Le Sphinx et la chimère - article ; n°15 ; vol.7, pg 2-17
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Description

Romantisme - Année 1977 - Volume 7 - Numéro 15 - Pages 2-17
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 35
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M Yves Vadé
Le Sphinx et la chimère
In: Romantisme, 1977, n°15. pp. 2-17.
Citer ce document / Cite this document :
Vadé Yves. Le Sphinx et la chimère. In: Romantisme, 1977, n°15. pp. 2-17.
doi : 10.3406/roman.1977.5070
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1977_num_7_15_5070VADÉ Yves
Le Sphinx et la chimère
I
Dans le chapitre ix d'A Rebours, Huysmans fait réaliser par son per
sonnage une singulière mise en scène :
« II fit apporter, un soir, un petit sphinx, en marbre noir, couché dans la pose
classique, les pattes allongées, la tête rigide et droite et une chimère, en terre
polychrome, brandissant une crinière hérissée, dardant des yeux féroces, éven
tant avec les sillons de sa queue ses flancs gonflés ainsi que des soufflets de forge.
Il plaça chacune de ces bêtes, à un bout de la chambre, éteignit les lampes, lai
ssant les braises rougeoyer dans l'âtre et éclairer vaguement la pièce en agran
dissant les objets presque noyés dans l'ombre.
Puis, il s'étendit sur un canapé, près de la femme x dont l'immobile figure
était atteinte par la lueur d'un tison, et il attendit.
Avec des intonations étranges qu'il lui avait fait longuement et patiemment
répéter à l'avance, elle anima, sans même remuer les lèvres, sans même les regar
der, les deux monstres.
Et dans le silence de la nuit, l'admirable dialogue de la Chimère et du Sphinx
commença, récité par des voix gutturales et profondes, rauques, puis aiguës,
comme surhumaines.
« — Ici, Chimère, arrête-toi.
« — Non ; jamais. »
Bercé par l'admirable prose de Flaubert, il écoutait, pantelant, le terrible
duo et des frissons le parcoururent, de la nuque aux pieds, quand la Chimère
proféra la solennelle et magique phrase :
« Je cherche des parfums nouveaux, des fleurs plus larges, des plaisirs iné
prouvés. »
Ah ! c'était à lui-même que cette voix aussi mystérieuse qu'une incantation,
parlait ; à lui qu'elle racontait sa fièvre d'inconnu, son idéal inassouvi,
son besoin d'échapper à l'horrible réalité de l'existence, à franchir les confins
de la pensée, à tâtonner sans jamais arriver à une certitude, dans les brumes
des au delà de l'art ! »
La ferveur de des Esseintes pour un texte où il retrouve son dégoût
du réel et son désir d'expériences nouvelles correspond bien à ce que l'on
sait du personnage et de l'époque. C'est à coup sûr un bon exemple de
fétichisme littéraire. Mais la névrose de des Esseintes mise à part, on peut
s'interroger sur la portée de l'épisode de la Tentation de St Antoine qui
est ici mis en scène. La question se pose d'autant plus que ce texte, vér
itablement sacralisé par Huysmans (qui va jusqu'à parler ď « incantation »),
se trouve à l'origine de toute une série d'œuvres, les unes poétiques, les Le Sphinx et la chimère 3
autres picturales, qui virent le jour dans le dernier quart du xixe siècle.
Parler de mode serait ici notoirement insuffisant. Mieux vaut se demander
de quelle charge ces vieilles figures mythiques du Sphinx et de la Chi
mère se trouvaient investies au xixe siècle, et si en imaginant leur ren
contre Flaubert n'a pas répondu à une situation historique particulière
que seul le langage du mythe — fût-ce d'un mythe à l'état naissant —
pouvait permettre de traduire.
