Mort et transfiguration : le modèle russe dans la révolution chinoise - article ; n°2 ; vol.2, pg 41-108
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Description

Extrême-Orient, Extrême-Occident - Année 1983 - Volume 2 - Numéro 2 - Pages 41-108
68 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

Extrait

Yves Chevrier
Mort et transfiguration : le modèle russe dans la révolution
chinoise
In: Extrême-Orient, Extrême-Occident. 1983, N°2, pp. 41-108.
Citer ce document / Cite this document :
Chevrier Yves. Mort et transfiguration : le modèle russe dans la révolution chinoise. In: Extrême-Orient, Extrême-Occident.
1983, N°2, pp. 41-108.
doi : 10.3406/oroc.1983.887
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/oroc_0754-5010_1983_num_2_2_887ET TRANSFIGURATION : LE MODELE MORT
RUSSE DANS LA REVOLUTION CHINOISE
Yves Chevrier
Rien a priori de plus éloigné de la révolution chinoise que la
révolution russe. Paysanne, nationale, ouverte aux élites progress
istes, la première a rassemblé tout un peuple en créant une nation ;
ouvrière, internationaliste et sectaire, sa devancière a divisé la
Russie (1). Devenue banale dans ce qu'elle a d'étranger au lén
inisme (implantation rurale, guérilla, résistance nationale), la
formule maoïste a détrôné celle de la grève insurrectionnelle et
du double pouvoir en dotant le marxisme-léninisme, qu'elle a
conservé, d'un autre modèle, mieux adapté au sous-développe
ment et aux luttes d'émancipation du tiers-monde dont la Chine
et sa révolution sont comme l'archétype. Grâce à ce développede la technique révolutionnaire, le maoïsme dépasse les
innovations léniniennes et rejette la révolution russe dans le cercle
étroit des révolutions européennes : celui des villes et des sociétés
intégrées par le développement économique et/ou l'action unifi
catrice d'un Etat central fort. Mais il y a plus. Le maoïsme n'a pas
seulement inauguré un communisme rural, anathème au fondateur
du bolchevisme : il s'est érigé en communisme national, l'original
ité stratégique s'étant soldée par une autonomie politique qui,
à terme, devait dresser l'une contre l'autre deux Mecques rou
ges (2). Enfin, c'est la révolution chinoise elle-même, par son évo
lution, qui souligne le contraste : l'échec de «sa» répétition géné-
41 (en 1 927) est celui d'une stratégie urbaine due en très grande rale
partie à l'action du Komintern, lequel importe et impose un modèl
e russe au cours des années 1 920 (3).
Un greffon prestement rejeté : telle serait l'histoire, simple en
apparence, du modèle russe dans la révolution chinoise. En appa
rence seulement : une analyse plus fine contredit ce schéma sur
trois points essentiels.
Premier point : est-ce la stratégie léninienne qui est rejetée en
1927 ou bien (comme Trotsky et H. Isaacs l'ont prétendu (4))
un modèle trahi par l'adjonction d'une alliance dénaturante avec
la «bourgeoisie nationale» et le Guomindang (dans le cadre du
premier Front uni) ? Répété ad nauseam, cet argument a au moins
le mérite de souligner un fait essentiel : trahison ou adaptation,
la stratégie appliquée par le Komintern à la Chine des années
1920 est un modèle russe déjà développé par lequel une doctrine
forgée pour l'Occident urbanisé et industrialisé tente de se plier
au moindre développement des sociétés traditionnelles d'Orient.
A mauvais escient, certes. Mais qu'elle le fasse avant et pendant la
crise de 1 927, c'est là une évolution souvent négligée sans laquelle
on simplifie à tort l'échec final. Quels sont le calendrier, les sour
ces et la portée de ces adaptations ? Pourquoi l'orthodoxie rate-t
elle son rendez-vous avec l'arriération ? Voilà les questions qu'ins
pire le transfert chinois aux réponses partielles et toutes faites
qu'on doit au succès de la vulgate trotsko-isaacienne ( § I).
Second point : dès l'instant où le maoïsme clame la filiation
orthodoxe de ses pratiques rurales, mais aussi parce que la «voie
chinoise» est un bolchevisme au pouvoir qui retrouve et adapte
de son propre chef, dans les «régions libérées» qu'elle contrôle
au cours des années 1940, les structures mises en place dans
l'Union soviétique des années 1 920, le modèle connaît une paradox
ale survie post mortem en une sorte de transfert second par
personne interposées et fidélité sélective non plus à la seule
déchirure d'Octobre 1917, mais au temps long de la révolution
russe. Délivré des contraintes politiques étouffantes d'une ortho
doxie exogène mal adaptée, le communisme chinois forge une
orthodoxie bien moins indigène qu'endogène. Comment le maoïs
me est-il sorti des décombres de 1 927 ? ce modèle
russe, désincarné, filtré, élargi et intégré, joue-t-il son rôle d'émi-
nence grise à l'heure des affinités électives ? ( § II).
Troisième point : bien qu'elle se soit faite en porte à faux dans
les années 1920, l'articulation de l'orthodoxie moscovite sur la
réalité chinoise ne s'est pas bornée à modéliser cette réalité (en
produisant des stratégies et les justifications socio-économiques
de ces stratégies) : elle l'a modelée profondément, grâce à des
42 . relais. Relais tout prêts, comme l'enthousiasme des intellectuels du
4 mai 1919 pour le message d'Octobre, mais surtout relais forgés,
façonnés de toutes pièces dans la plus grande fidélité aux principes
du volontarisme léninien : ainsi apparaissent un parti, un nouveau
type de rapports avec la classe ouvrière, mais aussi, à la périphérie
du mouvement communiste, un Guomindang renouvelé, une
armée, un commencement d'action sur la paysannerie... Ces relais,
y compris celui du parti, se dissolvent après la cassure de 1927.
Mais une certaine manière de concevoir l'histoire et le monde,
la Chine et la révolution, certaines méthodes d'organisation et
certains comportements fondamentaux, appris directement aux
sources soviétiques des années 1920, demeurent comme autant
de permanences mentales venues féconder (et figer) l'enthousiasme
souvent confus des premiers intellectuels communistes pour le
modèle russe à l'époque du 4 mai. Le cycle adaptatif (de l'idéolo
gie marxiste-léniniste) que dessine la révolution chinoise est
discontinu au niveau des hommes et des stratégies. La vraie conti
nuité existe cependant, mais c'est dans les représentations collec
tives du communisme chinois, dans ses mentalités, qu'il faut la
chercher (J III).
I. Equivalence ou trahison ?
1.1. Le modèle du modèle (1905-1920)
Trois traits, plutôt trois séries de traits fondamentaux, paraissent caracté
ristiques de la stratégie léninienne et, par extension, du modèle russe.
1) La plus évidente de ces caractéristiques est sans nul doute l'organisation
d'un parti en tant qu'avant-garde du prolétariat destinée à structurer la
conscience et les luttes de la classe ouvrière afin de les élever au niveau
«politique» de la grève de masse en vue de la prise du pouvoir. Sans ce «fac
teur subjectif» déterminant, point de révolution, mais un spontanéisme
«petit-bourgeois» qui conserve l'ordre social. Ainsi, les professionnels de la
révolution ne se contentent pas de refléter un déterminisme économique
de manière attentiste (5). Même si Lénine admet que leur réussite dépend de
«conditions objectives» (crise économique, crise de l'État telle qu'en provo
que une guerre) sur lesquelles ils n'ont pas de prise directe, ils sont par excel
lence volontaristes.
2) Guère moins importante mais plus difficile à saisir est ce qu'on pourrait
appeler la conception multiclasse de la révolution. Le «parti du prolétariat»
peut et doit s'allier à d'autres classes et à d'autres partis dès lors que les
retards objectifs de l'histoire ou l'avance subjective des révolutionnaires
43 additionnent des «contradictions» propres à plusieurs phases du «dévelop
pement capitaliste». Ainsi se précise le schéma d'un raccourci politique dans
lequel le volontarisme d'une avant-garde compense à la fois l'insuffisance
de la classe ouvrière en regard de sa vocation révolutionnaire et le retard
socio-économique du contexte. Sous l'angle de la doctrin

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