Protestantisme et modernité en crise - article ; n°1 ; vol.54, pg 71-79
10 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Protestantisme et modernité en crise - article ; n°1 ; vol.54, pg 71-79

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
10 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique - Année 1997 - Volume 54 - Numéro 1 - Pages 71-79
9 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 11
Langue Français

Extrait

Olivier Abel
Protestantisme et modernité en crise
In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique. N°54, 1997. pp. 71-79.
Citer ce document / Cite this document :
Abel Olivier. Protestantisme et modernité en crise. In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique. N°54, 1997. pp. 71-
79.
doi : 10.3406/chris.1997.1961
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/chris_0753-2776_1997_num_54_1_1961Perspectives
Protestantisme
et modernité en crise
Olivier Abel
La modernité est un torrent, une rivière, un fleuve, mais issu de
mille sources dont nulle ne peut prétendre être la seule. Quelle modern
ité est en crise ? Celle portée par la figure de la République laïque et
industrieuse ? Celle apportée par le pluralisme des Lumières ? Celle
inaugurée par les ruptures du temps des Réformes ? Celle ouverte par
l'élargissement universel de la Renaissance ? Celle inaugurée par le
style inouï des Confessions d'Augustin ou par le « ni juif ni grec » des
lettres de Paul ? Selon le commencement pris pour référence, il ne
s'agira pas de la même crise ni de la même modernité. Mon propos ici
se bornera à évoquer la part de responsabilité prise dans celle-ci et
donc dans celle-là par le protestantisme. Revenant sur ses propres
« dogmes », le protestantisme doit redéployer les significations du
« sola scriptura », de la prédestination, ou de la « grâce ». Ce faisant le
protestantisme rappelle à la modernité ses intentions oubliées, mais
aussi ses potentialités jamais réalisées. Cette reprise critique de l'un
des commencements de la modernité peut-elle encore la faire bifur
quer autrement ? C'est la question qui m'anime ici.
L'implication du protestantisme dans la modernité
Commençons par observer que la langue et la pensée françaises di
sposent avec Calvin de l'un des auteurs dont l'influence fut la plus pro
fonde, la plus étendue, la plus radicale pour l'ensemble de la modern
ité, mais que nous l'avons pratiquement abandonné aux
anglo-saxons. Calvin appartient de droit à de la culture
française, et pas seulement aux héritiers du calvinisme qui ne parvien
nent pas à porter leur héritage sur leurs trop rares épaules. Pire : ce re-
71 niement nous place tous dans une quasi-incapacité à comprendre ce
qui nous est arrivé, pourquoi notre modernité a « pris » dans telle ou
telle figure, à saisir par où il faudrait reprendre les choses pour bifur
quer autrement. Certes, dans la société française, le protestantisme est
généralement perçu comme une religion tolérante, pluraliste, civique
et moderne, pour diverses raisons, dont la plus emblématique est cer
tainement la figure d'Henri IV, abjurant le protestantisme pour paci
fier son Royaume. Avec lui, on crédite les protestants de la capacité à
laisser leur religion au vestiaire pour entrer dans l'espace public. Mais
dans une société pleinement sécularisée, devenue critique vis-à-vis du
mythe de la modernité, on n'a plus guère besoin d'une religion à ce
point discrète et sécularisable : on lui demande sa spécificité propre
ment religieuse. Là est le problème du protestantisme aujourd'hui : sa
spécificité se confond trop avec le profil de la modernité elle-même.
Pour prendre un seul exemple, il est difficile de comprendre Des
cartes sans Calvin : transcendance divine, ordre mécanique des lois de
la nature, élimination du finalisme et désenchantement du monde,
mais aussi nominalisme éthique (l'idée que d'un point de vue éthique
il n'existe que des individus), et idée que les morales, les coutumes re
ligieuses ou les formes de gouvernement sont un peu « par provi
sion », des manières encore d'interpréter humainement une volonté di
vine sur laquelle nul ne saurait mettre la main. Tous ces thèmes
