Sur la chlorose - article ; n°31 ; vol.11, pg 113-130
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Description

Romantisme - Année 1981 - Volume 11 - Numéro 31 - Pages 113-130
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1981
Nombre de lectures 42
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M Jean Starobinski
Sur la chlorose
In: Romantisme, 1981, n°31. Sangs. pp. 113-130.
Citer ce document / Cite this document :
Starobinski Jean. Sur la chlorose. In: Romantisme, 1981, n°31. Sangs. pp. 113-130.
doi : 10.3406/roman.1981.4476
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1981_num_11_31_4476Jean STAROBINSKI
Sur la chlorose
Une image de l'insuffisance vitale hante les textes du XIXème
siècle : la chlorose. Il ne saurait s'agir ici de recueillir toutes les occur
rences littéraires de la chlorose. Rappelons quelques-unes de ses appar
itions, et si possible les plus significatives.
Quel lecteur de Balzac n'a été navré par la triste destinée de
l'héroïne de Pierrette ? (1) Qui ne se souvient de la strophe ironique
de L 'Idéal de Baudelaire :
« Je laisse à Gavarni, poète des chloroses,
Son troupeau gazouillant de beautés d'hôpital,
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal. » (2)
La chlorose définit un type féminin, et en même temps un univers
esthétique douteux, auquel Baudelaire oppose d'autres figures : Lady
Macbeth, et la « grande Nuit, fille de Michel-Ange ». L'antithèse se for
mule, dans le registre de la couleur, entre le rouge du sang et la décolo
ration (verdâtre, selon la tradition) des filles chlorotiques ; plus secrète
ment, entre la Nuit et la pâleur ; entre une forme forte du Mal (Lady
Macbeth) et une forme faible (l'hôpital). Mêmes rimes, et, implicit
ement même opposition dans Le Soleil :
« Ce poète nourricier, ennemi des chloroses,
Eveille dans les champs les vers comme les roses...» (3)
Le jeu des homonymes associe versification, verdure, << helmin
thes », dans une même opposition à l'engourdissement chlorotique.
L'on ne quitte pas le règne de la chlorose, quand Baudelaire apos
trophe les femmes de l'âge contemporain, en les comparant aux « beaut
és » des « époques nues » :
« Et vous, femmes, hélas ! pâles comme des cierges...» (4)
1. On se reportera aux explications de Moïse Le Yaouanc, dans Nosogra-
phie de Ibumanité balzacienne, Paris, Maloine, 1959, p. 212-220. Les articles im
portants de Y Encyclopédie méthodique et du Dictionnaire des sciences médicales,
judicieusement cités, attestent la variation des conceptions médicales au tournant
du XIXème siècle. Les vues que Balzac adopte ne sont pas les plus modernes.
2. Les Fleurs du Mal, XVIII, vers 5-8.
3.du LXXXVII, vers 9 et 10.
4. Les Fleurs du Mal, V (« J'aime le souvenir de ces époques nues »), vers 25. 1 14 Jean Starobinski
Une parenté certaine — à travers la couleur verte — nous permet
d'associer la chlorose au spleen : dans les veines du jeune « roi d'un pays
pluvieux », « coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé » (5).
L'application métaphorique de la notion médicale de chlorose à
une perversion littéraire apparaît dès 1835, chez Sainte-Beuve. Parlant
du Chatterton de Vigny, il évoque un « jugement familier » qui parlait
à son propos de « rhumatisme littéraire », puis il ajoute : « J'ai aussi
entendu nommer très spirituellement cette maladie d'espèce nouvelle
dont sont atteints les jeunes talents, la chlorose littéraire » (6).
Rien de plus détestable, pour Flaubert, que la «chlorose du style».
Le sont les mots comme « ange » — l'avertissement s'adresse à Louise
Colet - « qui donnent des chloroses au style ». Avec les clichés du r
omantisme, Emma a rêvé « le rare idéal des existences pâles ». Plus bru
talement, mais dans une association d'idées très directe, l'image de la
chlorose, dans la Correspondance, se lie à celle des « fleurs blanches ».
Conclusion : « D nous faut tous prendre du fer pour nous faire passer
les chloroses gothiques que Rousseau, Chateaubriand et Lamartine nous
ont transmises ».
Le ton est différent, et l'ironie est plus âpre à l'égard d'un art sans
vérité, dans l'un des poèmes où Corbière énonce son art poétique :
« Poète - Après ?... Il faut la chose :
Le Parnasse en escalier,
Les Dégoûteux, et la Chlorose, Bedeaux, les Fous à lier ... » (7)
Des Esseintes, à son tour, viendra porter témoignage : il est à la
fois « anémique et nerveux », et il a, vers la fin de l'enfance, traversé
une période de chlorose :
« Son enfance avait été funèbre. Menacée de scrofules, accablée par d'opi
niâtres fièvres, elle parvint cependant, à l'aide de grand air et de soins, à
franchir les brisants de la nubilité, et alors les nerfs prirent le dessus, matè
rent les langueurs et les abandons de la chlorose, menèrent jusqu'à leur entier
développement les progressions de la croissance.» (8)
Nous le verrons, les névralgies, les maux de tête, les douleurs gas
triques, qui tourmentent Des Esseintes, ont longtemps passé pour les
symptômes obligés de la chlorose.
5. Les Fleurs du Mal. LXXVII (Spleen), vers 18. Dans les pays de langue an
glaise, la chlorose est aussi nommée « green sickness » .
6. Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. II, Michel Lévy, 1869, p. 75.
7. Tristan Corbière, Les Amours Jaunes, éd. par P.-O. Walzer, dans Charles
Cros, Oeuvres complètes, Paris, « Pléiade », Gallimard, 1970, p.
706. Corbière a repris le mot, dans un oxymore descriptif : « De blonds Norvé
giens hercules de chlorose »...(« Le Bossu Bitor », vers 132, éd. cit., p. 821). La
médecine de l'époque connaissait une «chlorose des géants». Voir C. Bouchard, Les
Malades par ralentissement de la nutrition, Paris, 1 890, p. 1 1 5.
8. J.-K. Huysmans, A Rebours, éd. par Marc Fumaroli, coll. « Folio », Gall
imard, 1977, p. 80. Sur la chlorose 115
La décoloration des végétaux porte le même nom. Il n'en faut pas
plus selon Toussenel, pour attribuer au dépérissement végétal la cause
passionnelle généralement invoquée pour les « pâles couleurs » des vier
ges :
« Oh ! oui, les fleurs confessent la loi universelle d'amour, comme le po
tassium et l'acide sulfurique la loi du désir et du bonheur gravée
au cœur de tous les êtres par le burin de Dieu. Le luxe et l'éclat de la fleur af
firment que le bonheur est au bout de la passion satisfaite ; son affaissement
et ses pâles couleurs, que la souffrance est au bout de la passion compri
mée.» (9)
La chlorose, enfin, ne pouvait être absente de la grande épopée du
sang développée par Zola dans les Rougon-Macquart. Lisa Macquart
meurt de « décomposition du sang » ; Charles Rougon, hémophile,
« petit roi exsangue », se saigne à blanc sous les yeux de l'aïeule dément
e (10). La chlorose est l'une des manifestations de la tare, et elle est en
même temps l'une des expressions symboliques de la pauvreté. Angèle,
la première femme d'Aristide Saccard,est chlorotique et c'est d'elle, pour
une part non négligeable, que son petit-fils Charles tient la fragilité de
son sang. Significativement, la pauvreté de Saccard prend fin au mo
ment de la mort d'Angéle : l'ascension vers la fortune s'annonce au
ment où l'épouse chlorotique agonise.
Angéle est d'abord, dans La Fortune des Rougon, « une blonde
molle et placide », qui « aidait à la ruine de la maison Rougon par un
goût prononcé pour les toilettes voyantes et par un appétit formidable,
très curieux chez une créature aussi frêle. Angèle adorait les rubans
bleu ciel et le filet de bœuf rôti.» (11) Les perversions de l'appétit, on
le sait, font partie du tableau clinique de la chlorose. Certains traits de
caractère, typiques de la jeune fille chlorotique, seront remarqués en
Clotilde (fille d'Angéle) par le docteur Pascal : « En outre, ta mère était
une grande liseuse de romans, une chimérique qui adorait rester couchée
des journées entières, à rêvasser sur un livre.» (12)
Le registre de la pâleur (et de la chlorose) est particulièrement
souligné au chapitre II de la Curée : « Angèle acceptait la misère avec
sa mollesse de femme chlorotique [...] dépérissait ; la petite
Clotilde était toute pâle »...

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