Valeur de la raison humaine - article ; n°53 ; vol.14, pg 5-18
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Revue néo-scolastique - Année 1907 - Volume 14 - Numéro 53 - Pages 5-18
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Publié le 01 janvier 1907
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Langue Français

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Clodius Piat
Valeur de la raison humaine
In: Revue néo-scolastique. 14° année, N°53, 1907. pp. 5-18.
Citer ce document / Cite this document :
Piat Clodius. Valeur de la raison humaine. In: Revue néo-scolastique. 14° année, N°53, 1907. pp. 5-18.
doi : 10.3406/phlou.1907.2083
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0776-5541_1907_num_14_53_2083I.
VALEUR DE LA RAISON HUMAINE
La raison humaine n'a peut-être jamais autant souffert
des philosophes qu'à notre époque. C'est de toutes parts
qu'on l'attaque ; et voici le grief de fond que l'on oppose
à cette reine de la pensée.
Il y a des conditions subjectives de la connaissance, et
ces conditions l'envahissent tout entière. Quoi que nous
percevions, quoi que nous concevions, c'est toujours à l'aide
d'une modalité de notre être. Et, par suite, nous ne connais
sons toujours que nous-mêmes : « une réalité complètement
indépendante de l'esprit qui la conçoit, la voit ou la sent,
c'est une impossibilité » 1). Bien plus, cet esprit lui-même
est soumis à la même loi que tout le reste. Il ne nous est
donné qu'à travers les formes de la conscience ; il se réfracte
en y pénétrant, comme le rayon lumineux qui touche une
flaque d'eau. Si bien que, quels que soient ses efforts, il ne
saisit jamais de lui-même qu'un vain mirage. Pour conclure
de l'apparent à ce qui le dépasse, du phénomène à quelque
chose qui le déborde, il faudrait qu'il y eût ressemblance
entre l'un et l'autre. Or cette ressemblance n'existe pas, vu
que nous avons notre manière à nous de réagir : elle n'existe
ni pour la connaissance sensible, ni pour la connaissance
rationnelle. Du moins n'est-elle pas un fait, et nous n'avons
nul moyen de l'établir. Car tout objet que nous supposons
en dehors de nous pour le comparer à ce qui se passe en
') H. Poincaré, La valeur de la science, introduction, p. 9. Paris,
Flammarion, 1904. 6 CLOD I US PI AT
nous, devient par là même quelque chose de nous, s'y
« loge à notre guise * et n'est plus qu'une apparence : per
sonne ne monte sur ses propres épaules ou ne saute sur son
ombre.
Inutile donc de chercher quelle peut être en soi la con
stitution de la matière ; inutile de se demander ce que c'est
que la substance de l'âme et même ses facultés. Inutile
surtout de s'évertuer à savoir s'il existe un Dieu et quelle
en est la nature. La psychologie, mieux informée, nous
révèle que ces grands problèmes n'ont aucun sens pour
nous. Soumettre le réel à notre monde pour définir ce qu'il
est en lui-même, c'est vouloir « mesurer avec un gramme
ou peser avec un mètre » .
I.
On a répondu que trop de témoins véridiques « ont
affirmé avoir entr'ouvert la porte » de l'incognoscible,
« pour qu'un tel aveu d'impuissance » soit « irrévocable ».
On a fait observer aussi que le propre de notre esprit est
de chercher la raison dernière des choses, que nous sommes
poussés par un désir invincible à savoir ce que
venus faire en ce monde, que ce besoin essentiel de la pen
sée et cet instinct de la nature ne peuvent manquer de tout
fondement et que pourtant ils donnent l'un et l'autre dans
le vide, comme des organes sans objet, si le monde des
noumènes nous est absolument clos 1). Et ces remarques,
tirées du plus intime de notre vie, suffisent à nous mettre
en défiance. Nous persuadera-t-on si facilement que, pour
bien raisonner, il faut commencer par nier la raison et que
la sagesse consiste à supprimer nos aspirations les plus
irrésistibles, celles qui nous dominent sans relâche, dès que
notre esprit cesse de s'étourdir et de s'aveugler ? Non sans
doute ; et tout homme qui voudra réfléchir pour de bon,
') Denys-Cochin, L'évolution vt la vie, pp. 77-84. Paris, Masson. DE LA RAISON HUMAINE 7 VALEUR
aura le sentiment que les nouveautés du criticisme sont
plutôt de la haute voltige que de la philosophie. Pascal
accablait de son ironie ceux qui ne veulent pas songer à ce
qu'ils sont et à ce qu'ils deviendront ; Pascal avait raison.
On peut faire une réplique plus pressante et plus directe.
Nous ne connaissons toujours que nous-mêmes ; nous ne
pouvons saisir que les modalités de notre moi. Mais alors,
comment savons-nous qu'il y a dans le monde des esprits
pareils au nôtre ? J'admets, pour la facilité de la discussion,
que nous percevions immédiatement cet agglomérat des
• caractères physiques qui constitue le corps de nos sem
blables ; j'admets, puisqu'on le veut, que cet agglomérat
ne soit qu'un de mes états de conscience. Mais il n'en est
pas ainsi de la pensée qui se cache derrière ces symboles.
Ce principe d'activité, je ne le vois pas ; et, si loin que je
pousse la méthode dite de compénétration, je ne pourrai
jamais l'atteindre directement. Il faut, en conséquence, que
je la conclue d'une certaine manière. Et par quelle industrie,
puisque c'est une réalité en soi, une réalité qui ne m'est
point donnée ? Reste donc ou que j'abandonne le subjecti-
visme, ou que j'avoue hardiment ma prétention à exister
seul en ce monde, tout au moins mon impuissance à démont
rer l'existence de mes voisins. Et qui donc osera jamais
prendre sérieusement cette dernière attitude * Elle est tell
ement insoutenable, elle présente tant de ridicule qu'aucun
philosophe n'en a jamais voulu pour son propre compte.
Kant lui-même suppose à chaque instant qu'il existe
d'autres intelligences que la sienne. Il proclame d'abord,
il est vrai, qu'autour de la connaissance, il n'y a que de
l'indéterminé, et au dehors et au dedans. Mais attendez
qu'il touche à la science de la vie, et le bon sens lui
reviendra, aussi impérieux que chez le commun des hommes.
Vous le verrez alors fonder une morale qui est toute faite
de désintéressement et inventer une sorte de « règne des
volontés » . Qui donc devait aboutir plus fatalement que
Stuart Mill à la négation de tout autre moi que le sien ? © CLODIUS PIAT
C'est lui, je crois, qui a défendu avec le plus de rigueur et
d'ingéniosité l'identité du savoir et de la conscience. Et
pourtant, lorsqu'il se voit acculé à cette barrière extrême,
il proteste, il se récrie, il convertit tout en arme pour
éviter l'inévitable 1).
Cette considération mène encore plus loin, par un
autre aspect. De quelle manière connaissons-nous les faits
passés ? Nous ne les percevons pas immédiatement, puis
qu'ils sont à jamais éteints. Nous n'en possédons que des
symboles refroidis et plus ou moins mutilés ; et c'est de
ces que nous concluons à la réalité qu'ils repré
sentent. Mais comment ? par la voie du témoignage, sans
doute. Il y a donc entre eux et nous l'intermédiaire d'une
ou plusieurs volontés. Quel moyen d'inférer leur existence,
quel moyen d'apprécier la valeur de leurs dépositions, si
nous ne connaissons jamais que nous-mêmes, si nous ne
pouvons d'elles à nous établir aucun trait de parenté ? Le
subjectivisme, c'est l'effondrement de l'histoire tout entière,
et par là même la banqueroute des neuf dixièmes de notre
expérience. Que saurions-nous, je le demande, si d'autres
n'avaient déjà observé et raisonné pour nous ?
La science, d'ailleurs, ne se confine pas dans l'expé
rience ; elle ne se borne pas non plus à lier des phéno
mènes. Sa prétention constante est de passer de l'apparent
au réel. La lumière nous semble d'ordre statique ; Fresnel
la traduit en mouvements et Maxwell en courants élec
triques : ce qui est encore une espèce de mouvement. La
loi de Mariotte paraît d'une simplicité merveilleuse ; c'est
qu'elle ne donne que le résultat observable. D'après la
théorie cinétique, les gaz comprennent « des molécules
animées de grandes vitesses, dont les trajectoires, défor
mées par des chocs incessants, ont les formes les plus
Capricieuses et sillonnent l'espace dans tous les sens ».
l) Stuart Mill, Philosophie de Hamilton, pp. 247-251. Paris, Alcan, VALEUR DE LA RAISON HUMAINE 9
I

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