Victor Hugo
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  • dissertation - matière potentielle : sur la langue argotique
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1 Victor HUGO (1802-1885) INTRODUCTION Victor Hugo s'est considéré comme l'égal des plus grands, de Shakespeare en particulier. Or, il n'est pas certain qu'il arrive – théâtralement du moins – à la hauteur du dramaturge élisabéthain ; en revanche, il ne fait aucun doute que Hugo est un poète majeur. Dans son immense production (22 volumes dans l'édition Massin), la poésie domine, avec 28 recueils, d'où émergent deux chefs-d'œuvre : Les Contemplations et La Légende des Siècles.
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Victor HUGO(1802-1885)
INTRODUCTIONVictor Hugos’est considéré comme l’égal des plus grands, de Shakespeare en particulier. Or, iln’est pascertainqu’il arrive –théâtralement du moins; en revanche, il ne fait à la hauteur du dramaturge élisabéthain aucun doute que Hugo est un poète majeur. Dans son immense production (22 volumes dans l’édition Massin), la poésie domine, avec 28 recueils, d’émergent deux chefs-d’œuvre:Les ContemplationsetLa Légende des Siècles. Les autres genres ne sont pas en reste, avec 13 drames, une dizaine d’essais (dont William Shakespeare, 1864), 9 romans, à quoi il faut ajouter les journaux intimes, la correspondance,les journaux de voyage, et l’œuvre graphique (nombreux dessins). La vie de Hugo est à elle seuleun poème. L’homme a marqué son siècle, littérairement, mais aussi intellectuellement, par ses prises de position courageuses, voire spectaculaires. Hugo écrase tous ses contemporains par sa
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puissance de travail et par ses capacités visionnaires (il a défendul’idée d’Europe avant tout le monde, combattuardemment la misère, et s’est battu e contre la peine de mort, quand tout le monde lui était favorable). Au XIX siècle, pas un contemporain qui ne se réclamede son nom. L’homme connaît une gloire immense de son vivant. Nous verrons dans quelle mesure cette gloire est méritée en dépit de ses errements politiques (il oscille dangereusement de ce point de vue) et de ses divagations poétiques (car l’écrivainn’échappe pas toujours à l’emphase).Contexte Hugo n’est pas compréhensiblesans la toile de fond qui sert de décor à e son action infatigable. Qu’est-ce que le XIX siècle? C’estd’abordle siècle qui s’efforce de construirela démocratie après le tremblement de terre révolutionnaire de 89. Non sans mal ! Trois régimes se disputent la suprématie : une monarchie déclinante (Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe : 1815- 1848), un régime impérial autoritaire, incarné une première er fois par Napoléon I (1899-1815), une seconde fois par Napoléon III (1852-1870) ; et une République balbutiante : première (1789-1799), deuxième (1848-1852) et troisième (1870-1940). e Le XIXc’estle siècle des révolutions. aussi Au sens strict d’abord: révolutions de 1789, 1830, 1848, et 1871 (Commune de Paris) ; économique, industrielle, financière et culturelle ensuite. La montée de la Bourgeoisie transforme la France de fond en comble pour en faire un pays capitaliste, commercial, en un mot « moderne », sous l’action du développement scientifique (vapeur, textile, métallurgie). On efface les traces de la France archaïque, paysanne, et féodale, pour la remplacer par une France urbaine, commerçante, et libérale (libéralisme économique). Paris mute avec le baron 1 Haussmann qui reconfigure totalement la capitale. Au plan littéraire, la révolution est non moins spectaculaire : les règles classiques (régularité, équilibre, bon goût, belle langue, culte de la mythologie, genres inamovibles) qui avaient dominé jusqu’alors, volent en éclat. La poésie lyrique, qui exprime les effusions du moi, fait son apparition. Citons Hugo : «la poésie c’est tout ce qu’il y a d’intime dans tout» (1822). Le Romantisme succède au Classicisme, apportant avec lui un vent de liberté. Le genre du roman, méprisé jusqu’alors, s’impose durablement (avec Balzac, Flaubert et Zola). Le théâtre explore tous les genres : comédie, vaudeville, féerie, drame, tragédie, mélodrame, et devient le divertissement favori des Français. La révolution dans le milieu de l’édition (possibilité de publier des ouvrages à un sou), l’essor de la presse à grands tirages, modifient aussi la donne. Les écrivains ambitionnent à la fois la reconnaissance de quelques-uns(l’élite) etle succès auprès tous (le peuple). Hugo traverse ces mutations et participe à son
1 Préfet de la Seine du 23 juin 1853 au 5 janvier 1870, il a dirigé les transformations de Paris sous le Second Empire en élaborant un vaste plan de rénovation. On lui doit les grands Boulevards.
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accélération en jouant le jeu du libéralisme littéraire et de la démocratie culturelle. I. UNE VIE EN TROIS ACTES La vie de Hugo est longue et accidentée, mais on peut la subdiviser en trois périodes : avant, pendant et aprèsl’exil:Hugo s’est en effet absenté de France pendant unevingtaine d’années. 1. Premier acte : avant l’exil(1802-1852) Hugo est né par hasard à Besançon, comme il le rappelle dans un vers célèbre desFeuilles d'automne,(1831).Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, Et du premier consul, déjà, par maint endroit, Le front de l'empereur brisait le masque étroit. Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole, Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; Son père Joseph Hugo (Lorrain)est un général d’Empire athée, et sa mère Sophie Trébuchet (Bretonne), une bourgeoised’origine nantaise ultra catholique. Le couple divorce rapidement. Sophie élève, seule, ses enfants à Paris. Victor montre des talents précoces ; fait ses premiers vers, en autodidacte. A 14 ans, ne doutant riant, il note sur un journal : « Je veux être Chateaubriand ou rien. ». Il remporte des concours de poésie. Il fonde une revue avec son frère Abel,dont il est l’unique rédacteur:le Conservateur littéraire. Sa mère meurt en 1821, il épouse dans la foulée Adèle Foucher, dont il aura cinq enfants. Il publie ses premiers recueils. Il est remarqué par un grand critique littéraire (Charles Nodier). Son premier coup d’éclat:a lieu en 1830 c’estla «bataille d’Hernani». Victor Hugo écrit en trois semaines une pièce qui reprend, grosso modo, le modèle shakespearien, et la fait jouer à la Comédie française. La résistance du public (et de la critique) est farouche, mais Victor Hugo finit par en triompher. Il devientle chef d’école deune génération toute d’écrivains et d’artistes, qui le suivent aveuglément. Autour de lui se forme le « groupe romantique », composé de Vigny, Lamartine, Gautier, Nerval, Musset, Mérimée, Delacroix, que le Maître accueille chaque soir dans son petit salon de la rue Notre-Dame-des-Champs. Hugon’a que 30 ans, mais il est déjà sur tous les fronts : il publie des recueils de poésie (Les Feuilles d'automne,Les Chants du crépuscule,Les Voix intérieures,Les Rayons et les Ombres), fait jouer des pièces de théâtre (Marion de Lorme,Le Roi s’amuse,Lucrèce Borgia,Ruy Blas), et
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compose des romans (Le Dernier jour d’un condamné,Notre-Dame-de-Paris,Claude Gueux).
Trois événements viennent déranger cette tranquille ascension vers la gloire (rappelons qu’il sera élu à l’Académie française en 1841). 1. En février 1833, Victor Hugo a le coup de foudre pour Juliette Drouet, une comédienne avec qui il va entretenirune relation adultère jusqu’à la fin de sa vie. La correspondance des deux amants est monstrueuse : Juliette écrit 18 000 lettres à son « grand petit Homme », Toto, comme elle le surnomme affectueusement. Elle le suivra jusqu’en exil, et sa femme finira par accepter l’existence de cette «Reste que la réputation de Hugo» ! seconde épouse souffre de son infidélité chronique (il est surpris en flagrant délit en 1845 avec une autre maîtresse : Léonie Biard). 2. Le 4 septembre 1843, sa fille adorée, Léopoldine se noie accidentellement dans la Seine avec son mari (qu’elle aépousé la même année), Charles Vacquerie. L’écrivain n'apprendraleur décès que cinq jours plus tard par voie de presse, alors qu’il est en voyage avecJuliette en Espagne... Cette mort constitue un tournant, et va modifierl’inspiration de Hugo. Foudroyé par cette catastrophe, il consacrera à sa fille plusieurs poèmes émouvants dansLes Contemplations(1856), dont le très fameux «Demain dès l’aube... ».
