LA TREIZIEME CONCUBINE LA TREIZIÈME CONCUBINE Jo Ann Von Haff Tome I – Cycle de la Guérisseuse Collection EN VACANCES - Plume en Herbe Éditions Plume en Herbe, 2013 4bis rue du Palais 78490 Montfort L’ Amaury ISBN 978-2-917543 - 1-53 I Douzième-lune de la première année du millénaire-des- étoiles Laval, comté des Hautes-Dangham, royaume de Laar Vivre dans la cordillère des Dangham, la région la plus froide et élevée d’Ordal, n’avait jamais été facile. On y subissait de longues saisons- blanches et la guerre qui sévissait depuis maintenant vingt-neuf ans entre les royaumes de Laar et de Galdan ne faisait qu’empirer la situation déjà précaire de la population montagnarde. Les tirs ne cessaient jamais, les coups de canon pleuvaient régulièrement et les champs étaient en friche depuis la dernière invasion de l’armée galdanie, plusieurs lunes auparavant. Malgré la rudesse du climat, la guerre continuait inlassablement. Les populations étaient épuisées par ce conflit sans fin et les autres comtés du royaume hésitaient à renvoyer des renforts. Le décalage entre le nord et le sud de Laar avait toujours été flagrant. Cet écart se ressentait d’autant plus qu’à chaque fois qu’il y avait un combat contre les Galdanim, il se déroulait dans les Dangham.
V i élevéedOrdal,navaitjamaisétéfacile.Onysubissaitdelonguessaisons-blanches et la guerre qui sévissait depuis maintenant vingt-neuf ans entrelesroyaumesdeLaaretdeGaldannefaisaitquempirerlasituationdéjà précaire de la population montagnarde. Les tirs ne cessaient jamais, les coups de canon pleuvaient régulièrement et les champs étaient enfrichedepuisladernièreinvasiondelarméegaldanie,plusieurslunes auparavant. Malgré la rudesse du climat, la guerre continuait inlassablement. Les populations étaient épuisées par ce conflit sans fin et les autres comtés du royaume hésitaient à renvoyer des renforts. Le décalage entre le nord et le sud de Laar avait toujours été flagrant. Cet écartseressentaitdautantplusquàchaquefoisquilyavaituncombatcontre les Galdanim, il se déroulait dans les Dangham. Dans sa vieille maison en pierre de Laval, dans la vallée des Croisées, Fiha Lodan ajouta une couche de vêtements grisâtres et glissa ses pieds dans des bottes fourrées de laine. La jeune fille avait besoin de bois pour raviver son feu et trouver de quoi manger avant que le soleil ne se couchât.
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Ellesinquiétaitàlidéedesortiralorsquelabataillesemblaitsiproche.Elle pouvait mourir d’une flèche empoisonnée ou, pire encore, croiser la routedunguerriersaoul.Mêmelescompatriotesnéchappaientpasauxdémons de la guerre et pouvaient commettre des atrocités. Loin de leurs familles,lesguerrierslaarimpassaientleurspermissionsàsenivreraukiravan. Parfois la cure était pire que le fléau… Sesparentsetneuffrèresetsursaînésavaientététuésdansuneattaque,sixansauparavant.Recueillieparsavoisinedenfacependantles cinq premières années, Fiha décida de revivre dans la maison de son enfance à sa majorité. À dix-sept ans, elle devait se charger elle-même de sa survie. Tesseule,tasvoulufairelagrande,alorsmaintnant,tdbrouilles!sécria-t-elleencachantsescheveuxbrun-rouxsoussacape. Elle ouvrit la porte pour la refermer aussitôt. Elle voulut prier, implorer laidedequelqueforcesurhumainepourlasortirdelà,maisellenecroyaitpas en Asîa. Comment le pourrait-elle alors que sa famille entière avait été décimée ? Que cette guerre n’en finissait pas ? Ses parents avaient été extrêmement religieux, allaient tous les quarts-de-lune au temple. Guérisseur, son père avait voué sa vie à soigner les autres. Tant de piété ne les avait pas sauvés. Inspirant profondément, Fiha rouvrit la porte, longea les murs et senfonçadanspresquedeuxpiedsdeneige.TadoAnddanlavitquittersamaison,suivitsespaspéniblesjusquaumarchéàlabandon,plushautdanslaruelle.Depuisquelabataillesétaitintensifiée, les villageois avaient cessé d’y aller. C’était trop à découvert, lattaquepouvaitvenirduciel.LesGaldanimétaientlesmaîtresdesflèches empoisonnées. Si on ne mourrait pas de la plaie, on mourrait du
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venindessakranim,desserpentsnoirsquinexistaientquechezeux.La fille était petite et maigre malgré les épaisses couches de vêtements. Elle entreprit de casser le bois de quelques vieux comptoirs. Tado avança aussi doucement que la neige le lui permît. La fille sursauta, leva ses yeux noisette méfiants vers lui. Elle ne dépassait pas les cinq pieds, il avait au moinsdeuxtêtesdeplusquelle. Il ne fait pas bon de se promener, lança-t-il. Fiha fronça ses sourcils épais et le dévisagea. Il portait une combinaison dunecouleurbrunâtrerepoussante,sesarmesautraversdesondos. Y a un problème ? Elle était si maigre que les os du visage pointaient sous la peau pâle. Tadopassasabesacepar-dessuslépaule.Fihareculalégèrementsanslequitter des yeux. Sa main agrippa un bout de bois, mais elle ne fit aucun mouvement brusque. Il ouvrit son sac et en sortit une miche de pain noir. Fiha saliva, son estomac gargouilla bruyamment. En voulez-vous ? demanda Tado. Fiha ne voulait pas montrer son intérêt, mais son corps réagissait pour elle.Ellenavaitpasmangédepuislaveille,lavuedecepainétaitunetorture. — J’ai déjà suffisamment de morts sur ma conscience. Tenez. Il agita le pain devant elle. Fiha le fixa, menton levé. Qu’il fût frais ou rassis,ellesenrégalerait.Laidealimentairequiprovenaitdurestedupaysarrivait au compte-gouttes au temple, parfois déjà périmée. Célibataire et sansfamille,ellenétaitpasprioritaireetnerécupéraitsouventquelerebut qui ne durait jamais entre deux ravitaillements. Voulezquoi?senquit-elle. Jevouslaidit:jeneveuxpasdemortssupplémentairessurma
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conscience. Suispasnéedladernièretempêtedneige. Jenaipasdormidansunvrailitauchauddepuisplusieurslunes,maisjevousdislavérité.Jesuisasîan.Vousavezfaim,jaidequoimanger.Vous en faites ce que vous voulez. Elleignoraitcequilprétendaitfaireexactement,maiselle voulait ce pain.Illuifallaitsurvivre,ellenavaitpaslechoix.Lesoleilsecouchaitlentement, on entendait moins de coups de canon. Ils échangèrent un regard.Fihalâchaleboutdeboisquelletenaitpuisramassaletasquelleavait empilé. — D’vrais lits, en ai, dit-elle enfin. Pour l’feu, va falloir ramasser plus dbois. Avantquelleneregrettâtsonchoix,Fihamarchaendirectiondelamaison. Elle se mordit les lèvres pour ne pas trembler. Elle allait ouvrir sa porte à un guerrier pour une miche de pain. Malgré son parler précieux dusud,ilpouvaitnêtrequunrustre.Elleétaitmenue,navaitpasréellementdeforcepoursebattresionlattaquait.Elleétaitguérisseuse,pas guerrière.
K va , a Waa , a a Laa Lisȫ Akianad, roi de Laar, déboutonna sa veste ainsi que sa chemise pâleornéeduntarandeauxboistentaculairesbrodésurleplastron.Ilsassitàsatabledetravailetpritsespilulesdelaprès-dîner.Lechâteaudu Haut-Kovar était construit sur un promontoire qui dominait toute la ville avec une vue magnifique sur la baie. Il admira le coucher du soleil, songeur. Depuis la mort de son père, le roi Adȫ, deux ans auparavant, Lis ȫ essayait tant bien que mal de trouver une solution pour cette situation 8
* la Déesse Créatrice des Sept Mondes. Ennuyée par la création pacifique de sa mère, elle b , u Ja a o p op o Ma pu , ua o o auva au u pa a 9
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quiséternisait.Lesvoiesdiplomatiquesnavaientpasétéuneréussitejusquàprésent,maisàquoisattendrelorsquondevaitnégocieravecdesGaldanim ? Mir ȫ de Galdan était un barbare, fils aîné de Patra * : il tuait par plaisir, mangeait de la chair animale ce qui était contraire aux croyances asîanestraditionnelles,semoquaitdeladignitéhumaine,pourtantpremier article de la Charte des Alliés. Il ne fallait pas espérer plus de cette espèce,maisilnesavaitpasquoifairedautre.Ilnavaitjamaiscomprisles raisons qui avaient poussé son père et celui de Mirȫ à la guerre. C’était comme si le spectre de ce roi sanguinaire les hantait encore, son fils étant son héritier plus que légitime. Dix années plus tôt, Lisȫ avait participé en tant que prince héritier à ce conflit qui avait débuté avant même sa naissance. Son père avait cru quà la mort de son ennemi, Mir ȫ, tout juste vingt-trois ans, serait affaibli ou désorienté et avait envisagé une offensive spectaculaire. Lisȫ fut blessé et empoisonné sur le champ de bataille. Depuis ce jour, il ne pouvait plus montersuruncheval,soncursaffaiblissaitàchaquenouvelleluneetilvieillissait de manière précoce. À trente-deux ans, son teint était cireux et sescheveuxrouxgrisonnaient.Aucunallopathenavaittrouvélepoisonquiletuaitàpetitfeu.Aujourdhui,devenuroi,ilnepouvaitplusluttersurlechampdebatailleavecseshommes,maisilétaittempsquilmontrâtàsonpeupleetauxAlliésquilnétaitpassonpère.Iltrouveraitunmoyende répandre la paix dans le Grand Dan et réduire le gigantesque écart économiqueentreLaaretlEmpiredArvia,lapremièrepuissance.Enattendant, seule sa couronne représentant les bois du tarande en or, le