Mentalité et vocabulaire des marchands florentins au début du XVe siècle - article ; n°6 ; vol.22, pg 1206-1226
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1967 - Volume 22 - Numéro 6 - Pages 1206-1226
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1967
Nombre de lectures 39
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Christian Bec
Mentalité et vocabulaire des marchands florentins au début du
XVe siècle
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 22e année, N. 6, 1967. pp. 1206-1226.
Citer ce document / Cite this document :
Bec Christian. Mentalité et vocabulaire des marchands florentins au début du XVe siècle. In: Annales. Économies, Sociétés,
Civilisations. 22e année, N. 6, 1967. pp. 1206-1226.
doi : 10.3406/ahess.1967.421859
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1967_num_22_6_421859DÉBUT DU XVe SIÈCLE : AU
Mentalité et vocabulaire
des marchands florentins *
Durant ces dernières années, plusieurs essais ont été consacrés à
l'étude de la notion de fortune chez les écrivains italiens du début
du xvie siècle, dont Machiavel en particulier 1. Mais aucune de ces
enquêtes n'a vraiment dépassé le plan de la critique littéraire 2. Or
il nous semble que l'analyse d'un tel thème, si intimement lié à de
profondes infrastructures mentales, ne peut être menée in abstracto,
en négligeant les réactions instinctives des contemporains et les idées
reçues depuis des siècles. Au vrai, malgré qu'il en ait parfois, Machiavel
lui-même n'ignore point les conceptions des hommes d'affaires qui ont
fait Florence et l'ont gouvernée sans partage au début du Quattrocento 3.
* Nous remercions très vivement M. le professeur F. Braúdel et le Comité de
Rédaction des Annales E.S.C. d'avoir bien voulu nous demander d'adapter et de condens
er pour la revue un chapitre de notre ouvrage : Les marchands écrivains, affaires et huma
nisme à Florence, 1375-1434, Paris-La Haye, Mouton et Co, 1967 (Collections de
l'École Pratique des Hautes Études, VIe Section).
1. A. Doken, « Fortuna im Mittelalter und in der Renaissance », Vortrâge der
Biblioték Warburg, I, Berlin-Leipzig, 1922-1923, pp. 71-144 ; H. W. Patch, « The
Tradition of the Goddes Fortuna in Roman Littérature and in the Transitional Période,
Smith College Studies in Modern Languages, III, Northampton (Mass.), 1922, 3,
pp. 131-177 ; 4, pp. 179-235 ; ID., The goddes Fortuna in Mediaeval Literature, Cam
bridge (Mass.), U.P., 1927 ; R. Palmarocchi, « II concetto di fortuna nel Guicciar-
dini », Archivio storico italiano, IV (1941), p. 4, sqq. ; G. Procacci, « La fortuna nella
realtà politica e sociale del primo Cinquecento », Belfagor, VI-4 (1951), pp. 407-421 ;
G. Sasso, Niccolb Machiavelli, storia del suo pensiero politico, Napoli, Istituto Italiano
per gli studi storici, 1958 ; M. Santoro, Fortuna, ragione e prudenza nella civiltà
letteraria del Cinquecento, Napoli, Liguori, 1966.
2. Cependant un essai de F. Gilbert sur la pensée politique à Florence au temps
de Savonarole et de Soderini (in Machiavelli e il suo tempo, Bologna, II Mulino, 1964)
apparaît comme une ébauche du type d'étude que nous souhaitons. L'auteur consacre
en effet quelques pages à l'analyse des termes de fortuna et prudenza tels qu'ils appa
raissent dans les interventions des hommes politiques florentins du début du xvie siècle
participant aux assemblées. Par contre, M. Santoro (op. cit.) n'étudie les concepts
de fortuna, ragione et prudenza qu'à travers les écrivains du début du Cinquecento,
de Pontano à Machiavel (cf. à ce propos С. Вес, « Fortuna ratio et prudentia au
début du Cinquecento. », Les Langues néo-latines, 1967, 61-1.
3. Certes, affirme, dans une lettre du 9 avril 1513 : « Ne sachant dis-
1206 vocabulaire; des marchands florentins
Aussi nous proposons-nous d'entreprendre ci-dessous l'analyse
du terme de fortuna, tel qu'il apparaît dans les écrits les plus immédiats
— mémoires, livres de raison, correspondances — des mercatores flo
rentins de la fin du xive et du début du xve siècle. Les nombreux
relevés que nous avons faits nous ont conduit à envisager corrélat
ivement les thèmes de ragione et prudenza, car ils sont régulièrement
liés à celui de fortuna dans les documents considérés. A eux trois,
fortuna, ratio, prudentia permettent de décrire l'appréhension du réel
et la dialectique de l'action chez les marchands en question.
