Le pari mistralien - article ; n°33 ; vol.11, pg 59-74
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Description

Romantisme - Année 1981 - Volume 11 - Numéro 33 - Pages 59-74
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1981
Nombre de lectures 45
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Fausta Garavini
Le pari mistralien
In: Romantisme, 1981, n°33. pp. 59-74.
Citer ce document / Cite this document :
Garavini Fausta. Le pari mistralien. In: Romantisme, 1981, n°33. pp. 59-74.
doi : 10.3406/roman.1981.4509
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1981_num_11_33_4509Fausta Garavini
Le pari mistralien
II arrive souvent en histoire littéraire que des mythes se créent,
non pas a posteriori mais sciemment fabriqués par les protagonistes
d'un mouvement à ses débuts, dont ils déterminent l'orientation en
gouvernant de ce fait l'interprétation des exégêtes. Point n'est besoin
d'évoquer ici l'exemple de la Pléiade, dont le Félibrige ne s'est que trop
souvent réclamé. Tout, dans la constitution de cette société, sent le
factice, la mascarade au goût vieillot du genre santons et crèche,
personnages en terre cuite revêtus de costumes traditionnels. Rien, par
contre, dans cette pléiade provençale, qui puisse faire songer à la
bataille menée avec une fougue juvénile par Du Bellay et Ronsard pour
« illustrer » une langue qu'il s'agissait d'imposer plutôt que de défen
dre ; alors que pour les félibres il était bien question de défendre une
idiome que l'on sentait mourant, si ce n'est même de protéger son
tombeau et de l'honorer par une dernière guirlande, ainsi que l'écrivait
Mistral en 1851 à son ami Roumanille, qui vaquait alors à son anthol
ogie Li Prouvenqalo (Les Provençales) :
« Vous accomplissez une œuvre qui ne se refera plus : ce sera là la dernière
couronne de la langue du Midi, il ne faut donc rien laisser à glaner ; il faut
que l'amateur, que le savant, que le curieux, trouve dans un même recueil
les noms les plus connus de ceux qui chantaient encore en 1850. Il faut que
tout le monde assiste à ce banquet suprême » (1)
Plus que d'une légion lancée à la conquête ou reconquête d'un
pays (essentiellement d'un pays linguistique), le Félibrige donne bien
l'impression d'un escadron d'arrière-garde qui couvre la retraite en
essayant de sauver ce qui peut être sauvé et d'aménager une reddition
honorable en s'appuyant sur les structures surfaites et chancelantes
d'un passé révolu : une stratégie de conservation.
Il est incontestable en effet que ce mouvement assume d'abord
un caractère rural et passablement réactionnaire qui risque de corriger
d'une nuance saugrenue le terme de « renaissance » provençale dont
on se sert pour le définir. L'attitude du légitimiste et catholique Joseph
Roumanille, visant à racheter la Muse provençale des « sales banalités
que trop de poètes provençaux modernes ont ramassées dans je ne sais
quelles ornières et quels bas-fonds » (2) est certes pour beaucoup dans
(1) Lettre gardée à la Bibliothèque Calvet, Avignon.
(2)de Roumanille à V. Duret, 14 juin 1857, citée par P. Devoluy, Mistral
et la rédemption d'une langue, Paris, 1941, p. 106. Fausta Garavini 60
la couleur idéologique de l'association. Mais le jeune Mistral lui-même,
tenté un instant par 48, n'est en somme qu'un « bachelier virgilien »
(selon la définition d'Albert Thibaudet) qui s'exerce à traduire les
églogues et qui, par ce goût géorgique, se penche sur la civilisation
paysanne en recueillant des mots en train de disparaître, des chansons,
des prières, des légendes, des cantiques, des rondes, des proverbes, dont
il se servira pour le poème de ses dix-huit ans, Li Meissoun (Les Mois
sons). Un reportage, suggère Robert Lafont : « Le goût pour la collecte
des mots qui fera le Trésor du Félibrige engage à l'enquête, et les tr
aductions d'expressions techniques trop particulières pour être comp
rises par tous et partout, en marge du manuscrit, forment déjà un
embryon de dictionnaire. Le goût pour les outils du terroir annonce
l'ethnographe du Museon Arlaten. » (3)
C'est donc un jeune homme de race terrienne, romantiquement
amoureux des traditions populaires, qui prétendra s'adresser, avec
Mirèio, aux « pastre e gènt di mas » (aux pâtres et gens de fermes).
