Le poète et le peintre (1870-1885). Les enjeux sociaux et culturels et un face-à-face - article ; n°66 ; vol.19, pg 61-74
15 pages
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Le poète et le peintre (1870-1885). Les enjeux sociaux et culturels et un face-à-face - article ; n°66 ; vol.19, pg 61-74

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Description

Romantisme - Année 1989 - Volume 19 - Numéro 66 - Pages 61-74
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Joël Dalançon
Le poète et le peintre (1870-1885). Les enjeux sociaux et
culturels et un face-à-face
In: Romantisme, 1989, n°66. pp. 61-74.
Citer ce document / Cite this document :
Dalançon Joël. Le poète et le peintre (1870-1885). Les enjeux sociaux et culturels et un face-à-face. In: Romantisme, 1989,
n°66. pp. 61-74.
doi : 10.3406/roman.1989.5628
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1989_num_19_66_5628Joël DALANÇON
Le Poète et le peintre (1870-1885)
Les enjeux sociaux et culturels d'un face-à-face
A la fin du XIXe siècle, le peintre dont les lithographies de 1830 nous ont
transmis l'image légendaire, laissant tomber ses bras, sa palette et ses brosses
devant la toile inachevée, a cessé de faire florès \ Le « mythe de l'initiation »,
l'« ascèse d'une vie tendue vers la survie du nom dans l'au-delà et où la pauvreté
temporelle est comme l'assurance de la postérité », toutes ces composantes du
mythe romantique de l'artiste « investi » qu'illustre Le Chef-d'œuvre inconnu 2,
s'effacent devant le règne de la légitimité académique, avec tout ce qu'elle peut
représenter de sérieux, de posé, voire de bourgeois. A sa manière, le Parnasse,
dans sa période de reconnaissance culturelle (1870-1885), illustre une évolution du
même ordre : récusant la magie censée transcender la technique, il tente de
« purifier le champ littéraire des derniers relents d'une mythologie » désormais
ressentie comme suspecte 3.
Dans ces conditions, comment évolue la « fraternité des arts » dont Sainte-
Beuve, dans ses Portraits contemporains, évoque le souvenir sur le mode
nostalgique 4 ? Quelles sont les relations entretenues par les poètes et les peintres
et quels problèmes de carrières et d'insertion sociale mettent-elles à jour ? C'est
sur ces questions, leur signification et leur portée que nous voudrions attirer
l'attention. A une époque où le public semble témoigner d'une imperméabilité de
plus en plus épaisse pour la poésie (la « déstabilisation intellectuelle du genre »
est pour bientôt) s, la place du peintre se redéfinit face au pouvoir et à la
clientèle : entourée d'une aura de prestige accru, elle ne manque pas de fasciner les
poètes, férus d'aristocratisme baudelairien certes, mais aussi éblouis par la réussite
et l'argent. Paradoxalement néanmoins, le recrutement de ces derniers dans les
instances de médiation entre la peinture et son public, leurs fonctions de critiques
d'art qui préfigurent les reconversions au terme de carrières poétiques écourtées,
imposent une redistribution des rôles et des compétences. D'où ces rapports
ambigus, souvent hiérarchiques et conflictuels, que nous voudrions essayer de
caractériser pour faire apparaître, notamment, comment le Poète cherche à
réaffirmer sa préséance face à son redoutable rival.
Nous intéresse en premier lieu le mode de création des réseaux de relations,
révélateur des comportements collectifs et des structurations sociales qui les
déterminent. Car si l'heureux accord des personnalités (Regnault et Cazalis) 6, la
fatalité du Parce que c'était lui, parce que c'était moi (Feyen-Perrin ci Armand
Silvestře) 7, rendent compte des camaraderies au niveau de la biographie la plus
anecdotique, ces dernières illustrent aussi de manière significative les conduites des
groupes constitués ou en voie de constitution. On en verra un premier exemple,
ROMANTISME n° 66 (1989 - IV) 62 JoëlDalançon
celui de ce bon Parnassien moyen qu'est André Theuriet et du peintre Bastien-
Lepage, dont l'« impressionnisme » édulcoré agace régulièrement Zola. Les
« hasards d'un noviciat administratif » font pour le poète séjourne en juin 1856 à
