Naissance de l ailleurs - article ; n°1 ; vol.1, pg 177-186
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Naissance de l'ailleurs - article ; n°1 ; vol.1, pg 177-186

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Description

Romantisme - Année 1971 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 177-186
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 15
Langue Français

Extrait

M Pierre Barberis
Naissance de l'ailleurs
In: Romantisme, 1971, n°1-2. pp. 177-186.
Citer ce document / Cite this document :
Barberis Pierre. Naissance de l'ailleurs. In: Romantisme, 1971, n°1-2. pp. 177-186.
doi : 10.3406/roman.1971.5387
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1971_num_1_1_5387PIERRE BARBÉRIS
Naissance de Tailleurs
A la fin du Misanthrope, Aleeste annonce :
Trahi de toute part, accablé d'injustices,
Je vais sortir ďun gouffre où triomphent les vices
Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d'être homme ďhonneur on ait la liberté.
Arnolphe, bourgeois ridicule et odieux, ne parlait pas ainsi, et ce ne sont
point là paroles de maniaque. Endroit écarté, honneur, liberté : chez Rousseau,
ce sera la vertu et ce sera Clarens. C'est un avenir et c'est une patrie. L'hon
neur, c'est la morale aristocratique et chevaleresque, dénaturée, salie par la
société nouvelle de l'argent, de la cour et des carrières ; l'honneur est quelque
chose à retrouver, mais peut-être aussi quelque chose à refaire. La liberté,
c'est la morale nouvelle du mérite personnel et des droits de l'homme; la
liberté est quelque chose à conquérir, mais peut-être aussi quelque chose de
perdu. Quoi qu'il en soit, à retrouver comme à conquérir, honneur et liberté
le sont contre une société au sein de laquelle se rejoignent une aristocratie
en mal de survie et d'adaptation avec une bourgeoisie en quête de sacre : la
société civile qui partout met dans les fers l'homme né libre. Liberté pourra,
un moment, jouer contre les vestiges ou les retours nobiliaires et théologiques.
Mais très vite, Liberté jouera, pour l'essentiel, contre les forces montantes,
contre les aliénations vraies, contre celles qui constituent le seul avenir
possible et sont les conditions de sa mise en place. Toutes les interférences
imaginables se dessinent ici entre les idéologies du retour (idéologies des
franchises, de la raison et du droit plus anciens que les abus) et les idéologies
du faire (idéologies de Г «industrie» et de structures à forger). Surtout se
dessine, dans ce mouvement même des exigences vécues d'un personnage,
cette image, cette idée, ce besoin d'un ailleurs — et peu importe qu'ici ce
puisse être, à ras d'immédiate «réalité», un château de province alors que
Louis XIV n'est pas même encore à Versailles — dont la première efficacité
est de faire éclater et d'annuler l'univers rassurant de la comédie, cet espace
heureux et clos où se faisaient jadis les mariages une fois vaincus ou réduits
les vieux tyrans. « Envoyez-les à l'école chez nous », lançait Lisette à la fin de
VEcole des maris. Il n'y a plus de pédagogie, il n'y a plus de « chez nous »
12 178 Vierre Barbéris
à la fin du Misanthrope, avec ce théâtre qui se vide, avec tous ces personnages
qui s'en vont non vers la certitude et vers le bonheur, mais vers la solitude
ou vers l'illusion. La pièce ne retombe ni ne se clôt, et le couple que bénit
Alceste est un couple bancal, incertain. On le sait : Le Misanthrope implique
une suite. C'est dire que le théâtre est mort, qui supposait tout résolu après
le rideau baissé. Vient le temps d'autre chose : le temps du roman et de la
biographie, le temps des personnages reparaissants. L'ailleurs de droit brise
la factice unité de lieu et de fait. Mais cet ailleurs de droit est réponse à un
autre ailleurs qui lui aussi détruit le théâtre et dont on voit se mettre en place
les structures-sujet et les formes-fond. Hors du salon de Célimène, du salon
où l'on passe, du salon courant d'air, existe un monde immense et inquiétant
dont on ne voit que les effets et les retombées. L'univers simplement mondain
d'abord, de Dorilas et de la vieille Emilie ; mais bientôt l'univers du procès,
l'univers du Louvre et de la cour, l'univers de ce franc scélérat — Tartuffe,
bien entendu — qui veut la peau d'Alceste, l'univers de la police et de la
justice, l'univers des ambitions des arrivistes et des maffias, l'univers du
valet de chambre mis dans la Gazette. Toutes les puissances nouvelles,
puissances lâchées, semble-t-il, beaucoup plus que lancées. Société- jungle et
non société-chantier. C'est bien autre chose, autour du salon des deux
cousines, que ce qui se devinait vaguement dans les coulisses de la comédie
traditionnelle, qu'elle fût de place publique à l'espagnole ou de salon à la
française. Sur ce point aussi et déjà le théâtre éclate, comme forme et comme
style, qui ne peut retenir — encore moins exprimer — tout un réel nouveau.
Tout se tient : Tailleurs de fait — ailleurs subi, ailleurs-destin, en aucune
manière ailleurs-promesse — et Tailleurs de droit — ailleurs d'exigence et de
liberté. L'ailleurs de fait, le roman seul pourra le peindre, qui partira des
Caractères et, ville, cour, familles, province, aboutira par exemple aux Scènes
de La Comédie humaine. L'ailleurs de besoin et de droit, l'utopie le dira, qui
sera la solution idéologique et littéraire à l'impossibilité non seulement de
s'accomplir, mais simplement de vivre dans le cadre d'une société concrète
qui ne soit pas aussi la société vraie, la société de la vie vraie et des rapports
authentiques. L'ailleurs de droit naît de l'exacte peinture de Tailleurs de
fait. L'exacte peinture de Tailleurs de fait, tant que ne s'est pas opérée la
dégradation naturaliste, conduit naturellement à Tailleurs de droit. Le roman
sera utopique et l'utopie sera romanesque. Il n'est de réalisme que vectoriel.
Il n'est de rêve que partant de la science. C'est la naissance du réalisme
moderne et c'est la naissance du romantisme. Après Le Misanthrope, il n'y a
plus que la littérature.
Quelque part, l'Idée réorganise le monde selon des lois et en vertu de
finalités différentes de celles de la société subie. Mais aussi à la naissance
de l'utopie préside toujours un héros, venu d'un passé, promis à un avenir,
qui peut être une signification: Gargantua, Télémaque, Julie, Benassis,
Véronique, M. Madeleine. La non-utopie même, ou l'utopie en creux, l'utopie
impossible, a son Dominique. Serait-ce là faiblesse et concession, comme Naissance de Vailleurs 179
le couple hollywoodien dans le coin de l'affiche? Serait-ce perfide ou naïve
retombée de la morale individualiste du héros agissant pour les masses?
Ou bien forme balbutiante encore de l'Idée, qui aurait besoin de passer par
une fiction, par quelque chose de reconnu et que le lecteur aimerait retrouver ?
Poser le problème en ces termes ne serait pas toujours faux, mais risquerait
aussi d'être antiscientifique parce que ce serait méconnaître la spécificité du
message et de l'acte littéraire, leur nécessité, dans certaines situations object
ives comme subjectives. Si des idées politiques sont proposées ou transmises
par l'intermédiaire d'une fiction, et si le livre est fort — c'est-à-dire s'il résiste
aux analyses et continue d'agir par-delà son impact simplement idéologique — ,
ce n'est pas que l'auteur sacrifie aux idoles. C'est que ce qu'il a à dire, il ne
peut le dire que par l'intermédiaire de personnages et de mythes. C'est que
l'envers et Tailleurs, non pas intelligibles et abstraits, mais qualitatifs et
sensibles, envers et ailleurs de désir, ne peuvent être perçus comme tels que
par l'intermédiaire d'une thématique et d'une dramatique individuelle et
individualisée, humanisée. Aussi, la manière même dont le héros est person
nellement lié à la terre et à l'humanité nouvelle qu'on y voit vivre est peut-
être, malgré les apparences et ce qui peut satisfaire une critique mécaniste,
l'élément le plus important et le plus signifiant de l'utopie. Celle-ci comporte
en effet des éléments « clairs », qui constituent toujours plus ou moins une
charte théorique, un exposé de principes, un traité de civilisation. Ces
éléments clairs possèdent deux caractéristiques bien repérées : on peut toujours
les traduire dans un langage non littéraire; mais, réduits à eux-mêmes, ils

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