Cette orientation, qui correspond au climat culturel de la bourgeoisie
provençale traditionaliste, imbue d'humanisme scolaire et animée d'un
intérêt paternaliste pour le peuple, sera d'ailleurs confirmée plus tard
par Mistral lui-même, répondant à un questionnaire d'Emile Ripert :
« Les poètes ouvriers qui ont attiré votre attention, n'eurent aucune influence
sur les futurs félibres. Les nuées politiques, socialistes, humanitaires, etc. qui
estompent plus ou moins les productions ouvrières de cette époque, flottaient
bien loin de nos idylles provençales. Nous les primadié, nous étions fils de
terriens propriétaires vivant sur leurs terres, ne parlant que la langue provenç
ale, conservateurs fidèles de toutes les traditions su pays. Nous étions comme
dut l'être Virgile , les vrais enfants du sol. » (4)
On hésite d'autre part à affirmer, avec Robert Lafont (5), que le
Félibrige ait constitué de la sorte une déviation lourde de conséquences
par rapport à un mouvement culturel en pleine effervescence au milieu
du XIXème siècle et dont les protagonistes étaient essentiellement des
poètes populaires (issus du peuple) et citadins. Il est vrai que l'action
félibréenne, s'éloignant de la ville et d'une réalité qui pourrait être por
teuse d'histoire, donne d'emblée à la langue d'oc un statut de langage
paysan, donc lié à une civilisation immobile, à des valeurs archaïques.
Mais les poètes ouvriers et citadins dont les félibres tiennent à se
distinguer ne sont pas porteurs de valeurs plus dynamiques :ils ne font
3) R. Lafont, Mistral ou l'illusion, Paris 1954, p. 31. Cette étude, assurément la plus
intelligente que l'on ait publiée sur Mistral, vient de faire l'objet d'une nouvelle
édition revue et modifiée (Valderiès, Vent Terrai, 1980) où le passage cité se
trouve p. 38. Nous nous permettons d'autre part de renvoyer, pour une analyse
détaillée du rôle de Mistral dans l'évolution de la littérature occitane, à notre
volume L'Empéri d'où Soulèu. La ragione dialettale nella Francis d'oc, Milano-
Napoli, 1967, ainsi qu'à notre histoire de La letterature occitanica moderna,
Firenze-Milano, 1970.
(4) Lettre de Mistral à E. Ripert, 24 janvier 1904 (Bibliothèque Calvet, Avignon).
(5) Ouvr. cité, 2e éd., chap.I (Le Félibrige), passim. pari mistralien 61 Le
qu'imiter maladroitement la poésie bourgeoise de Béranger, Lamartine,
Hugo. Ce qui est en question ici c'est l'opacité même du concept de
« peuple », donc de culture ou de poésie « populaire ». Les félibres,
tout comme leurs prédécesseurs poètes ouvriers, sont dans l'ignorance
du fonctionnement culturel sur lequel ils inscrivent leur production,
méconnaissant d'un même aveuglement que leur appareil littéraire,
qu'ils le posent dans un cadre urbain ou dans la pastorale, dérive des
appareils rhétoriques et idéologiques depuis longtemps classicises et
scolarisés. L'illusion est évidemment d'autant plus grande que la
distance est mieux prise avec les modèles littéraires dominants : qui se
veut « peuple » l'est toujours moins qu'un autre et la poésie « popul
aire » suit immanquablement et en dégradation le sillon d'une culture
non-populaire. De même au plan des idées les aspirations sociales et
« démocratiques » des poètes ouvriers s'estompent dans la tonalité idyl
lique et débonnaire de leurs chansons. Quant aux « patoisants » de
Marseille, qui s'opposèrent d'abord aux félibres d'Avignon, leurs écrits
révèlent (à une exception près, l'extraordinaire Victor Gelu) l'esprit
légalitaire de ces petits bourgeois provinciaux, adhérents pacifiques de
la Monarchie de Juillet et défenseurs d'un libéralisme du juste-milieu
qui n'est pas très éloigné, dans le fond, du legitimisme catholique de
Roumanille. Si l'on peut glaner dans Lou Bouil-abaïsso (hebdomadaire
dirigé par Joseph Désanat, rédigé entièrement en vers, qui parut à

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