Quand la tribu des Modernes sacrifie au dieu Risque - article ; n°3 ; vol.18, pg 345-364
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Description

Déviance et société - Année 1994 - Volume 18 - Numéro 3 - Pages 345-364
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Denis Duclos
Quand la tribu des Modernes sacrifie au dieu Risque
In: Déviance et société. 1994 - Vol. 18 - N°3. pp. 345-364.
Citer ce document / Cite this document :
Duclos Denis. Quand la tribu des Modernes sacrifie au dieu Risque. In: Déviance et société. 1994 - Vol. 18 - N°3. pp. 345-364.
doi : 10.3406/ds.1994.1353
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ds_0378-7931_1994_num_18_3_1353Déviance et Société, 1994, Vol. 18, No 3, pp. 345-364
QUAND LA TRIBU DES MODERNES
SACRIFIE AU DIEU RISQUE
(Mary Douglas et le risque comme concept culturel)
D.DUCLOS*
Le risque n'est pas seulement une notion technique. Il est aussi utilisé plus
largement dans des acceptions profanes diverses, polysémiques. C'est le rôle des
sciences humaines que de traiter cette diversité, d'essayer d'y repérer une signif
ication sociale et anthropologique qui n'est pas nécessairement réductible à la
définition la plus opérationnalisée par les scientifiques, ou les acteurs techniques
et économiques. C'est cette confrontation que l'anthropologue britannique Mary
Douglas a tenté, dans une démarche originale que je voudrais rappeler et com
menter ici.
I. La valeur culturelle du risque
Pour les «préventeurs», le calcul probabiliste ou déterministe des événe
ments néfastes ne peut s'établir sans recours à des critères subjectifs, politiques
ou juridiques, quant à l'acceptabilité des risques mais aussi quant à l'imputa
tion des décisions de prise de risque. Or ces critères obéissent à des logiques
humaines qu'il serait simpliste de ramener à une raison pure ou au contraire à
l'irrationnel. Comme le disait un philosophe du risque, Jérôme Ravetz (1980,
46 sq), il est trop ambitieux de vouloir placer toute l'expérience et les valeurs
humaines sur une seule échelle de mesure, pour la manipulation mathématique
ou politique. L'anthropologie culturelle peut nous aider à comprendre com
ment s'organisent les pensées complexes et disparates du risque, aussi bien
celles des institutions (qui les induisent, les gèrent ou préviennent) que celle
des individus épris d'aventure ou de sécurité. Pourtant, rares sont les anthropo
logues qui ont accepté de sortir de l'étude des micro-sociétés traditionnelles
pour affronter directement cet enjeu. C'est pourquoi le travail de Mary
Douglas, et de ceux qui l'ont suivie dans cette voie, doit être connu et apprécié
aussi bien par ceux qui s'intéressent professionnellement au risque, que par les
généralistes.
Sociétés et risques scientifiques et technologiques (SORISTEQ, CNRS.
345 II. Le parcours de Mary Douglas: du sacré au risque, une visée explicite
Issue d'une famille de fonctionnaires de l'Empire Britannique, Mary Douglas
fit ses études à Oxford où elle étudia la philosophie, la science politique et l'éc
onomie, puis se consacra principalement à la sociologie des religions.
Professionnellement, elle fut d'abord une ethnologue de terrain, et travailla dans
les années cinquante auprès de plusieurs ethnies du Zaïre (alors Congo belge), et
notamment des Lélé du Kasai (Douglas, 1963a).
Ces études étaient articulées autour des catégories de la vie quotidienne: la
propreté, le sanitaire et le nutritif, ainsi que le contrôle de l'anormal par la sor
cellerie (Douglas, 1963b). Professeur au département d'Anthropologie de
l'University College à Londres, elle enseigna ensuite aux Etats-Unis à la Russel
Sage Foudation, à la Northwestern University, et enfin à Princeton. Mary
Douglas acquit une notoriété internationale avec la publication de son livre
Purity and Danger : an analysis of concepts of Pollution and Taboo (1968). Dans
ce livre synthétique, elle se libérait du confinement monographique ou ethnique
de beaucoup d'ethnologues, et tentait d'établir une comparaison systématique
entre constructions «primitives», traditionnelles et modernes de la signification :
comment se forme la sélection sociale des biens et des maux, de la pureté et du
danger, de la pollution et des tabous ? Comment s'élabore la justification cultu
relle d'une hiérarchie des valeurs et notamment des valeurs négatives (telles
celles que nous lions ordinairement au risque) ?
Elle montrait ainsi comment la réaction des sociétés -aussi bien primitives
que modernes- à l'anomalie, à l'ambiguïté, à la malpropreté, à la catastrophe,
sont souvent organisées dans une continuité structurée par rapport à ce qui est
normal, univoque, propre. Or les rangements opérés dans le monde en grands
«menus» séparés, ne vont pas sans se ressembler d'une culture à l'autre. Par
exemple, selon Mary Douglas, les antithèses occidentales chrétiennes entre le
sang et l'eau, la nature et la grâce, la liberté et la nécessité (qui sont encore à la
base de bien de nos propres raisonnements) sont éclairés par le traitement afri
cain ou polynésien de thèmes apparentés (1966, 16). Comme toutes les cultures
humaines procèdent à une mise en ordre du monde, elles rencontrent toutes le
problème de la définition d'un reste, ou d'une zone intermédiaire avec l'inconsis
tance extérieure, c'est-à-dire ce qui doit rester hors champ. L'évocation de cette
twilight zone est universelle, car aucune culture humaine n'est en mesure de tout
dire ou de tout prévoir du réel (1976) : là où nous plaçons notre rhétorique du
risque, d'autres cultures ont évoqué sous forme mythique, mais aussi dans les
mots de la vie quotidienne, la transition entre le facilement maîtrisable et le tota
lement inconnu.
Au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, Mary Douglas explora le
rapport des sociétés modernes industrialisées au risque, qu'il soit économique ou
technologique. Près de dix ans avant que la question n'émerge de façon similaire
en Europe (en débouchant alors sur la dimension politique), le problème de la
destruction de l'environnement naturel était apparu aux Etats-Unis comme un
346 de débat civil (1970). Pour la première fois, le mouvement social obligeait thème
le monde intellectuel à étendre le sens du mot risque (jusque-là traditionnell
ement limité à son acceptation économique : riesgo, risque de l'armateur, puis par
extension, de l'entreprise capitaliste) à la notion d'une menace plus diffuse pour
l'ensemble de la société. Une idée jusque là réductible aux mathématiques des
jeux de pari, devenait du même coup plus floue, composite, voire paradoxale.
Mary Douglas joua de ses compétences dans diverses disciplines pour
organiser un véritable débat entre des protagonistes aussi différents que les
communautés d'écologistes, les entrepreneurs, les ingénieurs, ou les bureauc
rates des grandes institutions américaines de contrôle, de prévention ou de
protection (comme l'EPA, l'OTA, l'OSHA, la NRC, etc.)1. Ce travail de sutu-
ration intellectuelle (mené notamment par l'animation d'un programme de
recherche sur le Risque à la Russel Sage Foundation) donna lieu au livre Risk
and Culture (Douglas, Wildavsky, 1983), qu'elle écrivit en collaboration avec
Aaron Wildasvky, professeur de science politique à l'Université de Berkeley,
et qui avait vigoureusement combattu l'idée d'un «risque zéro», comme
contraire à la société d'autonomie que voulait être l'Amérique. Dans ce livre-
clef, Mary Douglas reprenait son élaboration théorique des années précé
dentes, et proposait, sur la question des risques technologiques, un mode
d'explication fondamentale des comportements sociaux de propension et
d'aversion au risque. Pour elle, en effet, la logique profonde de notre rapport
à la menace, au danger, au calcul, à la chance, est influencé par position
sociale, notre insertion subjective et pratique dans les institutions. C'est cette
hypothèse que nous allons essentiellement présenter et discuter ici, en y rap
portant les travaux ultérieurs des disciples de Mary Douglas qui élargirent à
d'autres problèmes ce qu'ils appelèrent, assez audacieusement, la «Théorie
Culturelle».
III. Le savoir sur l'indéterminé : le mode d'approche cognitive dépend du
contexte culturel
Mary Douglas nous rappelle que les trav

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