Manifestations symboliques d une transition économique : le Juluru, culte intertribal du « cargo » (Australie occidentale et centrale) - article ; n°2 ; vol.23, pg 7-35
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Manifestations symboliques d'une transition économique : le Juluru, culte intertribal du « cargo » (Australie occidentale et centrale) - article ; n°2 ; vol.23, pg 7-35

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Description

L'Homme - Année 1983 - Volume 23 - Numéro 2 - Pages 7-35
29 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 12
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Barbara Glowczewski
Manifestations symboliques d'une transition économique : le
Juluru, culte intertribal du « cargo » (Australie occidentale et
centrale)
In: L'Homme, 1983, tome 23 n°2. pp. 7-35.
Citer ce document / Cite this document :
Glowczewski Barbara. Manifestations symboliques d'une transition économique : le Juluru, culte intertribal du « cargo »
(Australie occidentale et centrale). In: L'Homme, 1983, tome 23 n°2. pp. 7-35.
doi : 10.3406/hom.1983.368369
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1983_num_23_2_368369MANIFESTATIONS SYMBOLIQUES
D'UNE TRANSITION ÉCONOMIQUE :
LE "JULURU", CULTE INTERTRIBAL DU "CARGO"
(Australie occidentale et centrale)
par
BARBARA GLOWCZEWSKI
I. Le sacrifice des « tables » du « Juluru » : Australie occidentale,
ANNÉES VINGT
Paddy Row a plus de soixante ans. Il est né dans la plaine Roebuck, le désert
de terre noire de la côte ouest australienne, chez les Nyigin, mais sa mère l'a fait
élever par des Garadgeri, pour le cacher des Blancs. Les Garadgeri finirent par
être sédentarisés dans une mission de la côte, Lagrange. Ayant grandi, Paddy
s'est lancé seul et a marché loin vers le nord-ouest. Il a rencontré la tribu des
Jubid-Jubid où il n'y avait pas d'enfants ; les anciens avaient refusé d'engendrer
à cause des Blancs. Paddy a vécu quelques années chez eux, d'abord seul puis
avec sa femme. Ils sont tous morts et il les a enterrés, mais avant de mourir ils lui
ont transmis la charge de ce pays. Aujourd'hui Paddy a vingt-deux petits-enfants
et treize arrière-petits-enfants. Tous vivent avec lui sur cette terre qu'il a reçue
des Jubid-Jubid, à proximité de Broome. Paddy a réussi à obtenir un bail foncier
pour quatre-vingt-dix-neuf ans : « D'ici là », dit-il, « même mes arrière-petits-
enfants seront morts. » A la ferme de Paddy, les Blancs n'ont pas accès, mais il a
ouvert un musée en ville. Paddy s'est battu toute sa vie. Maintenant il semble
heureux. Parfois, il dit avec amertume que les jeunes ne peuvent plus danser et
chanter comme les anciens, mais il précise que l'essentiel, c'est qu'ils s'identifient
fièrement à leur peuple.
Dans les années vingt, à Lagrange, Paddy a vu célébrer un culte, le Juluru,
qui venait du sud (Port Hedland) et qu'il aida à transmettre au nord (Broome).
Paddy, je l'ai rencontré en 1980, lorsque je cherchais à Broome des Aborigènes
susceptibles de m'en parler. En effet, j'avais assisté l'année précédente à la célébra
tion de ce culte chez les Walpiri (Désert central). Ils disaient qu'à l'origine, une
L'Homme, avr.-juin 1983, XXIII (2), pp. 7-35. BARBARA GLOWCZEWSKI 8
femme de Broome l'aurait rêvé et que les Walmadgeri de Balgo (Australie occi
dentale, près de la frontière du Territoire du Nord) le leur avaient transmis.
A Broome, les Aborigènes racontent que c'est un homme du nom de Coffin qui l'a
rêvé à Port Hedland. Dans son rêve, il aurait rencontré les noyés du paquebot
Koombana disparu corps et biens au large de la côte ouest, entre le 21 mars et le
3 avril 1912 (date à laquelle on retrouva quantité d'objets qui furent identifiés
comme provenant de ce bateau). Les esprits des Aborigènes noyés auraient
chargé Comn de transmettre, sous la forme d'un culte, un message aux vivants.
Description par Paddy du « Juluru » à Lagrange (voir tableau, infra, pp. 30-31)
Un jour, après seize heures, toute la communauté fut contrainte de marcher
vers un puits qui se trouvait à un mile environ au nord. Là, des danseurs
enduits de noir de fumée leur firent peur en criant « kuuku-ku » (« esprits
dangereux »). Tout le monde s'enfuit en courant et revint à Lagrange où
avait été préparé un terrain cérémoniel pour un coroboree1, le kalanjuri.
On devait chanter, c'était pour « alléger la peur des gens ». Des hommes
firent une danse jukura-kakara (« demain à l'Est » : les ancêtres emmèneront
les hommes au pays rêvé du Levant). Les danseurs portaient un bâton
fixé au cou, à l'horizontale, et en tenaient un autre en forme d'épée dans la
main. L'un après l'autre, ils s'arrêtèrent devant trois feux disposés per
pendiculairement aux spectateurs. Après cette danse, tout le monde
s'endormit.
Le lendemain, la cloche sonna dans l'après-midi, et ils durent tous
marcher vers l'est. Trois fois ils s'arrêtèrent et repartirent au signal de la
cloche. Ils arrivèrent à un terrain cérémoniel, wuuragu, lieu des esprits
mauvais, kuuku. Il y eut à nouveau un kalanjuri, avec la danse jukura-
kakara. D'autres danseurs arrivèrent, agitant des branches feuillues :
cette danse s'appelait wampurukarkarda, elle évoquait les naufragés
sautant du paquebot Koombana tandis qu'il coulait. Une nouvelle danse,
wajari-wajari, suivit : une file d'hommes, représentant les esprits des noyés,
se balançaient les mains derrière le dos. D'autres, accompagnés cette fois
de femmes, surgirent, une torche dans chaque main ; chaque femme vint
se placer à côté d'un homme que selon le système de parenté (à quatre
sections) elle pouvait épouser, frappant ses torches l'une contre l'autre
au-dessus de l'épaule de son voisin, provoquant des étincelles qui le brû
laient. Chaque homme fit de même au-dessus de l'épaule de sa partenaire :
c'était le « combat de feu », katarinia (un homme ou une femme non cou
pables d'adultère ne souffriraient pas de leurs brûlures). Cette danse repré
sentait les fusées de lumière qui auraient été envoyées du bateau en
détresse. Puis tous s'endormirent et, juste avant le lever du jour, le combat
de feu reprit. Suivit une danse réservée aux hommes, pendant laquelle les
femmes durent se couvrir. Ensuite, ils rentrèrent tous à Lagrange.
Le soir de ce troisième jour, les célébrations reprirent sur le terrain
sacré, wuuragu. Un homme dansa tenant une perche en forme de lance.
1. Les Australiens blancs ont adopté ce terme pour désigner toute cérémonie aborigène. LE « JULURU », CULTE DU « CARGO » 9
II fut suivi d'une dizaine d'autres danseurs munis d'une perche identique
qui représentait ce qui aurait permis à Coffin dans son rêve de se rendre
jusqu'au bateau. Pour clore la danse, appelée wiyuuru, toutes les perches
furent jetées dans la même direction, à l'est. Suivit le combat de feu, puis
tout le monde s'endormit.
Le quatrième jour, à nouveau sur le terrain wuuragu, eut lieu une
danse, représentant l'équipage ivre avant de se jeter à l'eau. Un mât,
peint en rouge et noir, walkaruru, fut érigé, symbolisant celui du bateau.
Ensuite, trois femmes « envoyèrent trois hommes dans le ' bush ' »2 ; ils y
restèrent un jour durant. En attendant leur retour, danseurs et spectateurs
s'endormirent et, au lever du jour, ils rentrèrent tous à Lagrange.
Le cinquième jour, trois gigantesques tentes carrées furent dressées
sur le terrain wuuragu. Les trois hommes revenus du bush dansèrent
devant les tentes, entre quatre feux : ils incarnaient les trois capitaines
du Koombana. La danse s'appelait table-kurru, table désignant les trois
tentes qui représentaient les richesses perdues à bord du bateau. En fait,
deux des hommes faisaient figure d'esprits rai (nom traditionnel d'esprits
initiateurs de chamanes dans tous les Kimberleys, chaîne de montagnes du
Nord-Ouest de l'Australie). Le troisième homme incarnait, lui, l'esprit
de Coffin devenu chamane ; depuis son rêve du Koombana, les deux rai ne
l'auraient plus quitté.
Le sixième jour, tous les « boss » du Juluru, hommes ou femmes, appelés
nyiniri, allèrent brûler les tables (les trois tentes). La fumée qui s'en
dégageait était dite dangereuse pour les autres. Pendant les six jours de
culte, les nyiniri eurent la responsabilité d'organiser les cérémonies. Un
autre groupe, les kangara, fut chargé d'allumer les feux et d'approvisionner
les gens en eau. C'étaient eux qui avaient exécuté la danse du premier jour,
kuuku-ku, qui avait fait fuir tous les non-initiés, puis la danse jukura-
kakara qui « allégeait la pe

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