Résonances nietzschéennes dans la prose narrative russe au tournant du XXe siècle - article ; n°1 ; vol.70, pg 141-149
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Résonances nietzschéennes dans la prose narrative russe au tournant du XXe siècle - article ; n°1 ; vol.70, pg 141-149

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Description

Revue des études slaves - Année 1998 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 141-149
9 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 16
Langue Français

Extrait

Monsieur Serge Rolet
Résonances nietzschéennes dans la prose narrative russe au
tournant du XXe siècle
In: Revue des études slaves, Tome 70, fascicule 1, 1998. Communications de la délégation française au XIIe
Congrès international des slavistes (Cracovie, 27 août - 2 septembre 1998). pp. 141-149.
Citer ce document / Cite this document :
Rolet Serge. Résonances nietzschéennes dans la prose narrative russe au tournant du XXe siècle. In: Revue des études
slaves, Tome 70, fascicule 1, 1998. Communications de la délégation française au XIIe Congrès international des slavistes
(Cracovie, 27 août - 2 septembre 1998). pp. 141-149.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1998_num_70_1_6486RESONANCES NIETZSCHEENNES
DANS LA PROSE NARRATIVE RUSSE
AU TOURNANT DU XX« SIÈCLE
PAR
SERGE ROLET
Parmi les écrivains russes marqués, au tournant du siècle, par l'influence de
Nietzsche, la critique sépare dès l'origine le bon grain de l'ivraie. À côté de dis
ciples brillants, membres des cercles symbolistes, elle identifie de simples « vul
garisateurs », pressés d'utiliser ce qui, dans le surhomme nietzschéen, est sus
ceptible de fournir des personnages non conformistes1. En dehors du jeune
Gor'kij, il semble admis qu'il n'existe pas en Russie de prose narrative « niet
zschéenne » de valeur, soit que son inspiration n'ait été dite nietzschéenne que de
manière abusive, soit que (c'est la lecture la plus courante chez les commentat
eurs soviétiques) la faiblesse de tel ou tel récit (ou roman) découle des préten
dus travers de la pensée même de Nietzsche. Dans les deux cas, ce qui est censé
pécher chez les prosateurs russes remonte à la figure trop cruelle du surhomme.
C'est cette sévérité particulière des exégètes à l'égard des auteurs d'histoires
nietzschéennes que je voudrais, au moins, nuancer.
D'abord, on trouve chez tous les auteurs russes influencés par Nietzsche, et
jusque chez les plus savants, des distorsions considérables par rapport aux textes
de référence2. Les symbolistes ne sont guère plus fidèles à leur modèle allemand
que L. Andreev ou A. Kuprin. Mais là n'est pas l'essentiel. Si l'on en croit
G. Colli, la pensée de Nietzsche ne perd rien à une lecture non savante, naïve3.
1. Ce terme, dont l'usage remonte au début du XXe siècle, est repris sans être remis
en question par E. W. Clowes dans l'article « Literary réception as vulgarization : Nietzsche's
idea of tnę superman in neo-realist fiction », in Nietzsche in Russia, éd. B. G. Rosenthal, Prin
ceton, 1986, p. 315 j$.
2. V. Papernyj a montré que chez les symbolistes Nietzsche devenait « méconnaiss
able » (« Блок и Ницше », in Труды по русской и славянской филологии, í. XXXI, Уче
ные записки Тартуского гос. университета, fasc. 491, 1979, р. 85).
3. G. Colli estime que la pensée de Nietzsche agit sur la vie « non pas au sens le plus
fréquent, lorsque la pensée abstraite d'un philosophe intervient indirectement pour modifier la
vie des hommes ». Dans le cas de Nietzsche, dit-il, « la pensée atteint le tissu immédiat de la
vie et se mêle à elle, suscitant chez les hommes des résonances immédiates et provoquant des
Rev. Étud. slaves, Paris, LXX/1, 1998, p. 141-149. 142 SERGE ROLET
La question de l'influence au sens strict tend dès lors à perdre de sa pertinence.
L'absence d'une filiation précisément établie n'empêche pas que les résonances
soient nombreuses, et, probablement, moins altérées qu'il a paru. Il se pourrait
que des références affichées à Nietzsche aient occulté un nietzschéisme discret,
diffus, voire à énigme.
Ensuite, on peut penser que le genre narratif a une affinité particulière avec
Nietzsche. Le rejet des idéaux transcendants (le Vrai, le Bien...) voulu par
Nietzsche correspond à un « retournement général contre la théorie au profit de
la narration4 ». En Russie, ce lien est peut-être plus évident qu'ailleurs : avait lui-même reconnu ce qui le liait à Dostoevskij et L. Šestov
devait dès 1900-1901 proposer une interprétation commune de Nietzsche, Tołs
toj et Dostoevskij, promise à un très grand succès. Nietzsche était bien l'un des
points de repère majeurs de la prose narrative.
Mon hypothèse est que, pour bien percevoir l'écho nietzschéen que renvoie
la prose russe au tournant du siècle, il faut ne pas s'en tenir aux avatars de la
seule figure du surhomme, surtout dans la présentation très simplifiée qui en est
généralement donnée. Le surhomme, c'est l'arbre qui cache la forêt, l'élément le
plus frappant, et pour cela le plus largement connu de la doctrine. Or, si l'on en
croit les spécialistes, le surhomme est loin d'être le concept clé de la pensée de
Nietzsche5. Dans les termes mêmes du Zarathoustra, on pourrait dire que, des
trois stades par lesquels passe la transmutation des valeurs (le stade du chameau,
celui du lion, et celui de l'enfant), le surhomme est le plus souvent interprété de
manière restrictive : il est assimilé au second, celui du lion. Ne sont repérés dans
les récits russes du début du siècle comme nietzschéens que les personnages
négateurs, capables seulement de s'opposer, le plus souvent avec violence, aux
valeurs existantes. Rien d'étonnant si de tels héros paraissent des caricatures du
mythe nietzschéen. Dans quelques récits de l'époque considérée6, je tenterai de
mettre au jour d'autres attitudes, liées de manière différente à la pensée de
Nietzsche. Mais, en dehors du plan thématique, de la psychologie, des conver-
passions que la sensibilité de chacun perçoit en affinité. [...] Ainsi Nietzsche se révèle être un
type paradoxal de penseur, [...] qui laisse son empreinte dans l'esprit bien avant que dans la
raison. [...] En réalité, Nietzsche n'a aucunement besoin d'être interprété, c'est-à-dire déter
miné conceptuellement selon telle ou telle direction, parce que son action sur la vie indivi
duelle est directe » (Scritti su Nietzsche, Milan, 1980, trad. fr. par P. Farazzi, Écrits sur
Nietzsche, Paris, 1996, p. 7). Colli note encore : « Même la plus grande disponibilité à l'émo
tion est un élément favorable. Et il est important que cela puisse être un point de départ. »
(Ibid., p. 21). Il précise, à propos du Gai savoir, que « le lecteur naïf [...] reste en tout cas plus
disponible et serein qu'un lecteur avisé » (ibid., p. 71).
4. R. Rorty, Contingency, Irony and solidarity, Cambridge, 1989 ; trad. fr. par
P.-E. Dauzat, 1993, p. 17.
5. Colli rappelle que « c'est le grand dégoût, la contemplation du dernier homme, de
l'homme minuscule — en somme de l'humanité concrète, telle qu'elle vit devant nous — qui
se traduit apolliniennement dans la figure du surhomme » (op. cit., p. 92). Évoquant les
œuvres qui suivent le Zarathoustra, il constate que « seule la théorie du surhomme ne se
retrouve pas dans les autres écrits de Nietzsche, ce qui est normal, puisque le n'est
pas une doctrine mais un mythe » (ibid., p. 97).
6. Je me limiterai ici aux œuvres narratives de quelques membres de la pléiade gor-
kienne (faisant partie du noyau du cercle Sreda et collaborateurs des éditions Znanie : Skitalec
[S. Petrov], A. Kuprin, L. Andreev, V. Veresaev). RESONANCES NIETZSCHÉENNES DANS LA PROSE NARRATIVE RUSSE 143
gences avec Nietzsche peuvent encore être repérées dans la conception du lan
gage et le rapport à la vérité que véhiculent les œuvres.
Dans Rasskaz о Sergee Petroviče (le Récit de Sergueï Pétrovitch, 1900), les
références à Ainsi parlait Zarathoustra sont nombreuses. Sergej Petrovič et son
ami Novikov lisent et admirent l'œuvre, mais cela ne suffit pas à faire d'eux des
personnages « nietzschéens ». Les deux étudiants ne se conduisent pas selon les
préceptes de Zarathoustra ; entre leur attitude et celle à laquelle Nietzsche
appelle, il y a tout un monde. Ils se bornent à percevoir chez un
ensemble de thèses, à simplement comprendre. Leur nietzschéisme, tel qu'il est
évoqué dans les deux premiers chapitres, reste intellectuel, mental. Au mieux, de
la part de l'esthète Novikov, c'est une pose, un

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