Sur-emploi et chômage déguisé dans les économies planifiées et en transition : une interprétation néo-classique - article ; n°1 ; vol.25, pg 139-156

Daniel Linotte

Description

Revue d’études comparatives Est-Ouest - Année 1994 - Volume 25 - Numéro 1 - Pages 139-156
Over-full and hidden unemployment in command and transition economies : a neo-classical perspective.
The employment paradox in command economies - i.e. the coexistence of hidden unemployment at the enterprise level and shortages of labour at the macroeconomic level - can be explained within a neo-classical framework, even if the Barro-Grossman « repressed inflation » case does not seem to be the relevant reference. Transition from the plan to the market creates open unemployment. However, hidden unemployment seems to remain the rule in enterprises. On the whole, more information about enterprise behaviour is needed to be conclusive about labour hoardings.
Le paradoxe de l'emploi des économies centralement planifiées - c'est-à-dire la coexistence d'un fort chômage déguisé dans les entreprises et d'une pénurie de travail sur les marchés - peut s'expliquer dans un cadre néo-classique, même si l'équilibre d'« inflation réprimée » de Barro et Grossman n'est pas la référence qui s'impose. La transition du plan vers le marché crée du chômage ouvert. Toutefois, un important chômage déguisé est encore fréquemment dénoncé. Pour pouvoir être véritablement conclusif sur la rétention de main-d'œuvre au niveau de l'entreprise, plus d'informations sur son comportement nous paraissent nécessaires.
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: REVUE_D-ETUDES_COMPARATIVES_EST-OUEST
• Publié le: 01 janvier 1994
• Nombre de lectures: 249
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Daniel Linotte
Sur-emploi et chômage déguisé dans les économies planifiées
et en transition : une interprétation néo-classique
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 25, 1994, N°1. pp. 139-156.
Abstract
Over-full and hidden unemployment in command and transition economies : a neo-classical perspective.
The employment paradox in command economies - i.e. the coexistence of hidden unemployment at the enterprise level and
shortages of labour at the macroeconomic level - can be explained within a neo-classical framework, even if the Barro-Grossman
« repressed inflation » case does not seem to be the relevant reference. Transition from the plan to the market creates open
unemployment. However, hidden unemployment seems to remain the rule in enterprises. On the whole, more information about
enterprise behaviour is needed to be conclusive about labour hoardings.
Résumé
Le paradoxe de l'emploi des économies centralement planifiées - c'est-à-dire la coexistence d'un fort chômage déguisé dans les
entreprises et d'une pénurie de travail sur les marchés - peut s'expliquer dans un cadre néo-classique, même si l'équilibre d'«
inflation réprimée » de Barro et Grossman n'est pas la référence qui s'impose. La transition du plan vers le marché crée du
chômage ouvert. Toutefois, un important chômage déguisé est encore fréquemment dénoncé. Pour pouvoir être véritablement
conclusif sur la rétention de main-d'œuvre au niveau de l'entreprise, plus d'informations sur son comportement nous paraissent
nécessaires.
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Linotte Daniel. Sur-emploi et chômage déguisé dans les économies planifiées et en transition : une interprétation néo-classique.
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 25, 1994, N°1. pp. 139-156.
doi : 10.3406/receo.1994.2654
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1994_num_25_1_2654Revue d'études comparatives Est-Ouest, 1994, 1 (mars)
pp. 139-156 - Daniel LINOTTE
Sur-emploi et chômage déguisé
dans les économies planifiées et en transition
une interprétation néo-classique
Daniel LINOTTE *
Sans exception, les économies en transition sont confrontées à des taux de
chômage relativement élevés (voir Tableau I). Ce chômage « ouvert »
contraste fortement avec la situation qui prévalait sous l'ancien régime, carac
térisé par la coexistence du sur-emploi au niveau macro-économique et d'un
fort chômage déguisé, caché, dans les entreprises.
Tableau I
Taux de chômage en Europe centrale et orientale (en %)
Prévision
1991 1992 1993 1994 1989 1990
Bulgarie 1,5 10,8e 18,9e 22,0 24,0
Hongrie 0,5 1,0 5,0e 11,7e 17,0 18,0
Pologne 3,5 9,7 13,3 16,0
Roumanie 3,0 6,6e 11,0 15,0
Russie 0,5e 8,0 20,0
République tchèque 0,8 4,1 2,6 4,0 8,0
Slovaquie 1,6 11,8 10,4 14,0 16,0
Sources : Commission des Communautés Européennes et OCDE.
D. Linotte, Bref panorama des problèmes du chômage dans les économies en transition,
Conseil de l'Europe, Assemblée parlementaire, Commission des questions sociales, de la santé et
de la famille, Strasbourg le 22 mars 1993, As/Soc (44) 38.
Note : e - estimation.
De prime abord, le paradoxe de l'emploi dans les économies centralement
planifiées (ECP) s'apparente à l'équilibre d'« inflation réprimée » des écono
mies de marché, caractérisé par des prix et des salaires rigides, et une demande
excédentaire, sur les marchés des biens et du travail. En d'autres termes, les
* Professeur invité, Université Catholique de Leuven (KUL), Université de Bâle
(Institut Européen) et European Business School, Bruxelles.
139 Daniel Linotte
caractéristiques fondamentales des marchés du travail des ECP peuvent s'expl
iquer dans le cadre du paradigme néo-classique, qui suppose que les agents écono
miques - en l'espèce, les travailleurs et les entreprises - maximisent une fonction
d'utilité dans un cadre précis, contraignant : une planification tendue, des ratio
nnements sur les marchés des biens et l'obligation de travailler pour tous.
Dans cette perspective, nous proposons une nouvelle explication du « para
doxe de l'emploi » des ECP. En nous appuyant sur les données hongroises,
nous proposons également une courte analyse de la flexibilité des marchés du
travail durant la transition. Nous complétons cette analyse par une réflexion
théorique sur la demande de travail, qui ne permet pas de conclure à la persis
tance d'un chômage déguisé important.
1. L'inflation réprimée dans les économies de marché
Malinvaud tout comme Barro et Grossman, distingue trois types d'équilibre :
1) le chômage classique, 2) le chômage keynésien et 3) l'inflation réprimée
(voir encadré 1) '.
Encadré 1 : Typologie des équilibres macro-économiques
Marché des biens
Acheteurs Vendeurs
Acheteurs Chômage Marché Chômage
classique du keynésien
Inflation Travail Vendeurs
réprimée
Explications : Lorsque l'offre est rationnée sur les deux marchés (des biens et du tra
vail), les entreprises ne peuvent produire plus à cause d'une demande déficiente - il
y a alors chômage keynésien. Lorsque l'offre de travail effective n'est pas pleinement
employée et que les entreprises peuvent écouler la totalité de leur production, il y a
chômage classique. Enfin, lorsque la demande est excédentaire sur tous les marchés,
il y a inflation réprimée.
Source : D'après E. Malinvaud, op. cit., pp. 31 et 32.
1 . R. J. Barro and H.I. Grossman, « A General Disequilibrium Model of Income and
Employment », The American Economic Review, mars 1971, pp. 82-93. E. Malinvaud,
The Theory of Unemployment Reconsidered, Basil Blackwell, 1977.
140 Sur-emploi et chômage déguisé : interprétation néo-classique
Si nous considérons les ECP, l'équilibre de référence est l'inflation réprimée.
Le modèle de « Barro et Grossman » a d'ailleurs été testé par Howard à partir
de données soviétiques, qui conclut que les rationnements et l'inflation répr
imée n'ont guère d'effets sur l'offre de travail 2. Il faut toutefois remarquer que
Howard ne mentionne pas directement « le paradoxe de l'emploi ». Il souligne
simplement que les lois contre le parasitisme social supposent qu'une personne
a un emploi ou est à la recherche d'un emploi (p. 876), ce qui est pour le moins
sommaire et ne tient pas compte des caractéristiques fondamentales des ECP.
2. Le paradoxe de l'emploi dans les ECP
Selon Kornaï, un des acquis du socialisme est le plein emploi 3. Une telle
performance est le résultat des contraintes légales (l'obligation de travailler
sous peine d'emprisonnement) et de la planification, qui permet de mobiliser et
d'allouer la main-d'œuvre en fonction des priorités définies par le Parti 4.
Toutefois, l'emploi effectif diffère de l'emploi apparent. Ainsi, dans de nomb
reuses entreprises socialistes, il y a pléthore de main-d'œuvre - comme l'i
ndique le Tableau II - le chômage déguisé, ou l'excès de main-d'œuvre, pouvant
atteindre des proportions pour le moins respectables, soit 15 à 30 % des tra
vailleurs 5. De plus, sur les marchés du travail des ECP, la demande de travail
excède généralement l'offre - ce déséquilibre est la conséquence d'une planifi
cation tendue, donnant la priorité à plus de production. Conséquemment, on
peut désigner un paradoxe : 1) au niveau micro-économique, il y a pléthore de
travailleurs ; 2) au niveau macro-économique, il y a un manque de main-
d'œuvre 6.
3. Caractéristiques essentielles des ECP
Pour expliquer le « paradoxe de l'emploi », il nous paraît essentiel de résu
mer quelques caractéristiques fondamentales des ECP, qui contraignent et
déterminent les décisions des principaux acteurs économiques sur le marché du
travail.
2. D.H. Howard, " The Disequilibrium Model in a Controlled Economy : An Empir
ical Test of the Barro-Grossman Model ", The American Economic Review, décembre
1976, pp. 871-879.
3. J. Kornai, Economics of Shortage, Volume A, North Holland, 1980, p. 235.
4. Voir M. Ellman, Socialist Planning, Cambridge University Press, 1989, p. 173.