Naissance et développement d un mythe ou l Occident en quête de l âme slave - article ; n°1 ; vol.49, pg 91-101
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Naissance et développement d'un mythe ou l'Occident en quête de l'âme slave - article ; n°1 ; vol.49, pg 91-101

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Revue des études slaves - Année 1973 - Volume 49 - Numéro 1 - Pages 91-101
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1973
Nombre de lectures 20
Langue Français

Extrait

Monsieur Michel Cadot
Naissance et développement d'un mythe ou l'Occident en quête
de l'âme slave
In: Revue des études slaves, Tome 49, 1973. Communications de la délégation française au VIIe Congrès
international des slavistes (Varsovie, 21-27 août 1973). pp. 91-101.
Citer ce document / Cite this document :
Cadot Michel. Naissance et développement d'un mythe ou l'Occident en quête de l'âme slave. In: Revue des études slaves,
Tome 49, 1973. Communications de la délégation française au VIIe Congrès international des slavistes (Varsovie, 21-27 août
1973). pp. 91-101.
doi : 10.3406/slave.1973.2006
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1973_num_49_1_2006NAISSANCE ET DÉVELOPPEMENT
D'UN MYTHE OU L'OCCIDENT EN QUÊTE
DE L'AME SLAVE
PAR
MICHEL CADOT
Le XVIIIe siècle, ou plus exactement la philosophie des Lumières, a proposé
à l'Europe une vision universaliste de vertu, de bonheur et de progrès larg
ement répandue dans la Pologne de Stanislas- Auguste, et de façon plus superf
icielle dans la Russie de Catherine II. En même temps, le développement des
recherches historiques a préparé l'enthousiasme romantique pour les aspects
les plus singuliers et les plus irréductibles des cultures nationales. Les découv
ertes de Herder et des frères Grimm ont permis d'enraciner les aspirations
germaniques à l'unité dans la continuité ethno-linguistique ; parallèlement,
le même Herder saluait le prochain réveil des peuples slaves dans les Ideen
zur Philosophie der Geschichte der Menschheit (1).
La renaissance linguistique et littéraire qui se manifeste chez les Slaves
du Sud, en Bohême, en Slovaquie, en Ukraine, l'affirmation de la personnalité
culturelle polonaise malgré la disparition de l'État polonais, enfin l'essor de
la littérature russe à l'époque d'Alexandre Ier, tous ces phénomènes fondent
rapidement la notion d'une spécificité historique et culturelle slave.
II est vrai que, déjà au cours des siècles précédents, Tchèques et Polonais,
Slaves du Sud et Bulgares ont souvent exprimé, mais de façon isolée, leur
sentiment d'appartenir à une communauté slave de race et de langue : le roi
de Bohême Ottokar II, l'historien polonais Długosz, le prêtre croate Križanić,
le moine du Mont Athos Païsios sont des témoins illustres, parmi bien d'autres,
« Sâmtliche Werke (éd. Suphan), t. XIV, p. 279. 92 MICHEL CADOT
de ce sentiment. Les Russes, longtemps refermés sur eux-mêmes, ne s'inté
ressent à cette communauté qu'à partir du xixe siècle, comme le notait
Edouard Bénès dans son livre Où vont les Slaves ?
A la suite de l'élan donné par l'école herdérienne aux recherches natio
nales, une floraison de travaux tchèques et slovaques, puis illyriens, fonde
scientifiquement l'idée slave. Le vétéran de la slavistique fut l'abbé Dobrovský,
dont les Institutiones linguae slavicae dialecti veteris, parues en 1822,
établirent le slavon comme la véritable langue commune aux différents
peuples orthodoxes. D'autres écrivains tchèques, Jungmann, Hanka, Čela-
kovský, propagèrent l'idée du patriotisme slave et de la primauté russe,
d'autant plus nécessaire que l'oppresseur allemand est plus odieux. Bientôt
Šafařík donna avec ses Antiquités slaves (1837) et son Ethnographie slave
(1842) de solides matériaux intellectuels aux propagateurs de l'idée slave.
Mais c'est le Slovaque Jan KoHár qui joue le rôle essentiel dans la constitution
du mythe qui nous intéresse. Idéaliste et romantique, il propose en 1837 une
vision naïve et enthousiaste de la grande fraternité slave, reposant sur le
concept de slovanská vzájemnost, traduit par Wechseheitigkeit, réciprocité
slave (1), et exprima dans une série de sonnets son adoption pour le rôle
glorieux de Moscou, ville sainte, et de la Russie, protectrice des Slaves.
Certains Russes firent écho au panslavisme tchèque et slovaque, notamment
Pogodin et Ševyrev, qui lui donnèrent une coloration nettement impérialiste,
tandis que se développait à partir de 1830, sous le nom de slavophilisme, un
mouvement différent, représenté surtout par le poète Chomiakov, les frères
Kireevskij et K. Aksakov (2>. Opposant au matérialisme de l'Occident pourri
{gniloj zapad) les valeurs patriarcales d'une Russie pacifique, laborieuse et
croyante, les Slavophiles délaissent peu à peu la tradition des Lumières et
du rationalisme hégélien pour s'abandonner à un messianisme anti-historique :
on passe en quelque sorte de Vidée slave, moment nécessaire dans la marche
de l'histoire, à l'âme slave, c'est-à-dire un ensemble de qualités revendiquées
par un patriotisme désireux de prouver au reste du monde la supériorité
essentielle d'un groupe de peuples maltraités jusque-là par l'histoire.
A mi-chemin de ces deux conceptions, nous trouvons Mickiewicz, qui
emploie souvent les termes de Duch, dusza, genjusz, en les appliquant aux
individus comme aux peuples. Parlant des Slaves, Mickiewicz déclare le
14 mars 1843 : « Ce peuple est resté jusqu'à présent passif : il est immense
sur la carte du monde; il est nul dans l'histoire telle qu'on la comprend main
tenant, dans l'histoire bâtie et écrite. Mais Hanusch ajoute aussi avec raison
que ce peuple, ayant vécu si longtemps, doit avoir une histoire. Cette histoire
est déposée dans son âme ». Et quelques semaines plus tard : « Cet esprit
<*•> J. Kollár, Ueber die literarische Wechselseitigkeit zwischen den verschiedenen Stämmen
und Mundarten der slawischen Nation, Leipzig, 1844. П y emploie les termes de gemeinschaft-
licher Geist et de Nationalcharakter.
<2> Lermontov, qui n'avait rien d'un slavophile, me semble être un des premiers écrivains
à employer l'expression russkaja duša, dans son célèbre poème Net, ja ne Bajron... (1831). LE MYTHE DE L»ÂME SLAVE 93
terrible, cet esprit souverain de la Russie n'a plus la même force, l'esprit des
Bohémiens et des Polonais s'est déjà infiltré dans l'âme russe » (27 juin 1843).
Pour Mickiewicz, l'âme de l'individu slave est à tout moment porteuse du
passé de son peuple tout entier, et Dieu parie à travers l'âme qui a suivi le
meilleur développement moral et religieux. Le Messianisme n'est que la série
de ces révélations successives : chaque nationalité est basée sur une révéla
tion particulière, chacune a été fondée par un seul homme, par une seule
pensée, et n'a vécu que pour réaliser cette pensée. On voit comment, en com
binant christianisme, hégélianisme et mysticisme, Mickiewicz réduit l'his
toire d'un peuple à une sorte de schématisme national, rarement susceptible
de changement : prétendre changer l'âme d'un peuple, c'est la dénaturer.
« Tous ceux qui ont écrit sur la réforme chez les peuples slaves émettent le
vœu de le rendre européen. Ils voudraient d'abord le civiliser, c'est-à-dire le
rendre marchand, boutiquier, industriel, le faire Anglais, Allemand ou Franç
ais, lui ôter son caractère slave » (14 mars 1843).
Ce peuple slave, Mickiewicz le voit au contraire artiste, artisan et philo
sophe, inapte à l'industrie moderne, et par là même seul à représenter la
véritable civilisation, celle du détachement des biens terrestres et du devoir
paisiblement accompli. Proche ici de certaines conceptions slavophiles,
Mickiewicz résout la question du bonheur posée par le XVIIIe siècle en termes
rousseauistes, au rebours des tentatives saint-simoniennes et socialistes en
général que l'Occident proposait à cette époque. La coloration messianique
particulière à ce moment de son œuvre ne doit pas faire illusion : Mickiewicz
reste fidèle à l'héritage essentiel des Lumières, et son nationalisme slave ne
lui sert qu'à énoncer plus clairement les valeurs qu'il estime nécessaires au
bonheur de l'humanité dans son ensemble.
Si j'insiste sur ces conceptions de Mickiewicz, c'est parce qu'elles sont
développées dans le cours de 1842-1843 professé au Collège de France, et
ont donc eu à ce titre plus de retentissement en France que

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