Ôsugi Sakae, Une Quintessence de l anarchisme au Japon - article ; n°1 ; vol.28, pg 93-118
27 pages
Français

Ôsugi Sakae, Une Quintessence de l'anarchisme au Japon - article ; n°1 ; vol.28, pg 93-118

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
27 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Ebisu - Année 2002 - Volume 28 - Numéro 1 - Pages 93-118
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 34
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Philippe Pelletier
Ôsugi Sakae, Une Quintessence de l'anarchisme au Japon
In: Ebisu, N. 28, 2002. pp. 93-118.
Citer ce document / Cite this document :
Pelletier Philippe. Ôsugi Sakae, Une Quintessence de l'anarchisme au Japon. In: Ebisu, N. 28, 2002. pp. 93-118.
doi : 10.3406/ebisu.2002.1269
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ebisu_1340-3656_2002_num_28_1_1269Ebisu 28, Printemps-été 2002, Maison Franco-Japonaise, Tôkyô, p. 93-1 18.
ÔSUGI SAKAE,
UNE QUINTESSENCE DE L'ANARCHISME AU JAPON
Philippe PELLETIER
Université Lyon 2
II y a des herbes qui se dessèchent complètement
dès qu 'elles ont fleuri.
Mais elles doivent quand même fleurir
pour amplifier leur vie.
Lettre envoyée par Ôsugi Sakae à Ishikawa
Sanshirô .
Associer l'anarchisme et le Japon constitue a priori un double paradoxe.
D'une part, est probablement le plus mal connu, le plus mésestimé,
sinon le plus calomnié des mouvements politiques, tant dans sa philosophie que
dans son action pratique. Quelques formules chocs et quelques épisodes tapageurs
ne sont généralement retenus qu'au prix d'un oubli de ses réalisations et propositions
positives. Supposer, d'autre part, que ce mouvement articulé sur une exigence exacerbée
de la liberté individuelle puisse se développer dans un pays comme le Japon, qui est
réputé pour être socio-culturellement éloigné de l'individualisme, semble irréaliste.
Pour dépasser ce paradoxe apparent, on peut s'attacher au parcours d'un
anarchiste japonais suffisamment emblématique et représentatif, qui permette
d'aborder la complexité de cette problématique. Le personnage qui s'impose, c'est
Ôsugi Sakae i<M>9fc (1885-1923). Mais pourquoi lui et pas un autre ?
Les bonnes et les mauvaises raisons d'un exemple
Avec son aîné Kôtoku Shûsui ^WffljY- (1871-1911) , l'un des éminents
fondateurs du socialisme japonais qui a évolué de la social-démocratie à l'anarchisme,
Ôsugi Sakae est probablement le plus connu des anarchistes japonais au Japon
1 Ôsugi Sakae Zenshû AféSfê^ïHï (Œuvres complètes d'Ôsugi Sakae), Gendai shichôsha
b, 1964, vol. 14, p. 55, lettre de février 1913.
2 Sur Kôtoku Shûsui : voir en langue occidentale, Fred G. Notehelfer, Kôtoku Shûsui, Portrait
of a Japanese Radical. Cambridge University Press, 1971, 234 p. ; John Crump, The Origins of socialist
Thought in Japan, St. Martin's Press, 380 p. ; Philippe Pelletier, « Kôtoku Shûsui, socialiste anarchiste »,
in Subversion, 1985, No 3, 48 p. 94 ôsugiSakae, Une Quintessence de l'anarchisme au Japon
même, pour deux principales raisons. D'abord par sa relation amoureuse concomitante
avec trois femmes pendant une brève période de sa vie (1916) : épisode qui s'est
achevé dans un drame spectaculaire et devenu fameux, l'une de ses maîtresses tentant
de le poignarder3. Ensuite par sa mort tragique : son assassinat le 15 septembre 1923
par la Kempeitai M&W, la gendarmerie, avec celui de sa compagne Itô Noe (1895-
1923), écrivain et militante anarchiste, et de leur neveu de sept ans, Tachibana
Munekazu JIjtk— , tous les trois étranglés après avoir été sévèremment battus.
Ces raisons seules sont-elles satisfaisantes pour retenir la trajectoire d'Osugi
Sakae ? D'un côté le soufre, de l'autre le crime, Eros et Thanatos ? Pour reprendre le
propos de l'essayiste Komatsu Ryûji déplorant que l'anarchisme japonais soit surtout
connu pour ses « affaires » ou ses « incidents » (Jiken ♦ft:), cela ne revient-il pas à ne
voir, une fois encore, que les aspects sombres de l'épopée anarchiste ? Il est vrai que
ces « affaires » sont nombreuses : Affaire des drapeaux rouges {Akahata jiken ïfcM^-
#S 1908) ; Affaire du crime de lèse-majesté (Taigyaku jiken ~fàfèM@r, 1911) qui vit
l'exécution de Kôtoku Shûsui, Kan.no Sugako HUHf? (1881-1911), et de dix