Pour ces hommes, la fortuna est d'abord la tempête, qui met en
danger les navires. Dès le xive siècle, on rencontre le terme en provençal,
en roumain, dans les dialectes italiens ainsi qu'en français. Il passe du
vénitien dans les langues balkaniques, en arabe, en turc et en grec.
N'est-ce pas là le signe des échanges linguistiques qui se développent
dans le bassin méditerranéen et de la puissance de la marine italienne
au Trecento ?
Durant cette époque, l'expression fortuna di mare apparaît sans
cesse sous la plume des marchands florentins. Cette fréquence except
ionnelle tient au fait que le commerce maritime n'est plus le domaine
réservé des colleganze portuaires. Car les marchandises appartenant
aux compagnies florentines voyagent sur des navires battant pavillon
génois ou vénitien et Florence s'ouvre un débouché sur la mer grâce
à l'acquisition de Pise en 1406.
Aussi les hommes d'affaires florentins font-ils souvent allusion
dans leurs écrits publics et privés aux tempêtes qui les frappent tantôt
directement tantôt par personne interposée : ils participent aux fortunes
de mer. Pitti raconte par exemple dans ses Mémoires qu'il essuya
à deux reprises de terribles tempêtes. « Je louai, écrit-il, un navire
marseillais et y chargeai mes chevaux ; je tardai vingt-deux jours
à atteindre Venise à cause de la tempête (fortuna) et des vents
contraires » x. Il raconte ailleurs : « Nous quittâmes Marseille et, à cause
de la tempête (fortuna), nous restâmes dix-sept jours en mer avant
d'arriver à Porto Pisano et fûmes sur le point de passer en Barbarie.
courir ni de l'art de la soie, ni de l'art de la laine, ni des profits, ni des pertes, il me
faut parler de l'État et je dois soit faire vœu de me taire soit traiter ce sujet ». D'autre
part, le secrétaire florentin ne laisse guère de place à l'économie dans ses analyses
politiques. Il n'en reste pas moins qu'il connaît les marchands historiens du début
du xve siècle et que, dans quelques passages de son œuvre, il admet que les affaires
ont une grande importance dans la vie florentine. Dans les Nature di uomini fiorentini,
par exemple, il écrit à propos d'Antonio Giacomini : « Son père l'envoya à Pise pour
y exercer le commerce auquel se livre toute la bourgeoisie de Florence et qui est la
source principale de la prospérité du pays » (in Œuvres Complètes, Paris, N.R.F.,
1958, p. 1489).
4. B. Pitti, Cronica, con annotazioni ristampata da A.Bacchi Delia Lega, Bologna,
Romagnoli, 1905, p. 41.
1207 ANNALES
Du fait de la puissance de la tempête (fortuna), la galiotte perdit de
vue les galères durant la nuit » 1. De même, rentrant en 1385 d'un
pèlerinage en Terre sainte, le marchand florentin Simone Sigoli est
exposé par la fortune de mer à la même tragique alternative, naufrage
ou capture par les pirates barbaresques 2. Quant aux ambassadeurs,
justement envoyés par Florence auprès du sultan afin d'ouvrir des
débouchés à ses navires, ils courent des périls à peu près identiques :
« Le 30 novembre, lit-on dans leur rapport, le soir, à la vingt-deuxième
heure, nous arrivâmes au cap Saint- Ange et fûmes surpris là par une
telle tempête (fortuna), qu'éloignés du port d'un demi-mille nous ne
pûmes y entrer, mais dûmes jeter l'ancre ; nous fûmes en grand danger,
car le vent et la tempête (fortuna) étaient si forts que nous craignîmes
que l'ancre ne nous retînt pas » 3.
Dans toutes ces phrases, simples, certes, mais non dépourvues
d'émotion, les marchands florentins expriment clairement leur sentiment
d'impuissance en face des hasards terribles et inopinés de la fortune
de mer. Celle-ci est pour eux, comme pour tous les marins, le type
même des contingences imprévisibles, qui affectent affaires et existence
en apportant retards, ruine, périls et mort.
Mieux, les tempêtes n'apparaissent pas étrangères à l'histoire de
Florence. Le chroniqueur Giovanni Villani en cite deux, particulièrement
catastrophiques : l'une qui fit de nombreuses victimes en 1328 au
large de Constantinople 4 et l'autre, non moins désastreuse, qui

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