Les magiciens esquimaux, leurs conceptions du monde, de l âme et de la vie. - article ; n°1 ; vol.22, pg 73-106
50 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Les magiciens esquimaux, leurs conceptions du monde, de l'âme et de la vie. - article ; n°1 ; vol.22, pg 73-106

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
50 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Journal de la Société des Américanistes - Année 1930 - Volume 22 - Numéro 1 - Pages 73-106
34 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1930
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

Extrait

William Thalbitzer
Les magiciens esquimaux, leurs conceptions du monde, de
l'âme et de la vie.
In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 22 n°1, 1930. pp. 73-106.
Citer ce document / Cite this document :
Thalbitzer William. Les magiciens esquimaux, leurs conceptions du monde, de l'âme et de la vie. In: Journal de la Société des
Américanistes. Tome 22 n°1, 1930. pp. 73-106.
doi : 10.3406/jsa.1930.1059
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1930_num_22_1_1059LES MAGICIENS ESQUIMAUX,
LEURS CONCEPTIONS DU MONDE,
DE L'AME ET DE LA VIE,
Par William THALBITZER.
[Planches I-XV).
Introduction .
Le Groenland est la plus grande île du monde et la plus déserte. Il y a un
millier d'années, une première petite troupe de précolombiens et de préscan-
dinaves a émigré au Groenland, venant de l'archipel canadien. Des ruines
montrent le chemin qu'ils ont suivi. Ils ont dû passer des îles les plus
septentrionales par le détroit de Smith jusqu'à la côte où Ross a, en
1818, découvert les Esquimaux polaires, jusqu'au front du Groenland,
que les premiers explorateurs appelaient l'endroit de la Viande, Neqe,
parce qu'il y avait là beaucoup de phoques. Dans ces régions arctiques,
sous les étoiles polaires, se sont montrées une vie humaine et une vie ani
male surprenantes. C'est à ce district, le plus septentrional de la côte
occidentale, que Knud Rasmussen a donné le nom de Thule (prononcez :
Thoulé), avec sa résonance moyenâgeuse à' Ultima Thule.
Une partie des premiers emigrants doit avoir continué plus loin, sui
vant les traces des bœufs musqués, juste au-dessous du cercle polaire,
le long du bord septentrional du Groenland jusqu'à la côte orientale qui
est l'autre côté du Groenland et le côté du pays découvert en dernier. Là,
beaucoup de places en ruines témoignent d'une ancienne population esqui
maude, à présent éteinte ; près d'Ammassalik seulement, on trouva encore
en 1884 un groupe d'environ 500 païens, découverts par le capitaine de
l'armée navale le Dr Gustave Holm. Dix ans après la découverte, le gou
vernement danois a établi à cet endroit une station missionnaire et comm
erciale, la seule colonie de la côte orientale, la colonie dAmmassalik,
que l'on prononce phonétiquement : Amrnattalik, Ammattaling \
C'est là que je suis arrivé en 1905, de Copenhague, d'où un vapeur à
voile nous a conduits vers le courant de glace arctique. Je n'étais accom
pagné que de ma femme. A bord, à part les marins danois, il n'y avait
qu'une femme du Groenland occidental avec ses enfants, la famille du
missionnaire groenlandais qui, l'année auparavant, avait été envoyé au
village capital par le gouvernement. Les matelots n'étaient pas contents SOCIÉTÉ DES AMERICA IN4STES DE PAKIS 74
qu'il y eût des femmes à bord, et ils les rendirent responsables de ce que
les glaces du courant du nord se pressaient contre la côte devant nous
et ne voulaient pas ouvrir passage au bateau.
Il y avait devant nous au moins cinq lieues de glace qui nous séparaient
de la côte, et, pendant huit jours, le bateau resta en pleine mer attendant
une occasion favorable, une ouverture.
Et dans la brume d'un matin, un miracle eut lieu. Cinq kayaks se déta
chèrent du bord des glaces et arrivèrent jusqu'à notre bateau où on les
hala sur le pont. Le chef était un shaman, l'angakkok 1 Ayukuttooq, vêtu
d'une fourrure étincelante de blancheur. Il était indigné et se plaçant
devant le capitaine de notre bateau, il lui dit : « Comment ne peux-tu
pas traverser cette glace avec ton grand bateau quand nous, nous pouvons
venir à toi avec nos petits kayaks de peau. Tu n'es pas un grand capi
taine » (PL II, 1 ; PL III).
Le capitaine ne comprit pas ce que Ayukultooq lui dit, mais selon la
