Un demi-siècle de saignée - article ; n°3 ; vol.19, pg 121-141
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Revue d’études comparatives Est-Ouest - Année 1988 - Volume 19 - Numéro 3 - Pages 121-141
Fifty Years of Bleeding.
In the last fifty years the democratic tradition in Czechoslovakia has been exposed to three waves of repression : the Nazi (as a result of the Munich Agreement in 1938), the Stalinist (after the February communist putch in 1948) and the normalization (after the supression of the Prague Spring in 1968). In all three cases it was first and foremost the legacy of the philosopher and humanist, the first president of the Czechoslovak republic, T.G. Masaryk, which was to be annihilated.
The Nazi repression was motivated by racial and nationalistic hatred and was marked by extraordinary cruelty tending towards physical liquidation of the representatives of the national spirit. The Stalinist repression was fuelled by class-based hatred and ideological self-righteousness ; its main aim was to manipulate intellectual life reducing it to one direction only ; but judicial homicide was also in its portfolio of repressive measures. The third wave of repression which is still going on is an expression of political rivalry. It does not aim at physical liquidation but deprives the nonconformists of work in the field of their intellectual capacity and often of a decent existence in general ; they are subjected to various kinds of harassment.
In spite of all these repressions free thought could not be fully suppressed. Even in the most affected branches of Czechoslovak culture such as philosophy, sociology and historiography, the power of resistance is remarkable. Every period of relaxation, however short it might have been, such as the 1945-48 period or the late 1960s, brought an upsurge of free creative activity. In the last ten years independent intellectual activity has found its most effective means of expression in the samizdat literature. The unnatural situation requires uncustomary measures in order to cope with it. The Charter 77, a loosely knit association daring to voice alternative views and valuations within the frame of law, has become the beacon in what still can be described with Arthur Koestler as the Darkness at noon.
Ces cinquante dernières années, la tradition démocratique a subi en Tchécoslovaquie trois vagues de répression : la répression nazie (à la suite de l'Accord de Munich en 1938), la répression stalinienne (après le coup d'État communiste de 1948) et la « normalisation » (après l'élimination du Printemps de Prague en 1968). Dans les trois cas, on a cherché avant tout à annihiler l'héritage du philosophe et humaniste, T.G. Masaryk, premier président de la République tchécoslovaque.
La répression nazie se fondait sur la haine raciale et nationale et s'est illustrée par une cruauté inouïe et la liquidation physique de nombreux représentants de l'esprit de la nation. La répression stalinienne était alimentée par la haine de classe et le phari- saïsme idéologique ; elle a essentiellement cherché à manipuler la vie intellectuelle et à l'orienter dans une seule direction ; mais le meurtre organisé faisait également partie de sa panoplie. La troisième vague de répression, qui est toujours en cours, est l'expression de rivalités politiques. Elle ne tend pas à la liquidation physique des non-conformistes mais les empêche de travailler dans leur domaine intellectuel, souvent les prive de moyens d'existence décents et leur font subir toutes sortes de vexations.
Malgré ces diverses répressions, la liberté de penser n'a pu être totalement éliminée. Même dans les secteurs les plus affectés de la culture tchécoslovaque, à savoir la philosophie, la sociologie et l'histoire, la volonté de résistance a été remarquable. A chaque fois que la tension se relâchait, fût-ce pour peu de temps (par exemple, en 1945-1948 ou à la fin des années soixante), l'activité créatrice resurgissait. Ces derniers dix ans, les activités intellectuelles indépendantes ont pu s'exprimer le plus efficacement par l'intermédiaire du « samizdat ». Une situation aussi anormale exige des solutions exceptionnelles. La Charte 77, une association assez lâche, qui ose exprimer des vues et des valeurs différentes, sert de phare dans ce qu'on peut encore décrire avec Arthur Koestler comme la nuit à midi.
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 15
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Karel Hruby
Un demi-siècle de saignée
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 19, 1988, N°3. pp. 121-141.
Citer ce document / Cite this document :
Hruby Karel. Un demi-siècle de saignée. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 19, 1988, N°3. pp. 121-141.
doi : 10.3406/receo.1988.1376
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1988_num_19_3_1376Abstract
Fifty Years of Bleeding.
In the last fifty years the democratic tradition in Czechoslovakia has been exposed to three waves of
repression : the Nazi (as a result of the Munich Agreement in 1938), the Stalinist (after the February
communist putch in 1948) and the "normalization" (after the supression of the Prague Spring in 1968).
In all three cases it was first and foremost the legacy of the philosopher and humanist, the first president
of the Czechoslovak republic, T.G. Masaryk, which was to be annihilated.
The Nazi repression was motivated by racial and nationalistic hatred and was marked by extraordinary
cruelty tending towards physical liquidation of the representatives of the national spirit. The Stalinist
repression was fuelled by class-based hatred and ideological self-righteousness ; its main aim was to
manipulate intellectual life reducing it to one direction only ; but judicial homicide was also in its portfolio
of repressive measures. The third wave of repression which is still going on is an expression of political
rivalry. It does not aim at physical liquidation but deprives the nonconformists of work in the field of their
intellectual capacity and often of a decent existence in general ; they are subjected to various kinds of
harassment.
In spite of all these repressions free thought could not be fully suppressed. Even in the most affected
branches of Czechoslovak culture such as philosophy, sociology and historiography, the power of
resistance is remarkable. Every period of relaxation, however short it might have been, such as the
1945-48 period or the late 1960s, brought an upsurge of free creative activity. In the last ten years
independent intellectual activity has found its most effective means of expression in the "samizdat"
literature. The unnatural situation requires uncustomary measures in order to cope with it. The Charter
77, a loosely knit association daring to voice alternative views and valuations within the frame of law,
has become the beacon in what still can be described with Arthur Koestler as the Darkness at noon.
Résumé
Ces cinquante dernières années, la tradition démocratique a subi en Tchécoslovaquie trois vagues de
répression : la répression nazie (à la suite de l'Accord de Munich en 1938), la répression stalinienne
(après le coup d'État communiste de 1948) et la « normalisation » (après l'élimination du Printemps de
Prague en 1968). Dans les trois cas, on a cherché avant tout à annihiler l'héritage du philosophe et
humaniste, T.G. Masaryk, premier président de la République tchécoslovaque.
La répression nazie se fondait sur la haine raciale et nationale et s'est illustrée par une cruauté inouïe et
la liquidation physique de nombreux représentants de l'esprit de la nation. La répression stalinienne
était alimentée par la haine de classe et le phari- saïsme idéologique ; elle a essentiellement cherché à
manipuler la vie intellectuelle et à l'orienter dans une seule direction ; mais le meurtre organisé faisait
également partie de sa panoplie. La troisième vague de répression, qui est toujours en cours, est
l'expression de rivalités politiques. Elle ne tend pas à la liquidation physique des non-conformistes mais
les empêche de travailler dans leur domaine intellectuel, souvent les prive de moyens d'existence
décents et leur font subir toutes sortes de vexations.
Malgré ces diverses répressions, la liberté de penser n'a pu être totalement éliminée. Même dans les
secteurs les plus affectés de la culture tchécoslovaque, à savoir la philosophie, la sociologie et l'histoire,
la volonté de résistance a été remarquable. A chaque fois que la tension se relâchait, fût-ce pour peu
de temps (par exemple, en 1945-1948 ou à la fin des années soixante), l'activité créatrice resurgissait.
Ces derniers dix ans, les activités intellectuelles indépendantes ont pu s'exprimer le plus efficacement
par l'intermédiaire du « samizdat ». Une situation aussi anormale exige des solutions exceptionnelles.
La Charte 77, une association assez lâche, qui ose exprimer des vues et des valeurs différentes, sert
de phare dans ce qu'on peut encore décrire avec Arthur Koestler comme la nuit à midi.Un demi-siècle de saignée.
Karel HRUBY*
Le 29 septembre 1938 est signé à Munich l'accord des quatre puissances
européennes, qui sacrifie sur « l'autel de la paix » la jeune république
tchécoslovaque — unique État vraiment démocratique de l'Europe centrale
d'alors, gagnée par le fascisme. La Tchécoslovaquie doit payer pour que ses
alliés, qui la livrent à la merci du tyran, jouissent d'un dernier instant de
tranquillité. Peu après l'État tchécoslovaque lui-même est liquidé, sans que
cela suscite d'autres réactions, de la part de ses alliés, que des protestations
purement verbales.
Pour la culture tchèque, et bientôt pour la culture slovaque, c'est le début
de la « saignée ». Au cours des cinquante années qui suivent, elles vont
subir trois vagues de persécutions : persécutions nazies, après Munich,
persécutions staliniennes, après le coup d'État de février 1948, et enfin
« normalisation » depuis l'occupation soviétique du 21 août 1968.
La première vague de persécutions est faite de haine nationale et raciste,
et s'accompagne d'une mégalomanie impérialiste : brutalités et liquidation
physique de milliers d'artistes, chercheurs et enseignants.
La deuxième vague est tout aussi impitoyable : faite de haine de classe
et d'aveuglement idéologique, elle anéantit valeurs, talents et vies — et, de
plus, déforme la pensée et manipule toute la vie spirituelle.
La troisième vague est l'expression de rivalités politiques. Elle est dirigée
contre ceux qui, d'une façon ou d'une autre, se permettent d'attaquer le
monopole du pouvoir exercé par le groupe dirigeant. Elle ne liquide pas
physiquement mais poursuit et atteint les gens dans leur existence, en les
empêchant de continuer leurs activités scientifiques ou créatrices.
Depuis un demi-siècle, à l'exception du court répit des années 1945-1947
et de la période du Printemps de Prague, la culture tchécoslovaque ne cesse
de subir l'oppression étouffante d'idéologies hostiles. Malgré tout elle vit,
elle crée et garde ses valeurs. C'est dans l'art, notamment la littérature, que
cette vitalité est probablement la plus remarquable. Mais elle s'affirme tout
* Bâle. Éditeur de la Revue en langues tchèque et slovaque, Promény.
121 Karel Hruby
autant dans le domaine scientifique, en particulier celui des « sciences
humaines » les plus proches du caractère national, de sa forme de pensée
et de ses valeurs morales : la philosophie, l'histoire et dans une certaine
mesure aussi la sociologie. Notre article sera consacré à ces disciplines.
1. La décennie 1938-1948
Après une période très florissante qui va de la moitié du xixe siècle à la
fin de 1938, la culture tchèque et slovaque est en butte dans les années qui
suivent Munich aux attaques brutales du pouvoir nazi. La suppression de
l'enseignement supérieur en 1939 interrompt subitement la formation
scientifique de la nouvelle génération. Pendant la guerre, les institutions
scientifiques cessent peu à peu de fonctionner et la base matérielle des
sciences sociales est réduite à sa plus simple expression. Beaucoup d'hom
mes de science remarquables périssent dans les prisons et les camps de
concentration, ou sont exécutés.
Entre 1937 et 1945, la science tchèque perd plusieurs grandes personnal
ités : cela est dû en partie au départ de la vieille génération, mais surtout
aux attaques des Nazis contre sa substance même. Peu avant Munich
meurent T.G. Masaryk et J. Pekaf, ces deux rivaux dans la conception du
sens de l'histoire tchèque, ainsi que F.X. Salda, critique littéraire de
dimension européenne. En 1942, disparaît le philosophe Emanuel Râdl,
autre grande personnalité de la culture tchèque. La même année un autre
philosophe, Josef Tvrdy de B

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