Le paysan russe jugé par la noblesse au XVIIIe siècle - article ; n°1 ; vol.38, pg 51-63
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Le paysan russe jugé par la noblesse au XVIIIe siècle - article ; n°1 ; vol.38, pg 51-63

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Description

Revue des études slaves - Année 1961 - Volume 38 - Numéro 1 - Pages 51-63
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur le Professeur Michael
Confino
Le paysan russe jugé par la noblesse au XVIIIe siècle
In: Revue des études slaves, Tome 38, 1961. Mélanges Pierre Pascal. pp. 51-63.
Citer ce document / Cite this document :
Confino Michael. Le paysan russe jugé par la noblesse au XVIIIe siècle. In: Revue des études slaves, Tome 38, 1961.
Mélanges Pierre Pascal. pp. 51-63.
doi : 10.3406/slave.1961.1743
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1961_num_38_1_1743LE PAYSAN RUSSE
JUGÉ PAR LA NOBLESSE
AU XVIIIe SIÈCLE*
PAR
MICHAEL CONFINO
« Le paysan » est un des grands sujets de l'art, de la littérature et
de l'histoire russes. A tel point qu'il semble même qu'il en a toujours été
ainsi. Le XIXe siècle, qui attire souvent notre attention et captive les ima
ginations, nous a habitués à cette pensée et, le moins que l'on puisse dire
est qu'on se représente difficilement la société russe d'autrefois sans cet
intérêt, nuancé mais toujours vivant, pour le paysan.
Le XIXe siècle le vit devenir non seulement un sujet d'intérêt, mais
presque une idole. Les slavophiles en idéalisèrent le mode de vie et récrivirent
son histoire en termes alertes ; au crépuscule du siècle, les narodniki rédi
gèrent pour lui une charte d'avenir, tant sociale que morale et politique,
dont les sources d'inspiration jaillissaient du cœur même de la campagne
russe. Déjà avant eux, des comtesses d'ancienne noblesse se consacraient
avec enthousiasme à rassembler les mille échantillons de l'habileté des
kustari, tandis que des poètes et des écrivains de renom, déguisés en vaga
bonds, couraient les grands chemins et battaient la campagne en quête de
byliny antiques et de chants populaires encore inconnus.
Le sujet majeur de cette activité était le paysan, peut-être convient-il
mieux de dire : l'idée que l'on avait du paysan. Et bien qu'il soit arrivé
à plus d'un de lui attribuer des qualités qu'il n'avait pas et des idées qui
n'avaient jamais effleuré son esprit, il n'en reste pas moins que le fait essent
iel se dégage nettement : chacun s'intéressait à lui, chacun l'honorait à
sa manière, en y voyant soit le symbole vivant de la Russie éternelle, soit
le précurseur de la société de demain.
♦Cet article fait partie de travaux de recherche en vue d'une thèse
de doctorat que dirigea avec érudition et bienveillance M. Roger Portai,
professeur à la Sorbonně et président de l'Institut d'Études slaves, et
qui fut soutenue en en juin 1959, devant un jury où M. Pierre
Pascal nous avait fait l'honneur de prendre place. Les remarques savantes
que ce dernier fit à cette occasion et par la suite, avec tant de cordialité,
furent pour nous aussi précieuses qu'encourageantes. Nous voudrions
lui exprimer ici notre sincère gratitude.
Nous ne prétendons ici que faire connaître quelques conceptions des
seigneurs russes de la seconde moitié du XVIIIe siècle, telles que les
révèlent les « Travaux de la Société libre d'économie » de Saint-Péters
bourg, titre abrégé dans les notes en : TVEO. 52 MICHAEL CONFINO
Mais en fut-il toujours ainsi ? Que pensait de lui la société instruite
cinquante et cent ans auparavant ? Catherine II écrivait bien dans son
« Instruction » que « la culture des terres est le plus grand travail des
hommes»1, et encore, que «les laboureurs (...) cultivent la terre dont les
productions nourrissent les hommes de tous les autres états ; voilà leur
lot »*. Idées importantes, à n'en pas douter, et quoique « inspirées » de
l'œuvre de Montesquieu, elles ne perdent rien de leur portée dans leur
nouveau contexte, et ce détail ne peut faire soupçonner la sincérité de
celle qui les trouva à son goût. C'étaient d'ailleurs des idées courantes à cette
époque en Russie, des idées que partageait (qui s'en étonnerait?) la quasi-
