Les chiffons de la M(éd)use : Delphine Gay de Girardin, journaliste - article ; n°85 ; vol.24, pg 57-66
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Description

Romantisme - Année 1994 - Volume 24 - Numéro 85 - Pages 57-66
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 85
Langue Français

Extrait

Cheryl A. Morgan
Les chiffons de la M(éd)use : Delphine Gay de Girardin,
journaliste
In: Romantisme, 1994, n°85. pp. 57-66.
Citer ce document / Cite this document :
Morgan Cheryl A. Les chiffons de la M(éd)use : Delphine Gay de Girardin, journaliste. In: Romantisme, 1994, n°85. pp. 57-66.
doi : 10.3406/roman.1994.6231
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1994_num_24_85_6231A. MORGAN Cheryl
Les chiffons de la M(éd)use :
Delphine Gay de Girardin, journaliste
sois femme "Si par tu veux la robe qu'on et homme te prenne par au la sérieux grammaire". [...]
(Sophie Gay à sa fille Delphine)
A l'époque où Sophie Gay donnait ces conseils à sa fille sur la manière de se faire
estimer en tant qu'auteur, ni la mère ni la fille ne pouvaient prévoir que plus tard
Delphine Gay \ "la nouvelle Corinne" et "la Muse de la Patrie", abandonnerait le lau
rier Launay" pour pour le lorgnon écrire 2. son En feuilleton 1836 elle "Le se métamorphose Courrier de Paris" dans 3. La Jusqu'en Presse en 1848 "vicomte elle rédide
gera un commentaire mordant sur la vie parisienne, travestie en homme passionné non
seulement pour la robe mais pour toute la mode et le monde féminins.
Or, cette œuvre et son auteur présentent aujourd'hui un statut équivoque, figurant
aussi peu dans les études sur les femmes journalistes que dans celles sur l'écriture de
la "exceptionnelle" ville, qui a pris pour son être essor rangée aux années parmi 1830. les journalistes D'une part, du Delphine "sexe en Gay masse" serait trop que
Sainte-Beuve voit se ruer vers le champ littéraire à cette époque 4. Le fait d'avoir écrit
pour le grand quotidien de son mari, Emile de Girardin, semble éloigner Delphine
Gay des catégories du journalisme des femmes, qu'il soit "féminin" ou "féministe".
D'autre part, elle se trouve exclue du rang des premiers flâneurs à qui son mari avait
donné une place d'honneur dans les colonnes de La Presse. Mais si, selon Walter
Benjamin, "l'apparition" du feuilleton "résume à elle seule toutes les transformations
que la révolution de Juillet avait apportées à la presse", il abandonne trop vite "Le
Courrier de Paris" qu'il cite comme exemple de "cette élégance si bon marché qui
leur est propre et qui deviendra si caractéristique du feuilleton" 5. Delphine Gay a
bien participé à la mythification de Paris comme "capitale du XIXe siècle" et son cas
s'avère d'autant plus exemplaire en ceci qu'il nous permet de suivre le passage de la
"Muse romantique" des salons de la Restauration jusque dans les colonnes du feuille
ton, espace qu'elle envahit et s'approprie 6. Il est temps de repenser cette double invi
sibilité en situant Delphine Gay à la fois dans le contexte de littérature urbaine et à un
carrefour professionnel où l'auteur fait face aux nouvelles exigences de ce qu'elle
appelle elle-même le "rude métier" du "journalisme féminin" 7.
"Les deux extrêmes se touchent"
Les critiques contemporaines de ses écrits nous révèlent un profil de la femme
dont la prise de parole dans un espace textuel jusqu'alors réservé aux hommes n'est
autre qu'une prise de pouvoir interdite, une effraction scandaleuse.
Romantisme n°85 (1994-3) Cheryl A. Morgan
CROQUIS CHARIVARIQOES.
UNE IUS [ EN 184 8.
Lors de la publication du premier volume des feuilletons, en 1843 8, F. de
Lagenevais dénonce leur vision troublante de la ville 9. Il lui est impossible de suivre
les "infinis détours" de "[c]es riens" qui "se dérobent à la critique" (p. 142). La cause
d'un tel désordre textuel ? - le sexe de l'auteur que la publication en volume a enfin
dévoilé. La seule innovation de la feuilletoniste, c'est d'avoir "approprié son bulletin
de la vie élégante à la forme banale du feuilleton" (p. 143). Delphine Gay ose révéler à
l'œil public les espaces privés et féminisés de la haute société parisienne : "[l]es
salons ne peuvent pas avoir leurs sténographes comme les tribunaux, leurs feuilleto
nistes comme le théâtre". Faire tomber les murs du salon, c'est mettre ensemble des
extrêmes irréconciliables : "[m]onde et feuilleton, cela se repousse [...] vous démocrat
isez l'aristocratie" (p. 136).
De cette première transgression s'ensuit une autre, plus grave encore : "Le
Courrier de Paris" dégrade le "dernier asile" de la "critique sérieuse, instruite et rai-
sonnée" (p. 144). Si le feuilletoniste, sans sujet propre, "cour[t] à tout hasard, accostant
chacun, flânant partout" (p. 145), la femme feuilletoniste, "guerrière brillamment
armée", fait des "expéditions hasardeuses" dans "la vie active" (p. 139). La condamnat
ion est double : non seulement Delphine Gay quitte le salon et échange son sofa pour
une tribune, mais elle s'y livre à une "médiocre macédoine de trivialités et d'insinua
tions médisantes" (p. 145). Enfin, Lagenevais n'a qu'exécration pour la '"femme sat
irique'" qui "'ressemble à Méduse et à Scylla, deux beautés changées en monstres'"
(p.137). Les chiffons de la M(éd)use 59
Chez le pudibond Alfred Nettement, "Le Courrier de Paris" devient un spectacle
de séduction, le pseudonyme masculin n'étant qu'un prétexte "transparent et assez
semblable à ces gazes qui n'ont l'air de cacher que pour mieux attirer le regard sur les
objets qu'elles enveloppent sans les couvrir" 10. Daumier n'épargne pas davantage
Delphine Gay quand en 1848 il la représente en Muse égarée, qui, ayant laissé de côté
sa lyre, s'acharne sur un texte pour La Presse (illustration ci-contre) n. Cette image
en dit long : les doigts tachés d'encre, les cheveux en serpents, la Muse passée à la
presse se transforme en Méduse.
En quoi consiste cette prétendue monstruosité ? Delphine Gay de Girardin, alias
vicomte de Launay, passe en revue le spectacle d'un Paris en train de se moderniser :
éclairage au gaz, nouveaux ministères, monuments et musées, innovations techniques,
chemin de fer, et changements dans les goûts et les plaisirs parisiens. En cela, elle
exploite des modèles "masculins" d'un journalisme sur la vie parisienne, à commenc
er par les comptes rendus du théâtre de l'abbé Geoffroy sous le Directoire, la vogue
des "Lettres parisiennes" de la Restauration, les "Lettres sur Paris" de Balzac (1830),
et surtout les "Esquisses" de l'Hermite de la Chaussée-d'Antin qu'écrit Etienne de
Jouy à partir de 1811 et pendant la Restauration.
Cependant, en s 'inspirant de ces modèles qui présentent tous un "témoin sur place
à Paris", Delphine Gay en élargit le champ culturel et fait défiler les modes du jour.
Son feuilleton offre au public ce qui, selon Benjamin, permet au journal de présenter
un aspect nouveau en reflétant le changement quotidien dans une parade de "cancans"
ď "intrigues de théâtre" et de "'faits-Paris'" (CB, p.44). Et pourtant, tandis que
Benjamin identifie les origines d'une littérature de flâneur, la "flâneuse" chez
Delphine Gay reste "invisible" 12. Anne Freidberg situe cette figure plus tard dans le
siècle dans les allées des grands magasins, où, dans cet espace commercial, celle qui
"ne fait que regarder" participera à une activité pareille à celle du flâneur dans les
passages 13. A part celle de la Méduse, n'existe-t-il alors aucune autre figure de
femme analogue à celle du flâneur ou même du dandy dans la presse à cette époque 14
? Fallait-il être une "flâneuse" pour produire une littérature de flânerie ?
Il faudrait risquer une autre image et une terminologie capables de rendre compte
de la feuilletoniste et de son œuvre car, lorsque Delphine Gay s'aventure dans cet
espace du journal, elle n'a peut-être pas plein droit de cité, mais elle adopte la pers
pective du flâneur pour y introduire des changements d'itinéraire. C'est dans les
"détours infinis" de cet autre espace commercial, le feuilleton, qu'elle exerce un pou
voir déroutant et dérangeant.
L'accent qu'elle met sur les chiffons lui per

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