coutume danoise il prit le premier homme des kayaks comme pilote et
le conduisit à sa passerelle. A}rukuttooq ne fut pas long à monter et à
peine était-il arrivé là-haut que la glace était brisée de tous côtés et en
quelques heures le bateau entrait dans la baie, une sorte de port naturel.
L'angakkok avait une fois de plus renforcé sa renommée parmi ses
compatriotes païens : il remercia ses esprits tutélaires et accepta pour ses
services une récompense officielle.
Ayukuttooq commençait toujours par dire : « Je ne suis pas un grand
angakkok mais mon père était un grand angakkok ». Ayukuttooq signifie :
« le modeste, l'humble, celui qui n'est pas content de lui-même ».
Naturellement c'était un hasard, mais son nom était un symbole. Tout
angakkok aime à parler avec modestie de son pouvoir, mais il aime aussi
à louer ses maîtres ou les grands angakkoks du passé. Le père d'Ayu-
kuttooq avait été une des célébrités du Groenland oriental ; il s'appelait
Auffho et son nom avait une autorité même dans les questions théo
riques, que les prêtres païens ont parfois coutume de discuter. On disait
qu'il avait pu voler jusqu'à la lune et visiter la déesse de la mer pour
sauver l'humanité dans le petit monde qui était le seul connu, l'endroit
1. Angakkok, la forme du Groenland occidental, s'écrit phonétiquement au singu
lier : [angak:oq], au pluriel [angakkut].
Dans le dialecte du Groenland oriental le mot se prononce ainsi : au singulier
[angakery], au pluriel [angakin].
Quant à la prononciation il est à remarquer que ng signifie toujours en esquimau
un seul son, la nasale postpalatale qui dans la phonétique est représentée par un
seul signe. — q est une clusile uvulaire analogue au к très retiré près de l'uvule et la
partie inférieure du voile du palais. MAGICIENS ESQUIMAUX 75 LES
où le monde avait été créé, le point central de l'existence : Ammattalik.
Dans le courant de l'hiver je réussis à découvrir les points principaux
du dialecte groenlandais oriental, sur certains points décisifs bien diffé
rents des autres dialectes de la côte occidentale, où j'avais passé l'hiver
cinq ans auparavant. Mais ce n'est qu'à Ammassalik que je trouvai les
vrais et purs Esquimaux. Une année parmi ces gens m'en apprit davan
tage que bien des années d'études au milieu des livres. Peu à peu je
compris combien cette culture s'est différenciée, c'est une culture millé
naire et pas précisément une culture réellement primitive.
Ces chasseurs se montraient en possession d'une civilisation assez
féconde, d'une riche imagination ; c'était un microcosme de traditions et
de coutumes branché originairement sur toute la vieille culture du monde
esquimau, seulement ayant là sur la côte orientale, l'extrême orient des
Esquimaux, une empreinte plus spéciale.
C'est l'Asie qui nous arrive ici à travers l'Amérique jusqu'à l'Atlan
tique, c'est le shamanisme asiatique qui arrive ici par le détroit de Bering,
jusqu'en face de l'Islande1.
I
Les Magiciens (angakkut) dans le Groenland Oriental.
Dans le courant de l'hiver, alors que régnait partout l'obscurité hiver
nale, je rencontrai cinq shamans, angakkoks instruits dans les petits vil
lages au fond des grands fjords Ammattalik et Sermilik. Cinq cents
hommes environ vivaient là dans le plus profond paganisme, dans un
district aussi grand que la Corse, partagés entre 15 villages dont chacun
avait une ou deux longues maisons au plus, contenant chacune 5 à 10
familles. Chaque endroit avait son angakkok, ce qui ne signifie pas qu'il
était le suprême maître de la maison.
En général, les angakkoks n'ont pas d'autorité temporelle, mais une-
forte autorité morale et religieuse. Quand l'angakkok était zélé, on pou
vait attendre de lui une manifestation presque chaque soir pendant tout
l'hiver. Les esprits pénétraient dans la hutte où une seule lampe à huile
était allumée, les autres étant éteintes. Dans un clair-obscur de Remb
randt, on entendait l'angakkok converser avec les esprits dans la langue
mystique et sacrée que les assistants ne comprennent que comme on com
prend un refrain étouffé. La langue des esprits se compose de mots
archaïques qui sont spéciaux aux prêtres. Je me liai d'amitié avec le pre
mier angakkok qui reçut le baptême, Mitsuarnianga

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents