Sens interdits ? De Vigny et du lexique de la ville - article ; n°83 ; vol.24, pg 9-26
19 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Sens interdits ? De Vigny et du lexique de la ville - article ; n°83 ; vol.24, pg 9-26

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
19 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Romantisme - Année 1994 - Volume 24 - Numéro 83 - Pages 9-26
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 24
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Jacques-Philippe Saint-
Gérand
Sens interdits ? De Vigny et du lexique de la ville
In: Romantisme, 1994, n°83. pp. 9-26.
Citer ce document / Cite this document :
Saint-Gérand Jacques-Philippe. Sens interdits ? De Vigny et du lexique de la ville. In: Romantisme, 1994, n°83. pp. 9-26.
doi : 10.3406/roman.1994.5931
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1994_num_24_83_5931Jacques-Philippe SAINT-GÉRAND
Sens interdits ? De Vigny et du lexique de la Ville
Si, comme le notait Wittgenstein dans ses Philosophische Untersuchungen,
les mots n'ont pas de sens et n'ont que des emplois ', leurs différentes occurrences
doivent être distinguées selon la finalité de leurs conditions de contextualisation et
d'énonciation : les nécessités pratiques de la communication banale requièrent
d'autres exigences sémantiques immédiates que celles fixées par l'objectif de la
représentation littéraire. Et les textes des siècles passés sont souvent assez
trompeurs à cet égard. De ce constat découle que les dictionnaires de langue,
fondant leurs descriptions sur des usages singuliers érigés en conditions générales
d'emploi, ne peuvent être utilisés comme instruments de démonstration que sous
certaines conditions spécifiques de lecture. La première est de respecter leur
caractère technique : les dictionnaires de choses — à vocation encyclopédique,
souvent illustrés de planches ou de croquis — n'ont pas le même dessein que les
dictionnaires de langue, plus soucieux de recenser des usages et de définir une
norme. La seconde est de ne jamais oublier leur caractère de construction
idéologique, reflétant les intérêts politiques de leurs auteurs et circonscrivant les
limites de l'action qu'ils veulent exercer sur la collectivité des lecteurs. Une
troisième condition est enfin de ne jamais accepter leur témoignage sans
soumettre celui-ci au crible d'une critique fondée sur la connaissance des règles
métalexicographiques en usage à l'époque de la rédaction de ces ouvrages et sur
celle des mentalités dominantes véhiculées par les mots en situation contextuelle
d'énonciation. Une conception historique du langage et de la langue — sociale et
politique par nécessité intime — est toujours sous-jacente à la rédaction des
notices ; et, l'horizon de retrospection sur lequel, en cette fin de XXe siècle, se
déploient pour nous les paraphrases et les gloses sémantiques des dictionnaires,
pour être validé et avoir puissance de probation, doit toujours être balisé par les
repères d'une histoire conjointe de la lexicographie et des représentations de la
signification. Le terme de "sémantique", comme on le sait, n'est pas couramment
employé dans le domaine français avant la fin du XIXe siècle et Michel Bréal 2. Sur
le fond d'un modèle biologique 3 il définit alors le passage d'une conception figée
du sens, corollaire des normes et des effets de la hiérarchisation lexicale, à une
conception dynamique qui fait du mot un constituant — parmi d'autres — du
dispositif grâce auquel l'homme est apte à représenter ses conceptions et à
communiquer ses pensées au monde. Mais c'est bien ce phénomène de
dynamisation du sens qui est à l'oeuvre dans les accommodations du lexique
auxquelles procèdent les expérimentations scripturales des poètes.
Géographes et étymologistes admettent depuis longtemps que "ville" provient
d'une vieille base indo-européenne indiquant l'unité sociale immédiatement
supérieure à la famille, et apte par cela à désigner toute agglomération humaine de
ROMANTISME n°83 (1994-1) 10 Jacques-Philippe Saint-Gérand
quelque importance. Ainsi le terme ne traduit-il pas expressément le latin "villa"
dont il est pourtant morphologiquement issu. Ce dernier s'appliquait alors aux
grandes maisons domaniales conçues par le monde romain pour fédérer les
constituants d'une exploitation rurale étendue, dont le système s'est développé par
la suite dans le monde gallo-romain et perpétué dans la société mérovingienne.
Les Latins, pour leur part, avaient recours à deux termes : "urbs", qui définissait
l'espace géographique délimité par les murs d'enceinte ; et "civitas", renvoyant à la
collectivité politique des habitants de la ville, les citoyens. Le premier a quasiment
disparu en ce sens des langues romanes et n'a réapparu que récemment sous les
formes savantes "urbain", "urbanisme", "urbanité". En revanche, le second a été
adopté par l'ensemble des langues romanes pour désigner la ville : "citta" en
"ciudad" en espagnol et précisément "cité" en français, au sens de italien,
citoyens conçus dans une collectivité. Mais dans ce cas, par le biais d'une
synonymie toujours rampante dans la conscience linguistique des locuteurs, une
difficulté d'emploi supplémentaire et inattendue est survenue, qui résulte de
l'éclatement du mot en plusieurs sens : équivalent recherché de "ville" dans le
"cité" a désigné plus particulièrement le coeur historique des style noble,
agglomérations : l'île de la Cité à Paris, la City à Londres, la Cité de Carcassonne.
Puis, à la fin du XIXe siècle jusqu'à nos jours, en collocation dans des syntagmes
figés le plus souvent au pluriel, le terme a désigné les quartiers modernes,
planifiés, réservés à des activités spécifiques : cités-ouvrières, cités-jardins,
cités-dortoirs. On arrive ainsi au paradoxe linguistique selon lequel, contrairement
à la forme étymologique du terme, ce n'est pas la terre et la grosse exploitation
rurale qui ont créé la ville, mais la nécessité de commercer, de communiquer, de
circuler en toute sûreté. L'ensemble des "villae", le "villaticum", a donné le
"village", comme agglomération d'unités isolées ; la "ville", quant à elle, procède
d'autres exigences, qui sont celles de sa propre circonscription dans une enceinte,
du commerce, et de la sécurité de ses habitants. Au terme de cette translation du
sens, en ces premières années du XIXe siècle, l'homme a quitté la cité pour
rejoindre la ville.
Les marques géographiques et géométriques de ces nécessités sont
généralement perceptibles en termes de localisation et de topographie, et la
plupart du temps symboliquement récupérables par les philosophes ou les
écrivains de la ville, qui ont fait de ces marques des lieux communs de leur
rhétorique descriptive : un site perché oppidum, un camp militaire castrant, un
lieu sacré ou une abbaye, un port, un confluent de rivières ou de fleuves, un gué
ou un pont, un grand marché, des constructions effectuées selon des plans
réguliers, présentent les avantages recherchés par les citoyens soucieux de
s'enrichir et de vivre en tranquillité. C'est là, comme on le verra dans la suite, le
fond d'expérience et de documentation sur lequel s'appuient les dictionnaires du
XIXe siècle, encore ignorants des derniers développements de la chose et —
particulièrement — de ces "villes-champignons", qui, à l'image de Denver, Omaha
ou Kensington, vers 1880, et au mépris de la solidarisation réelle des individus, se
mettaient à pousser en quelques jours ou semaines aux Etats-Unis. Quinze ans
auparavant, dans les colonnes du Temps de 1868, Jules Ferry dénonçait le premier
les méfaits de lTiaussmannisation forcenée du second Empire dans une suite
d'articles férocement intitulés "Comptes fantastiques d'Haussmann" : et politique du sens interdit en "ville" 11 Poétique
C'est peine perdue de regretter l'ancien Paris, où il existait des groupes, des voisinages,
des quartiers, des traditions ; où l'expropriation ne troublait pas à tout instant les
relations anciennes, les plus chères habitudes ; où l'artisan, qu'un système impitoyable
chasse aujourd'hui du centre, habitait côte à côte avec le financier ; où l'esprit était
prisé plus haut que la richesse. Ce vieux Paris, nous le pleurons de toutes les larmes de
nos yeux en voyant la magnifique et intolérable hôtellerie,

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents