique » d'une
fiction courte. Il a aussi l'intérêt d'affranchir le récit de la successivité chronologique en
inventant un mode de vision dont l'artifice, et la puissance artistique sont résumés de
manière saisissante dans l'expression utilisée par le narrateur à la dernière page : « Le
portrait que vous a montré Zambinella à vingt ans, un instant après l'avoir vu centenair
e... ». Cette appréhension audacieuse de la durée n'est pas une virtuosité gratuite,
comme j'espère le montrer, et annonce, comme bien d'autres inventions balzaciennes
d'ailleurs, ce que pourra plus tard le cinéma. Enfin ce même dispositif permet, de
manière tout aussi « économique », une savante architecture de points de vue. Si, en
effet, le narrateur demeure le même dans l'un et l'autre cas, sa position énonciative
change, le premier s' adressant aux lecteurs, le second étant doublement médiatisé : il
s'adresse à Madame de Rochefïde et, d'autre part, n'a pas le même statut quant à l'effet
de réalité ; le lecteur ne saura jamais si le récit conté est censé relater des faits donnés
comme historiques ou s'il est un produit de l'imagination du narrateur. Et cette ambi-
guité, soigneusement mise en scène n'est pas sans importance.
Dans un premier temps un narrateur, qui écrit à la première person

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