Danvillers, patrie du peintre, entre Verdun et Montmédy. Aussi, une vingtaine
d'années plus tard, Theuriet se plaît-il à reconnaître en Bastien-Lepage « un
compatriote » 8. Projets de collaboration au cours d'un voyage en Argonne 9,
portrait du poète par le peintre exposé en 1878, correspondance affectueuse au
moment où l'artiste travaille à l'un de ses tableaux les plus importants (Les
Foins) 10, rien de tout cela ne doit masquer l'essentiel. A la fin des années
soixante-dix, Bastien-Lepage est déjà un peintre considéré, que recommandent
plusieurs succès au Salon. De son côté, Theuriet n'en est plus au stade où l'on
rêve seulement de répandre un peu son nom dans les cercles littéraires ; en 1867,
l'Académie française lui a décerné un prix pour son recueil Le Chemin du bois.
C'est dire qu'il est déjà bien engagé sur une « trajectoire académique » u dont ce
genre de récompense peut apparaître comme l'un des indicateurs. Effet immédiat de
ce premier acquis : on a vu Theuriet se mêler peu avant 1870 à la petite colonie
d'artistes et de poètes qui a pris l'habitude de se réunir chaque été à Douarnenez n.
Le noyau de ses fidèles est ici constitué par quelques peintres assez obscurs (le
paysagiste E. Leconte, l'aquarelliste Valério, le mariniste suédois Wahlberg) 13,
mais aussi par des artistes dont la renommée est déjà bien assise : Lansyer, « le
Christophe Colomb de Douarnenez » u et surtout Jules Breton qui va être le
grand triomphateur du Salon de 1872 15. De leur côté, les poètes sont représentés,
outre Theuriet, par Heredia, Sully Prudhomme et Leconte de Lisle, autrement dit
par tout ceux qui dans les immédiates années d'après-guerre vont assurer le passage
du Parnasse de la clandestinité à la légitimité d'une institution 1б. On observe ainsi
qu'au moment où s'esquisse un processus d'« académisation » du Parnasse, des
rencontres, des contacts, des amitiés sont rendus possibles entre des poètes et des
peintres qui, dans l'échelle des valeurs culturelles et des positions sociales qui les
représentent, occupent des places assez voisines.
En ce qui concerne les poètes, cette échelle reste limitée vers le haut pour des
raisons qui tiennent à la dégradation de leur prestige dans les dernières années du
Second Empire 17. Car quelle que soit la promotion de certains d'entre eux, ce sont
des rémunérations essentiellement symboliques qui l'assurent lg. On comprendra
donc que tout contact leur soit interdit avec les peintres les plus huppés qui
exposent au Salon : un Bouguereau ou un Cabanel par exemple. L'obstacle est ici
de nature sociale - et accessoirement esthétique. Sociale, parce que ces modèles de
la réussite financière, gérant leur carrière en négociants avisés comme H.
Tourneur, le héros d'Edmond About, jouissant d'une parfaite intégration dans une
société qui les adule, demeurent des relations inaccessibles pour des poètes qui ont
la plupart commencé par être de modestes surnuméraires de bureaux de ministères.
Esthétiques aussi, parce qu'à la différence d'un Bastien-Lepage, auquel une teinture
de modernisme donne une image de bon aloi, ces deux peintres représentent par
trop le style du Second Empire, « le régime déchu et détesté » 19.
Vers le bas de l'échelle, en revanche, les relations apparaissent autrement
nombreuses et fécondes. L'essor économique des années qui précèdent a jeté « sur
le marché des intellectuels en surnombre pour le système établi des rémunérations
symboliques » ; aussi, par un phénomène analogue à celui que С et H. White
décrivent pour le marché de la peinture à la même époque 20, l'afflux des poètes Le Poète et le peintre 63
est-il en passe de provoquer « l'éclatement du cursus traditionnel de la
consécration académique » 21. En somme, la conquête de la légitimité culturelle
par le Parnasse, décrite par Rémy Ponton, laisse sur le pavé un nombre
considérable de poètes sans prébende, de sorte qu'une large frange de la « populat
ion » parnassienne, demeurée dans une position dominée, se retrouve dans une
situation comparable à celle de tous les peintres qui, à la même époque, luttent
pour leur reconnaissance.
On

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