Vigny, l histoire et le roman - article ; n°1 ; vol.47, pg 323-337
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1995 - Volume 47 - Numéro 1 - Pages 323-337
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 25
Langue Français

Extrait

Mark K. Jensen
Vigny, l'histoire et le roman
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1995, N°47. pp. 323-337.
Citer ce document / Cite this document :
Jensen Mark K. Vigny, l'histoire et le roman. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1995, N°47. pp.
323-337.
doi : 10.3406/caief.1995.1878
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1995_num_47_1_1878L'HISTOIRE ET LE ROMAN VIGNY,
Communication de M. Mark K. JENSEN
(Tacoma, Washington, U.S.A.,
Pacific Lutheran University)
au XLVIe Congrès de l'Association, le 20 juillet 1994
En 1994 nous sommes en pleine fin de siècle. Est-ce
pour cela que nous semblons entrer dans une période
de confusion? Il y a de moins en moins de points de
repère fixes ou fiables pour orienter la recherche, et
nombreux sont ceux qui, comme François Dosse dans
un numéro récent du Débat, annoncent «un tournant
en cours» dans le domaine de la pensée (1). Pour quel
ques-uns, il s'agit d'un changement de «paradigme»;
d'autres sombrent dans différents scepticismes ; des es
prits plus ludiques — poststructuralistes — se réjouissent
de la liberté herméneutique que ces sem
blent accorder. Pour tous, le statut de l'histoire est en
jeu dans le «tournant en cours»; et c'est pour cette
(1) François Dosse, «L'Enjeu de l'histoire intellectuelle», Le Débat, mars-
avril 1994, n° 79, p. 42 Déjà, il y a trois ans, dans l'introduction du premier
volume de son Histoire du structuralisme, Paris, Editions de la découverte,
1991, il parlait d'un «tournant», mais d'une manière moins tranchée, en
disant que les années 1980 ont ouvert une «période nouvelle de remises en
questions» (p 1 1) Un autre auteur qui a tenté «un panorama de la modern
ité», Jacqueline Russ, juge que «nous sommes, en effet, dans un temps de
passage, opaque, cnsique, riche en apones et en incertitudes bien davantage
qu'en évidences » (La Marche des idées contemporaines, Paris, Armand
Colin, 1994, p. 5). 324 MARK K. JENSEN
raison qu'il est bon de l'évoquer aujourd'hui.
Selon François Dosse, «le phénomène majeur de la
période [depuis 1976] est l'affaissement de l'expérience
historique », ce qui crée « une situation de crise globale
dans tous les domaines de la pensée» (2). C'est cette
période qui toucherait à son terme actuellement: «de
manière encore un peu souterraine, mais de plus en
plus visible, les chercheurs renouent massivement avec
l'expérience, le vécu, l'intentionnalité, la prise en compte
des objets dans leur champ d'investigation» (p. 42).
Dans son analyse de la situation actuelle, F. Dosse
évite d'employer un mot clé de tout effort qui tente de
comprendre l'expérience dans la plénitude du vécu : ima
gination. La plupart de nos contemporains l'évitent
aussi, parce que le terme imagination semble ouvrir la
boîte de Pandore du romantisme, où se cacheraient
tous les vices d'un subjectivisme illimité. Mais ma thèse
aujourd'hui est que le «tournant en cours» aura, parmi
ses effets, une nouvelle sensibilité aux écrivains romant
iques, surtout ceux qui, comme Vigny, ont mis l'expé
rience historique au cœur de leur pensée.
Comme François Dosse l'a suggéré, l'histoire est au
centre de la réorientation actuellement en cours. Si le
XIXe siècle a vu un si grand nombre de tentatives pour
saisir l'histoire du passé d'une manière scientifique, tout
effort s'est heurté à un inconvénient énorme : l'évidence
que, par sa définition même, le fait historique n'est
plus, et ne peut donc pas être observé directement. De à cause de sa complexité, il ne se répétera jamais.
Le désir d'échapper à cet embarras métaphysique en se
passant de l'histoire explique en partie le caractère anti
historique de plusieurs mouvements philosophiques de
notre siècle.
(2) F. Dosse, «L'Enjeu de l'histoire intellectuelle», art. cit., p. 41. VIGNY 325
Nous ne pouvons pas toutefois renoncer à l'histoire.
Ce fait, auquel «le tournant en cours» revient, était
d'une grande évidence au XIXe siècle, où le progrès his
torique était devenu une sorte de religion, et où des
systèmes, pour en déchiffrer le sens, n'avaient cessé de
foisonner. De tels systèmes s'inspiraient en partie du
désir naturel d'étendre au-delà des sciences et de la
technique les conquêtes de la compréhension, vers le
monde des êtres humains et de leur expérience, év
idemment alors en pleine évolution. Cette tendance se
constate déjà au XVIIIe siècle. Au XIXe siècle, à ce désir
s'ajoute le besoin de trouver une nouvelle assiette pour
l'organisation sociale, besoin né du bouleversement jus
qu'aux soubassements de la société européenne par la
Révolution française. On ressent en même temps,
comme Paul Bénichou l'a démontré dans Le Sacre de
l'écrivain, le besoin d'un nouveau foyer du pouvoir spi
rituel sans lequel aucune société ne peut se sentir rassur
ée. Selon Bénichou, c'est en grande partie grâce à ce
besoin d'un pouvoir spirituel que les écrivains indépen
dants accèdent à un nouveau statut de guide ou de
prophète pour les sociétés qui leur ont donné naissance.
Ce statut a largement contribué à notre idée moderne
de l'intellectuel; et les interprétations de l'histoire par
différents penseurs (comme Chateaubriand, Lamartine,
Quinet, Michelet et Thiers) devaient une grande partie
de leur importance au nouveau prestige dont jouissaient
les écrivains indépendants. Alfred de Vigny figure parmi
eux. La nouvelle édition de ses œuvres en prose, publiée
l'année dernière dans la collection de la Pléiade, le dé
montre: sa pensée n'a jamais cessé d'être marquée par
«l'étude du destin général des sociétés», pour employer
l'expression dont Vigny se sert au début de ses «Ré- 326 MARK K. JENSEN
flexions sur la vérité dans l'art» (3). C'est de ces ré
flexions, qui datent de 1829, et de leur intérêt dans la
conjoncture actuelle, que je voudrais parler maintenant.
La philosophie idéaliste de Vigny se fonde sur la
distinction traditionnelle qui oppose le domaine des
sens à celui de l'esprit et de l'intellect. Les sens sont par
leur nature inférieurs à l'esprit, parce que les connais
sances qu'ils rendent possibles sont fragmentaires et
sujettes à l'erreur. Qui veut connaître «le destin général
des sociétés » ou le cœur humain aura besoin de plus ;
et pour Vigny, ce plus est donné par l'imagination,
«puissance toute créatrice» (p. 11). Mais ce n'est pas
dans la doctrine positive de Vigny que se trouve son
intérêt pour nous, c'est dans sa critique des prétentions
de l'histoire. Selon Vigny, le roman historique n'est pas
vraiment différent du roman ordinaire, et la fiction n'est
pas si différente de ce qui se passe quand on établit les
faits de l'histoire. L'histoire, au nom des besoins cognitifs
et moraux de l'humanité, montre une tendance infaillible
à se déplacer d'un domaine inférieur dépendant des
sens, vers une sphère supérieure régie par l'imagination.
C'est pour justifier la valeur de son roman, Cinq-Mars,
qu'il a écrit la préface, mais c'est son attaque philoso
phique contre l'histoire qui possède le plus d'intérêt
pour nous.
Dans «Réflexions sur la vérité dans l'art», Vigny
suggère que l'histoire est née à la fois d'un amour du
(3) Alfred de Vigny, «Réflexions sur la vérité dans l'art», dans Œuvres
complètes, tome II, éd. Alphonse Bouvet, Pans, Gallimard, Pléiade, 1993,
p. 5. VIGNY 327
vrai et d'un amour du fabuleux — «deux besoins qui
semblent opposés, mais qui se confondent, à mon sens,
dans une source commune» (p. 6). Ces deux besoins
donnent naissance à deux vérités différentes: «la VÉ
RITÉ de l'Art et le VRAI du Fait » (4). Mais l&#

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