Le Sphinx et la Chimère appartiennent à des ensembles mythiques
connus, et, dans notre culture, traditionnels. Ensembles néanmoins comp
lexes et toujours mouvants. Les textes homériques parlent de la Chimère
mais ignorent le Sphinx. Les Tragiques procédaient déjà à une contami
nation en assimilant la Sphinge qui apparaît dans l'histoire d'Œdipe avec
le monstre femelle nommé Phix issue, selon Hésiode, de l'union d'Echidna
et de son propre fils Orthos, le chien de Géryon 2. Par ailleurs le même
mot fut utilisé en Grèce pour désigner les sphinx égyptiens. C'est le point
de départ d'une confusion qui n'a cessé de devenir plus complète de l'anti
quité à nos jours, et dont les raisons se laissent entrevoir : outre la fonc
tion probablement fondamentale de gardiens d'un passage (entrée d'une
ville, d'un palais, d'un tombeau) qui est commune à tant de monstres
composites venus d'Orient, c'est la notion générale d'énigme connotée par
le terme sphinx qui va permettre d'unifier dans la conscience linguistique
occidentale des figures mythiques au départ hétérogènes. C'est ainsi que
selon Pluťarque, les Égyptiens mettaient des sphinx devant leurs temples
« pour marquer que leur religion était toute énigmatique » 3. On voit à la
Renaissance Pic de La Mirandole reprendre la même idée : « Pythagore
n'écrivit que peu de choses et les recommanda, à sa mort, à son fils Damo.
Devant les temples cl'Égypte des sphinx sculptés avertissaient qu'on y
conservait sous la protection inviolée des énigmes nouées les enseignements
mystiques ». Les platoniciens de Florence, pour qui « l'obscurité est conçue
comme une valeur essentielle », voient donc dans le sphinx le symbole
de la « tradition sacerdotale » et de l'ésotérisme 4. C'est sous son patronage
que fut mise la science des emblèmes dont les Hieroglyphica d'Horapollo
Niliacus, découverts par un prêtre florentin en 141 9, lancèrent la vogue 5.
Les siècles classiques, comme nous Talions voir, ont systématiquement
amalgamé les sphinx d'Egypte, gardiens des hiéroglyphes, et le monstre
femelle qui fut deviné par Œdipe. Les développements de Pégyptologie
au xixe siècle contribuèrent encore à valoriser l'image des sphinx de l'Egypte
aux dépens de la sphinge thébaine ; mais l'idée d'énigme restait toujours
aussi présente, et peu importe au fond de quelle manière on justifiait la
liaison du sphinx et de l'énigme : si l'on consulte quelques dictionnaires
de l'époque de Flaubert, on constate par exemple que Collin de Plancy
inverse le rapport traditionnel : Sphinx, dit-il, « monstre fabuleux, auquel
les anciens donnaient ordinairement un visage de femme avec un corps
de lion couché. Il devinait les énigmes. » 6
L'histoire de la Chimère n'est pas moins instructive. Par son nom grec,
ce n'est qu'une jeune chèvre, une incarnation du caractère capricant ou
capricieux. Homère la présente comme un monstre composite, lion par
devant, serpent par derrière, chèvre par le milieu du corps 7. Il ne dit pas
comment Bellérophon s'y prit pour la tuer, mais la tradition postérieure
nous apprend que ce fut en enfourchant Pégase 8. Il serait sans doute abus
if d'affirmer qu'elle a été mise en rapport dès l'antiquité avec le rêve,
la rêverie capricieuse ou le fantasme. Cependant les Latins semblent avoir Yves Vadé 4
été frappés par son caractère imaginaire (trait qui n'est guère relevé à pro
pos du sphinx). Lucrèce (V, 902-904) souligne l'impossibilité de cet être
à triple forme. Et Virgile cite la Chimère parmi les monstres qui rôdent
sous l'orme immense où nichent les vains songes 9. Impressionnés sans
doute par son aspect de monstre maléfique, proche du dragon (outre sa
queue de serpent, les Anciens la représentaient toujours vomissant des
flammes), les démonographes en firent un démon 10.
Mis à part le texte d'Hésiode, qui fait de Phix à la fois la demi-sœur
et la nièce de la Chimère, les deux monstres n'apparaissent jamais, dans
la tradition grecque ou postérieure, impliqués dans une histoire commune,
qui les mettrait directement en rapport l'un avec l'autre. Sans doute une
interprétation psychologisante de type jungien peut-elle les confondre
sous la rubrique ď « horreurs monstrueuses » incarnant une « masse de
libido incestueuse », les ramenant en définitive à « l'archétype du Dragon
ou du Sphinx... » u Mais plutôt que de les réduire à un type commun,
partons au contraire de ce fait : l'opposition Sphinx/Chimère, longtemps
non perçue et peut-être même non pertinente, » est devenue active à un
moment

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