Le Juif errant. Éléments d un mythe populaire - article ; n°9 ; vol.5, pg 84-96
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Description

Romantisme - Année 1975 - Volume 5 - Numéro 9 - Pages 84-96
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1975
Nombre de lectures 45
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Edgar Knecht
Le Juif errant. Éléments d'un mythe populaire
In: Romantisme, 1975, n°9. pp. 84-96.
Citer ce document / Cite this document :
Knecht Edgar. Le Juif errant. Éléments d'un mythe populaire. In: Romantisme, 1975, n°9. pp. 84-96.
doi : 10.3406/roman.1975.4985
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1975_num_5_9_4985EDGAR KNECHT
Le Juif errant.
Eléments ďun mythe populaire
méritent « Les hommes mais ceux n'ont dont pas ils les ont mythes besoin. qu'ils »
F. Lacassin, Tarzan.
L'esprit des hommes, a déclaré Etiemble, « également inapte au pur savoir et
à la fable pure, n'est heureux que dans les régions où les deux interfèrent, dans cet
immense et luxuriant pays de mythistoire où se joue notre destin, où s'égare et
s'ébat notre pensée rêveuse l ». Fable et savoir, fiction et réalité s'entremêlent
presque inextricablement dans la légende du Juif errant, se conditionnent même :
comment comprendre autrement l'émerveillement dont fut saisi un évêque allemand
lorsqu'il rencontra, en 1542 2 cet étrange personnage qui prétendait « avec paroles
probables 3 » avoir assisté à la crucifixion du Christ et qui, depuis ce temps, errait
à travers le monde? Emerveillement accru encore par tous les détails que ce Juif
savait rapporter des premiers siècles de l'ère chrétienne. La grandeur même du
Juif — dans un tout autre sens pourtant que celle de Jésus-Christ — trouve son
appui dans son historicité, et il se peut bien que la question vivement discutée au
début du xviie siècle, s'il s'agissait d'un « spectre mauvais » ou d'un « vray homme
naturel 4 » soit mal posée : le Juif n'est ni l'un ni l'autre ; il se situe entre les deux :
signe de la « manifestation directe et irréversible de Dieu dans le monde 5 >,
il révèle le sacré et les forces ambiguës qui lui sont propres. Fascinons et tremendus
à la fois, il né renvoie pas à une seule réalité, mais à plusieurs : le Juif errant a été
tour à tour représentant éternel du peuple maudit, bouffon ridicule, chroniqueur
impartial, ouvrier souffrant, poète solitaire, prophète illuminé, charlatan, magicien,
humble pèlerin6...
Une de ces réalités fait l'objet de cet article : le peuple. Comment un groupe
a-t-il pu se reconnaître dans un mythe qui, originairement, était celui d'un individu?
Nous essaierons de répondre à cette question en analysant les éléments du mythe
populaire tel qu'il s'exprime dans des récits appartenant à la littérature de colpor
tage. Nous verrons ensuite de quelle manière s'opère la prise de conscience, par
1. Etiemble, Le Mythe de Rimbaud, Gallimard, 1952, t. Il, p. 442.
2. Là date et le lieu de la rencontre varient dans les différentes éditions des livres
populaires : 1542, 1547, 1633, etc., Hambourg, Salem ou Leyden...
3. Voici le titre complet du premier livre de colportage français : Discours véritable
d'un juif errant, lequel maintient avec paroles probables avoir esté présent à voir crucifier
Jésus-Christ. Avec plusieurs beaux discours de diverses personnes sur ce mesme subject,
Bordeaux, 1608. Rappelons qu'histoire avait encore, à cette époque, le sens de « récit
d'événements mémorables et vrais ».
4. Ces arguments sont longuement exposés par Cayet, à la suite de sa traduction de
la Kurtze Beschreibung (premier livre populaire allemand sur le Juif errant), insérée dans
la Chronologie septénaire, J. Richer, 1605.
5. M. Eliade, a Les Mythes du monde moderne я, dans Mythes, rêves et mystères,
Gallimard, 1972, p. 29.
6. Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur à la bibliographie du mythe dont la
première partie vient de paraître dans le numéro 8 de Romantisme, ainsi qu'à l'étude
dont nous préparons la publication. Juif errant. Eléments d'un mythe populaire 85 Le
les écrivains, de ce mythe et de la valeur qu'il faut lui attribuer ; en choisissant
quelques textes dont la popularité ne fait pas de doute, nous préciserons le paral
lélisme entre une littérature à large diffusion, créée au xix" siècle et dite populaire,
et ce fonds légendaire dont elle s'inspire. Mythologie du peuplé et mythe du
peuple : deux aspects d'une même réalité que nous serons obligés de séparer, mais
qui se chevauchent et se relaient.
Histoires, complaintes et portaits sont les trois formes d'articulation du mythe
populaire du Juif errant. Elles se présentent parfois séparément, ou se trouvent
réunies, notamment dans les livres de colportage du xixe siècle. Obéissant à des
impératifs artistiques différents, plusieurs éléments leur sont pourtant communs.
Mais ne nous hâtons pas trop de considérer la littérature populaire comme
immuable : dans notre cas précis il faut bien distinguer deux époques différentes,
une xviir3 première et xixe siècles. comprenant le début du xvrr9 siècle, une seconde embrassant les
La version primitive de l'Histoire merveilleuse (ou véridique, ou admirable) du
Juif errant est un livret allemand contenant le récit de l'évêque Franciscus Eysen,
récit divulgué avec une rapidité étonnante — grâce à plusieurs traductions — à
travers toute l'Europe 7. Sa structure est celle de toutes les Histoires ou complaintes :
le Juif est reconnu par un ou plusieurs personnages qui l'interrogent ; il entame
la narration de ses aventures et se voit, enfin, obligé de prendre congé de ses
interlocuteurs qui commentent l'histoire étrange qu'ils viennent d'entendre.
Le lieu de passage du Juif est en général une ville : rares sont les exemples où
Ahasvérus rencontre, comme dans une première complainte française de 1608, des
gentilshommes ou des soldats en plein campagne. Il apparaît dans une foule, à
l'église ou sur le marché, dont il se distingue aussi bien par ses vêtements étranges
que par son comportement singulier. Quant aux personnes qui le reconnaissent, il
s'agit d'autorités religieuses ou civiles (évêques ou bourgmestres) ou de bourgeois
notables et «dociles8».
Cette distribution sociale des deux partis en présence et la localisation font déjà
remarquer le caractère fondamentalement dialectique du mythe : le Juif est
l'étranger par excellence, l'exclu représentant « le domaine louche et infamant du
paria, du sorcier et du coupable9». S'oppose à lui le monde ordonné de la
communauté, de la cité : église ou hôtel de ville en sont les centres spirituel et
administratif. Or, comme l'a remarqué M. Eliade, « tout ce qui est insolite, singulier,
nouveau, parfait ou monstrueux, devient un récipient pour les forces magico-
religieuses et, suivant les circonstances, un objet de vénération ou de crainte, en
vertu du sentiment ambivalent que provoque constamment le sacré 10 ». Histoires
et complaintes se distinguent, sur ce point, des légendes orales que nous connais
sons: les paysans s'éloignent avec horreur du Juif qui passe et qui provoque une
série de dévastations (paysages alpins transformés en glaciers, villes englouties,
campagnes fertiles devenues des forêts impénétrables), tandis que les citadins
marquent leur respect à l'égard de celui qui a tant souffert et tant voyagé.
Cet accueil ambigu s'explique probablement par les conditions matérielles de la
vie, les citadins se sentant bien mieux protégés contre les forces hostiles que les
paysans n. Mais il ne faut pas oublier que le livre allemand paraît au moment où
la peste ravage plusieurs contrées européennes, et que Franciscus Eysen interprète
lui-même la venue du Juif errant comme un signe apparent de la fin imminente du
monde.
7. L'historien français R. Boutrays note qu'en 1610 il était question du Juif errant dans
toute l'Europe (De Rebus in Gallia et репе tote orbe gestis, cotnmentarii, P. Chevalier,
1610, t. IX, p. 385).
8. Les bourgeois de Bruxelles sont ainsi appelés dans la célèbre complainte dont
l'origine remonte probablement au milieu du xvnr9 siècle.
9. R. Caillois, L'Homme et le sacré, Gallimard, 1972, p. 59.
10. M. Eliade, Traité d'histoire des religions, Pavot, 1964, p. 25.
11. Voir les nombreuses études que R. Mandrou a consacrées aux mentalité

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