calviniens ont joué un rôle clé dans la constitution de la modernité pré
et post-cartésienne.
Et il est indéniable que pour sa part le protestantisme fut probable
ment une tradition religieuse vigoureusement engagée dans les orien
tations de la modernité occidentale, et comme en consonnance avec
elles. En voici quelques thèmes. La lecture personnelle des « Écritures
seules », sans passer par l'intermédiaire et le monopole de la tradition
autorisée, éduque un esprit critique et fait crédit à la responsabilité in
dividuelle. Comme l'écrit joliment Calvin contre ceux qui disent qu'il
faut nourrir le peuple de bon lait : « jusques à quand abreuveront-ils
leurs enfants d'un même lait ? Car s'ils ne grandissent pas jusqu'à
supporter quelque légère viande, il est certain que jamais ils n'ont été
nourris de bon lait ». Et puis Luther et Calvin refusent le système ca
tholique de la double morale, et affirmant le sacerdoce universel (tous
prêtres, ou tous laïcs), ils abattent les hiérarchies pour constituer des
assemblées d'individus libres, partageant les différentes tâches ou
mandats (ministères) par décision collégiale. La liberté de chaque
chrétien ainsi fondée en dehors des autorités comme des coutumes re
ligieuses et politiques, la société ne peut plus être conçue que comme
72 contrat volontaire et presque militant, qui peut aller jusqu'aux un
formes extrêmes prises par « la révolution des saints » avec le purita
nisme britannique de l'époque de Cromwell, et que l'on trouve chez le
poète Milton :
« ... ils s'accordèrent tous pour se lier en commune association les préser
vant de cette lésion mutuelle, et aussi pour s'associer afin de se défendre
contre tous ceux qui troubleraient ou contrecarreraient un tel accord. Telle
est l'origine des cités, des villes et des États ».
On a du mal à comprendre après coup l'énergie féroce d'autodisci
pline qu'il a fallu aux individus, pour faire éclater un monde hiérar
chique, équilibré et autarcique, et penser le libre-contrat, qui per
mit par la suite l'apparition d'un libéralisme comme celui de John
Locke. Et il en est de même pour la conjugalité : le couple puritain est
un contrat entre deux individus égaux, et la conjugalité n'est pas enti
èrement subordonnée à la filiation, mais peut être vécue comme une
sincérité, une fidélité, un plaisir libres. On pourrait continuer de même
pour expliquer comment l'argent doit cesser d'être une marchandise
magique (qui produirait elle-même un profit) ou démoniaque pour de
venir sobrement un instrument, mutation des mentalités où Max
Weber a vu l'un des ressorts du développement du capitalisme. Et puis
l'importance chez Luther de « rendre à César ce qui est à César, et à
Dieu ce qui est à Dieu », exige une séparation très nette entre le do
maine des affaires humaines avec leurs régimes historiques, écono
miques, et même religieux, qui sont relatifs et changeants, et la dimens
ion de la grâce divine, qui n'est pas destinée à organiser nos modes
de vie. Cette séparation permet une autonomisation, une sécularisation
de la politique et de la justice comme de l'économie et des sciences.
Mais en brisant ainsi « la grande chaîne des êtres », qui tenait chacun
à sa place dans une hiérarchie à la fois théologique, cosmologique, po
litique et même familiale, cette séparation exige de réarticuler autr
ement les deux dimensions de l'humain et du divin, et c'est ici qu'app
araît le grand récit biblique comme Histoire du Salut, histoire où tout
prend place dans la Création-Chute-Rédemption divine, mais qui se
prolonge dans la mission émancipatrice d'annoncer l'évangile univer
sellement et d'en vivre (la grande utopie des colonies), puis qui se sé
cularise dans le mythe du progrès, dont nous reste encore la croyance
morne aux contraintes du développement.
La crise de cette modernité-là
II faut d'emblée souligner que si toute cette modernité-là est le résul
tat de l'éthique du protestantisme ou de sa prédication, ce n'en fut pas
73 moins du monde l'intention. La Réforme ne visait rien moins qu'à le
justifier la démocratie libérale, ni l'affairement capitaliste, ni cet exer
cice d

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents