Pour une histoire de la correspondance familiale - article ; n°90 ; vol.25, pg 89-99
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Description

Romantisme - Année 1995 - Volume 25 - Numéro 90 - Pages 89-99
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme Cécile Dauphin
Pour une histoire de la correspondance familiale
In: Romantisme, 1995, n°90. pp. 89-99.
Citer ce document / Cite this document :
Dauphin Cécile. Pour une histoire de la correspondance familiale. In: Romantisme, 1995, n°90. pp. 89-99.
doi : 10.3406/roman.1995.3055
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1995_num_25_90_3055Cécile DAUPHIN
Pour une histoire de la correspondance familiale
Les mausolées de l'écriture épistolaire - corpus publiés ou non de correspon
dances reconstituées, répertoriées et sans cesse visitées -, cachent un vaste chantier de
matériaux dispersés aux quatre vents et erodes par le temps. La métaphore des belles
constructions émergeant de monceaux de scories permet, d'entrée de jeu, de situer ma
démarche d'historienne dans ce numéro de Romantisme consacré aux correspondances
du XIXe siècle, essentiellement littéraires. Il ne s'agira pas ici de visiter les monu
ments connus, ni d'inventorier les vestiges enfouis. Mon propos vise plutôt à dessiner
les contours d'un des « objets possibles à construire » 1 : une histoire de la correspon
dance familiale. En effet, à la croisée des études sur l'épistolaire et de l'histoire sociale
de la culture 2, un regard nouveau peut être porté sur les traces d'une écriture ordinaire.
Manne providentielle pour nourrir les biographies, la peinture du quotidien, le goût de
l'intime et de la confidence, les lettres de toutes sortes et de toutes mains appartien
nent « en leur jaillissante résurgence » aux « sources vives du temps vécu » 3.
Cependant, en marge de cet usage documentaire jamais épuisé, de nouvelles interroga
tions surgissent 4.
C'est ce tour d'horizon que je me propose ici : souligner la pertinence des ques
tions développées en histoire sociale de la culture pour étudier les pratiques épisto-
laires ; interroger les usages de la catégorie « correspondance familiale » dans le
contexte du XIXe siècle ; suggérer enfin quelques orientations de recherche. Cette
démarche vise, modestement, à avancer des hypothèses sur les conditions et les effets
de l'entrée en écriture d'une société 5, à partir du cas de l'échange régulier et croisé
de lettres entre les membres d'une famille. Cette définition qui insiste sur la multiplic
ité des échanges entre protagonistes liés par la parenté, sur l'idée de co-rrespondance,
se veut surtout opératoire pour éviter d'embrasser un champ trop vaste où tout se
confondrait (collections diverses de lettres, pétitions, ou échanges entre savants ou
écrivains, centrés sur une personne ou provenant d'un réseau professionnel...). Vestige
d'une réalité complexe, la forme lettre absorbe une infinie diversité de pratiques et de
registres, qu'il importe précisément de clarifier.
1. Selon l'expression de Philippe Lejeune, dans Moi aussi, Paris, Seuil, 1986, p. 16.
2. Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Annales ESC, nov.-déc. 1989, p. 1505-1520.
3. François Lebrun dans l'avertissement de la collection « Résurgences », Privât.
4. Ariette Farge, Le Goût de l'archive, Paris, Seuil, 1989 et Le Cours ordinaire des choses, Paris, Seuil,
1994.
5. François Furet et Jacques Ozouf, Lire et écrire. L'alphabétisation des Français de Calvin à Jules
Ferry, 2 vol., Paris, Éditions de Minuit, 1977.
ROMANTISME n°90 (1995-4) 90 Cécile Dauphin
DÉPLACEMENT DES QUESTIONS
Un autre regard sur les sources
La curiosité renouvelée pour la correspondance est née d'abord d'un déplacement
dans la hiérarchie des sources qui avait traditionnellement cours en histoire sociale.
L'écrit « savant » dominait la parole des autres, effacée, dérobée ou traduite. Il est
banal aujourd'hui de reconnaître l'influence de la démarche anthropologique qui lami
na peu à peu les frontières entre des niveaux de culture instaurés par la civilisation de
l'écrit, mais constamment réévalués par un métissage en profondeur, celui-ci demeur
ant longtemps invisible à l'oeil du « savant ». Il n'y a pas de gens plus ou moins
simples ou dignes d'intérêt ; la vie imaginative et émotionnelle est partout riche et
complexe ; il y a seulement des gens disposant d'outils d'expression plus ou moins
élaborés. Légitimées par ce nouveau credo, les traces laissées par les témoins de leur
temps, qualifiés ou non, méritent une égale attention. N'était-ce pas l'intuition
d'Ernest Renan qui remarquait au milieu du XIXe siècle qu' « ouvrir une nouvelle
série d'aperçus historiques, c'est presque toujours créer une série de documents négli
gés jusque-là, ou montrer dans ceux qui étaient déjà connus ce qu'on n'avait pas su y
voir » 6 ? C'est effectivement le questionnaire qui fait surgir de nouvelles sources.
Il ne faudrait pas se méprendre pourtant sur la faveur rencontrée par l'expression
« écritures ordinaires » 7 qui semble identifier en bloc tout ce qui ne relèverait pas de
la culture savante. Comme le souligne Florence Weber 8, l'émergence de ce nouvel
objet culturel à la fois en histoire, en anthropologie et en sociologie n'est peut-être
qu'une « convergence superficielle ». Car l'usage de ce terme masque une grande
confusion sur les lignes de partage entre les pratiquants (ordinaire s'opposerait à let
tré), les produits (les manuscrits se distingueraient des textes imprimés) et les pra
tiques (l'écriture publique appartiendrait au monde politique ou professionnel, alors
que l'écriture privée resterait confinée à la sphère domestique). Force est de constater
que la correspondance familiale chevauche allègrement ces classements. Qu'un qui
dam, à un moment ou un autre de son existence, appelé à exercer ses talents en poli
tique ou en littérature, adresse un courrier à l'un de ses parents, que par la suite
l'édition s'empare de ce manuscrit pour le rendre public, cette écriture n'en reste pas
moins familiale et pas nécessairement ordinaire.
On peut certes préférer le terme « sans qualités ». Mais celui-ci ne lève pas
l'ambiguïté puisqu'il se réfère autant au scripteur et à son statut (rôle joué dans la li
ttérature, dans l'art ou dans la politique) qu'aux objets qui ont été a posteriori distin
gués pour leurs qualités expressives et esthétiques.
Il faut remarquer aussi que le traitement editorial des correspondances tend à
reproduire une hiérarchie entre les grands et les autres. Du côté des connus, le nom et
6. Essais de morale et de critique, Paris, Michel Lévy, 1859, p. 122.
7. Daniel Fabre (dir.), Écritures ordinaires, POL, Centre Georges Pompidou, BPI, Paris, 1993. Bernard
Lahire, La Raison des plus faibles. Rapport au travail, écritures domestiques et lecture en milieux popul
aires, Presses universitaires de Lille, 1993. Claude F. Poliak, « Écritures populaires », Politis, n° 24, 1993,
p. 168-189.
8. « La lettre et les lettres : codes graphiques, compétences sociales. Des outils pour l'analyse des écri
tures ordinaires», Genève, janvier 1995, p. 152-165. Pour une histoire de la correspondance familiale 91
le rôle joué légitiment et valorisent toute forme de production écrite, jusqu'au plus
petit billet. Toute trace écrite devient signe, symptôme à interpréter. La qualité de
l'édition relève alors du caractère exhaustif et de la fonction d'expertise. Du côté des
anonymes, « ordinaires » ou « sans qualités », les correspondances sont épurées,
dépouillées des détails incongrus. Comme l'exprime joliment Janet Altman, elles sont
soumises au « rituel des valeurs déclarées » 9 : il faut en justifier le déballage dans le
domaine de l'imprimé.
Singularité ou exemplarité, différence ou banalité, quel que soit l'argument retenu
pour éditer les correspondances anonymes, il revient à célébrer l'avènement, dans
l'historiographie, du quotidien, du détail, de l'intime. Du coup, la frontière n'est plus
aussi claire entre les scripteurs, ou entre les objets. La note au blanchisseur, les com
mandes de ruban, les propos sur la mort, sur la fuite du temps ou

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