autres militants anarchistes ou socialistes ; Affaire Pak Yôl-Kaneko Fumiko (Boku
Retsu-Kaneko Fumiko jiken RM&J'JtJ'&flr, 1923-26) ; Affaire de la société de la
guillotine {Girochinsha jiken ^Df y ft^ftS 924-26, du nom de ce groupe de militants
désireux de venger la mort de leurs amis Ôsugi Sakae et Itô Noe) ; Affaire du Parti
anarcho-communiste {Museifukyôsantô jiken MWtM^kÊL^Mfftr , interdiction et
répression de ce parti en 1934-35, en parallèle avec un règlement de compte interne
et meurtrier) ; ou bien encore Affaire des Jeunesses rurales {Nôsonseinen-sha jiken H
fàW^tt^frS répression d'une insurrection anarcho-rurale dans les montagnes de
ChikumaSÛien 1935)...
Mais Komatsu donne tout de suite une réponse. Il ajoute en effet que cela
permet d'appréhender le contexte historique, difficile, dans lequel évoluait l'anarchisme
d'avant 1945. Car celui-ci est marqué par un harcèlement policier incessant, encadré
3 II s'agit de Kamichika Ichiko WiUfiJ- (1888-1981). Fille d'un médecin herboriste. Écrivain,
journaliste. Rejoint le mouvement féministe Seitôsha ffftet (La Société des bas bleus) en 1912, et le
socialisme. Emprisonnée pendant deux ans par le jugement qui suivit cet incident appelé Hayama jiken
HlLlVft (Affaire de Hayama), ou Hikagechaya jiken HH^lKïft (Affaire de la maison de thé de
Hikage). Devient députée socialiste de 1953 à 1969. Prend une part active à la loi contre la prostitution
de 1954. Hori Yasuko MfàJ; alors l'épouse légitime d'Ôsugi depuis 1906, divorce de celui-ci peu de
temps après. Itô Noe Ofi£fJ ti, la troisième personne, devient la compagne d'Osugi et lui donne cinq
enfants (quatre filles, un garçon : Mako MJ-, Sachiko #■?, Ema iv, Ruizu /M X (Louise), Nesutoru
^X h >l (Nestor) ; deux sont morts en bas âge, et Nestor). Kamichika Ichiko, qui se montrera
assez amère vis-à-vis d'Ôsugi dans Jiden — Waga ai waga tatakai ÉtS * fc>t*$tht^\<* (Mémoires : mes
amours mes combats), Kôdansha iît^tt, 1972, et néanmoins peu prolixe, est absente de la cérémonie
funèbre qui réunit tous les proches d'Ôsugi à la fin de 1923. Par contre, Hori Yasuko, présente,
prononce l'éloge de son ex-mari, non sans critiques.
4 Komatsu Ryûji 'h$^=— , « Saikô Nihon anakizumu undô no ayumi »
S#0^7-f ^-X-LWihOPft- (Un Retour sur le parcours du mouvement anarchiste au Japon), Hermès,
1997, No 5, p. 76-81, voir la traduction d'Arnaud Nanta dans le présent numéro.
5 La colère des anarchistes sera aggravée par le fait que le capitaine de gendarmerie responsable
de l'unité qui a commis l'assassinat, Amakasu Masahiko tMfiiE/ï (1891-1945), n'accomplit que trois
des dix ans d'emprisonnement auxquels il avait été condamné pour son crime. Libéré, il s'illustrera sur
le front mandchou, en particulier lors de l'Incident de Mandchourie (1931) qui ouvre la Guerre de
quinze ans (Jûgonen Philippe Pelletier 95
par deux lois successives : la Loi de police sur la sécurité publique (Chian keisatsu hô
fè^fFUfè) de 1900 et la Loi sur le maintien de l'ordre (Chian iji hô fè^t&îÊ) de
1925. Cette seconde loi, qui durcit la première, n'est que le bâton joint à la carotte
tendue la même année, à savoir une loi électorale qui accorde le droit de vote à tous
les hommes âgés de plus de vingt-cinq ans.
La répression est particulièrement féroce pour les tendances communiste et
anarchiste. Tous les nouveaux partis trop radicaux sont aussitôt interdits. Les journaux
régulièrement censurés, suspendus ou condamnés. Les réunions publiques ou les
congrès quasi systématiquement interrompus par la police. Entre 1925 et 1945, plus
de 75 000 personnes ont été arrêtées et déférées au Parquet pour infraction à la Loi
sur le maintien de l'ordre. Les militants sont souvent jetés en prison, où ils sont
maltraités et où ils finissent parfois par mourir. Les forces policières bénéficient d'un
climat et d'une certaine impunité qui les poussent à franchir le cadre légal. Pour
justifier son crime, Amakasu Masahiko, le capitaine qui commanda l'expédition
punitive contre la famille Osugi et qui étrangla Sakae de ses propres mains, déclara
ainsi avoir agi « au service du pays » {kokka ni kôken suru ^BM\Z-MM>~T %>) . Son
attitude est confirmée par les propos d&#

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents