Le droit entre le droit et le non-droit. Conclusion juridique pour un colloque sur la nuptialité - article ; n°3 ; vol.47, pg 745-759
16 pages
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Le droit entre le droit et le non-droit. Conclusion juridique pour un colloque sur la nuptialité - article ; n°3 ; vol.47, pg 745-759

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Description

Population - Année 1992 - Volume 47 - Numéro 3 - Pages 745-759
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 25
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean Carbonnier
Le droit entre le droit et le non-droit. Conclusion juridique pour
un colloque sur la nuptialité
In: Population, 47e année, n°3, 1992 pp. 745-759.
Citer ce document / Cite this document :
Carbonnier Jean. Le droit entre le droit et le non-droit. Conclusion juridique pour un colloque sur la nuptialité. In: Population, 47e
année, n°3, 1992 pp. 745-759.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_1992_num_47_3_3866LE DROIT ENTRE LE DROIT
ET LE NON-DROIT
Conclusion juridique pour un colloque
de démographie sur la nuptialité
Ai-je Tout été invité a été pour dit, bien entonner dit, dans l'épithalame ce colloque. final? Que Un me hymne reste-t-il à la à joie faire? de
tous les couples qui se sont mariés probablement - quoique jeudi ne soit
point samedi - ça et là, pendant que nous en discutions ? Leurs cris, leurs
chants, leurs klaxons, nous aurions pu les entendre, si nous n'avions été
cloîtrés dans cette salle sans fenêtre. Et nous n'aurions pas refusé nos vœux
à leurs espérances.
Pourtant, je vous en demande pardon si je déçois vos attentes - je
ne suis pas venu dans ce colloque avec le dessein d'exalter la nuptialité,
mais entraîné par le besoin, juriste comme je suis - de m'expliquer avec
l'institution du mariage.
Car le mariage est une institution du droit - du droit civil principa
lement, essentiellement, avant tout ce qu'en peuvent dire les autres droits
(social, fiscal, locatif).
Cette institution, je l'ai étudiée, enseignée, entourée de commentaires,
je n'y ai pas porté la main. Personne, à notre époque, n'a porté la main
sur le mariage.
Voilà un point d'histoire très contemporaine qui a de quoi intriguer.
La Vème République a été marquée par tout un train de réformes du droit
de la famille; dans le livre Ier du Code Civil (le livre «Des personnes»,
qui pourrait être aussi bien nommé le livre « De la famille »), la plupart
des titres ont été remaniés, bouleversés : sur le titre cinquième, «Du ma
riage», rien.
Soyons justes : il est des réformes du droit de la famille qui, ac
complies ailleurs, ont indirectement affecté le mariage. Réformer le di
vorce, c'était nécessairement réformer son contraire (est-ce bien, du reste,
son contraire?). Proclamer l'égalité de l'enfant hors mariage et de l'enfant
du mariage, n'était-ce pas enlever au mariage sa raison d'être (même si,
dans les statistiques, la nature continue d'être mise à part, comme un faire-
valoir de la légitimité)?
Population, 3, 1992, 745-760 746 LE DROIT ENTRE LE DROIT ET LE NON-DROIT
Mais enfin le titre Du mariage n'a pas été, à ce jour, emporté d'assaut
par les Barbares. Pourquoi cette abstention? Ce recul comme devant les
portes d'un sanctuaire? Le législateur, sur sa lancée, après la filiation,
après le divorce, aurait bien pu, comme on disait alors, «libéraliser» le
mariage. Il suffisait, il suffit encore de se promener dans ce titre cinquième,
les droits de l'homme au poing, pour apercevoir des entraves à faire tomb
er, des taches à effacer.
Tenez : le refus des père et mère de consentir au mariage de l'enfant
mineur est discrétionnaire aujourd'hui encore. Cela ne concerne plus que
les filles de 15 à 18 ans : peu de chose, et elles s'en arrangent. Qu'importe?
Nous pourrions leur ouvrir un recours devant le juge des tutelles. Par la
même occasion, nous pourrions balayer le système des « oppositions à ma
riage». Comment peut-on s'opposer à ce qui est un droit de l'homme et
de la femme, garanti par la Convention européenne? Article 12 : A partir
de l'âge nubile, ils ont le droit de se marier et de fonder une famille.
Notez le et qui coordonne : la famille se fonde par le mariage. Nube, felix
Europa, nube. Mais la France ne serait-elle pas sourde?