totalité de la noblesse8. L'agriculture était la source des richesses, et le
laboureur — celui qui les faisait venir. Plus qu'une idéologie sociale ou une
doctrine économique, c'était un postulat du bon sens des nobles, dicté par
les réalités.
Le laboureur était donc celui qui faisait venir les richesses de la terre.
C'était son lot. Nous dirions : c'était sa fonction économique. Pour impor
tante qu'elle ait été aux yeux de la noblesse — liée aussi à l'agriculture —
cette opinion ne nous dit rien de ce que les seigneurs pensaient de celui
qui remplissait la fonction de laboureur, ce qu'ils des paysans
qui peuplaient les campagnes, des serfs qui vivaient dans les pomesťja.
Elle ne nous apprend pas comment les nobles voyaient les conteurs de
byliny, les artisans aux mains habiles, en un mot — les hommes.
Tournons la page et passons de la fonction économique à la valeur
humaine. C'est un tableau quelque peu différent qui se dessine devant nous.
Mais d'abord oublions et les temps du paysan idéalisé et ceux, plus sobres,
qui suivirent, où, plus on apprenait à le connaître, plus on comprenait
qu'on ne savait presque rien de lui. Tel n'était pas l'état d'esprit du pomeščik
de cette époque. Pour lui, l'âme, le caractère, en un mot la nature du paysan
russe semblaient ne pas avoir de secrets. Il pensait voir en elle comme il
lirait dans un livre grand ouvert. Il n'avait aucun doute qu'il en connaiss
ait les ressorts intimes, les mobiles, les desseins.
Le pomeščik connaissait le paysan comme il se connaissait soi-même ;
peut-être même mieux, car l'âme d'un dvorjanin était autrement plus
complexe et délicate que celle d'un serf. Au fond, lorsque nous disons qu'il
pensait en connaître les secrets, sommes-nous bien sûrs de ne pas nous
tromper ? L'âme d'un paysan avait-elle des secrets ? Question embarrass
ante. Elle en avait, sans doute, se disait le noble « moyen », si on entend
par là de petites duplicités, des simulations, des arrière-pensées ; elles
attiraient l'attention, en premier lieu celle du prikaščik, surtout parce qu'il
1 Instruction de sa Majesté Impériale Catherine II pour la Commission
chargée de dresser le projet d'un nouveau code de lois, Saint-Pétersbourg,
Académie des sciences, 1769, §297.
• » Cf. Ibid., Izbrannye §358. proizvedenija russkich muslitelej vloroj poloviny
XVIII veka, M., 1952, passim. LE PAYSAN RUSSE JUGÉ PAR LA NOBLESSE 53
fallait les découvrir*, mais à part cela quoi de plus ? A regret ou sans en
faire son deuil, on convenait qu'il n'y avait rien de plus : aucune élévation
d'âme, aucun sentiment profond5 ; aucun trait digne d'intérêt sur lequel
on aurait pu méditer. Une morne désolation spirituelle, quelques préjugés,
une apparence grossière*.
Que restait-il à faire après cette analyse sommaire mais précise ? Car
telle était l'analyse que les seigneurs et tout l'ordre des seigneurs avaient
établie. Et, après l'avoir établie, il semble qu'ils s'en accommodaient fort
bien, chacun pris à part et tous ensemble, et qu'ils en faisaient même la
raison d'une règle de conduite dans leurs rapports avec les paysans. Cela
n'empêchait pas certains de prendre plaisir à lire Rousseau7, ou à chercher
des voies de perfectionnement spirituel dans les rites maçonniques.
Le paysan russe, avec son monde à lui, restait toutefois hors des
schémas limpides et des analyses psychologiques de la noblesse de ce temps.
En fait de platitude, c'était un monde immense qu'on n'a pas encore fini
de découvrir. Le pomeščik côtoyait ce monde sans en connaître l'existence ;
il lui semblait morne parce qu'il n'en voyait que quelques aspects exté
rieurs sans jamais pénétrer au-delà. A quoi bon pénétrer dans le néant ?
Un rideau épais d'étrangeté séparait le maître des « âmes» du monde
dans lequel vivaient les paysans. Leurs chants, leurs contes, leurs légendes
le laissaient indifférent8. Leurs notions et leurs croyances, dont certaines
remontaient à un siècle et d'autres à mille ans et à l'époque préchrétienne,
n'éveillaient ni sa curiosité ni sa réflexion.
Cependant des idées et des mots avaient subsisté hors du temps, et

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