Tout de même, est-ce bien de cela qu'il s'agit quand on évoque la
réforme du mariage ? De sarcler, biner quelques textes anodins, sans fran
chir les murs de l'enclos? Ceux qui, à l'heure actuelle, pensent à une
réforme du mariage ont dans leur vision une transformation singulièrement
plus profonde : ce serait une réforme qui ferait jouer, dans un sens ou
dans l'autre, la dialectique du droit et du non-droit, les uns penchant à
faire sortir du droit le mariage, à le renvoyer vers le non-droit, tandis que
d'autres feraient sortir du non-droit le non-mariage et le feraient succéder
au droit.
Les deux dossiers, cependant, ne sont pas à parité sur la table du
législateur français. En France, en cette année 91, s'il y a une question
du mariage (comme il y a eu autrefois la question du divorce), ce n'est
pas qu'il soit question de déjuriciser le mariage, de le ramener de lege
ferenda à n'être plus qu'un pacte privé. La suggestion de privatiser le ma
riage peut bien courir en Amérique, comme une queue de reaganisme. Elle
ne peut être utilement envisagée chez nous. A preuve qu'à l'instant où je
parle, une loi est en gésine. Quelque part, aux pieds du Parlement, qui,
bien loin de déjuridiciser le mariage, se propose d'en accroître le poids
juridique, sous les espèces de nouveaux droits successoraux, considérables,
accordés à l'époux survivant.
La question législativement utile se pose en sens inverse. La question
du mariage résumons-la crûment; c'est la question du concubinage. Et elle
peut ainsi s'énoncer : la loi doit-elle intervenir pour conférer un statut glo
bal de droit civil à ce phénomène sociologique qui, présentement, n'en a
pas, qui a noms «union libre», «cohabitation», «concubinage» (retenons
provisoirement toutes ces appellations) ? Un statut est-il nécessaire socia
lement, faisable techniquement, admissible politiquement? LE DROIT ENTRE LE DROIT ET LE NON-DROIT 747
Le problème est sérieux, difficile, grave. Il m'a semblé bon de le
présenter en cette fin de colloque, afin que nous puissions l'emporter dans
nos méditations de citoyens. Ce que j'en pourrai dire ne procède pas d'ex
périences inabouties ou de confidences surprises : il ne faut y voir que
travail d'imagination. En participant au colloque, j'ai rêvé à ce que pourrait
être l'élaboration de l'hypothétique statut. Je demande ainsi aux auditeurs
ou lecteurs qu'ils veuillent bien m' accompagner, dans ce qui sera un simple
exercice de simulation législative, à travers les trois étapes d'un parcours
où ne manquent pas les feux, les signaux capables de nous arrêter. Les
trois étapes que sont très classiquement l'information (I), la construction
(II), la décision (III).
-I-
Le premier acte du parcours législatif consiste à détecter s'il existe
réellement un besoin de loi.
Les faits Le besoin peut être implicite, s'observer dans les faits eux-
mêmes. Des faits, la sociologie nous en apporte par bras
sées : ce sont tous ces couples qui vivent en état de non-mariage.
Mais, tout de suite, jaillit l'objection historico-sceptique : le phéno
mène a toujours existé, et toujours il s'est passé de statut.
Dans la plupart des sociétés, avec l'union ritualisée, ritualisée et mag
nifiée, coexistent des unions de nature différente, stables mais non ritua
lisées, qui acceptent d'être infériorisées au regard de l'institution. La
France, le long des siècles et sous le régime même du Code civil, a eu
sa dose de couples «irréguliers», et l'attitude constante de la loi a été de
les laisser hors de sa sphère. Bien mieux, le système juridique semble sentir
comme salutaire à son propre équilibre de conserver sur ses marges un
exutoire, un non-droit, à la fois espace de liberté et réceptacle pour re
cueillir tous les cas où le mariage est impossible. A quoi bon innover?
Seulement, si cette neutralité du droit a pu être jugée satisfaisante
tant que les concubinages ne représentaient qu'un faible, très faible pour
centage des couples - situé de surcroît dans des catégories peu dynami
ques - le développement, à partir de 1964-68, de cette forme nouvelle
d'union libre qui a été qualifiée de cohabitation juvénile, place la question
sous une clarté inédite. La montée quantitative pe

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