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Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. 3. Après s’être investi activement dans les affaires de l’Etat(il est pair de France, député, puis maire), Hugoentre brusquement dans l’opposition, à la
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suite du Coup d’Etatde Napoléon III (2 décembre 1852).L’écrivain quitte la France, pour séjourner dans les îles anglo-normandes, à Jersey, puis à Guernesey. Son exil va durer dix-huit ans. 2. deuxième acte :l’exil(1852-1870) Alors qu’il était en train de s’embourgeoiser,voici que Hugo retrouve une vigueur imprévue. L’exil est une période d’intense création et de renouvellement de l’:inspiration. A Guernesey, Hugo écrit Les Châtiments(1853), œuvre en vers qui prend pour cible le Second Empire;Les Contemplations;, poésies (1856) La Légende des siècles (1859), ainsi queLes Misérables, roman (1862). Il rend hommage au peuple de Guernesey dans son romanLes Travailleurs de la mer(1866), et écrit un roman philosophique sur la monstruosité,L’Homme qui rit(1869)Hugo reçoit ses admirateurs dans sa demeure de Hauteville House, qu’il décore à son image (on y voit les initiales de son nom partout !). Malgré son absence, le poète continue de « peser » sur la vie littéraire et intellectuelle française. Ils’adonneaussi au spiritisme en faisant « tourner les tables ». Son exil prend fin avec la chute de Napoléon III. Victor Hugo est accueilli triomphalement à Paris.
3. Troisième acte : le retour à Paris (1870-1885) De retour à Paris, il se consacre à l'éducation de ses deux petits-enfants, Georges et Jeanne qui lui inspirent le recueilL'Art d'être grand-père. Il reçoit
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beaucoup. On le vénère comme un Dieu. En juin 1878, Hugo est victime d'un malaise, peut-être une congestioncérébrale. Mais l’homme ne cesse pas pour autant de publier. On racle les fonds de tiroir, et paraissent presque chaque année de nouvelles œuvres:La Pitié suprêmeen 1879,L'Âne,Les Quatre Vents de l'esprit1881, la dernière série de en la Légende des siècles en septembre 1883, contribuant ainsi à maintenir la légende du vieil homme intarissable. Il devient une icône de la République.L’écrivainSes funéraillesmai 1885.  décède le 22 nationales sont suivies par plus d’un million de personnes.Assuré de la postérité, le poète a fait don de tous ses manuscrits à la Bibliothèque nationale…II. UNE ŒUVRE TITANESQUE«L'ensemble de mon œuvre fera un jour un tout indivisible. [...]. Un livre multiple résumant un siècle, voilà ce que je laisserai derrière moi » (Hugo) Même si, comme il le dit lui-même, son œuvre forme un «tout indivisible », on peuts’arrêter sur quelques-uns des sommets de ce vaste massif littéraire. 1.Les contemplations(1856) Les premiers recueils de la maturité auraient suffi à assurer à Hugo une gloire éternelle, or,c’estdans la deuxième moitié de sa vie que Hugo trouve sa véritable « voix ».Les Contemplationsmet fin au silence lyrique qu'il observait depuis lesRayons et les Ombres(1840). L’auteur yexpérimente un nouveau genre, qu’on pourrait appeler «l’autobiographie versifiée», dans laquelle il fait la somme de sa vie, de sa sensibilité et de sa pensée. Le recueil est composé de 158 poèmes divisé en deux livres (I.Autrefois : 1830-1843 et II.Aujourd'hui : 1843-1855), eux-mêmes subdivisés en trois parties, dont les titres résument à eux seuls la trajectoire du poète, et la dynamique du livre : « Aurore », « L'âme en fleur », « Les luttes et les rêves », «Pauca Meae» [= souvenirs sur ma fille], « En marche », « Au bord de l'infini». La date de 1843 correspond à l’année de la mort de Léopoldine. Tout le recueil s’articule autour de cette fracture : avant (Autrefois) et après (Aujourd’hui) le décèsde la jeune femme. Le recueil traite donc successivement de la jeunesse, de l’amour, de la joie mais aussi de la mort, du deuil et même d'une certaine foi mystique, basée sur la croyance en la métempsychose (voir : « Ce que dit la bouche d’ombre»). La préface, très célèbre, annonce clairement le programme : Qu'est-ce que lesContemplations? C'est ce qu'on pourrait appeler, si le mot n'avait quelque prétention,les Mémoires d'une âme. Ce sont, en effet, toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon, soupir à soupir, et
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mêlés dans la même nuée sombre. C'est l'existence humaine sortant de l'énigme du berceau et aboutissant à l'énigme du cercueil ; c'est un esprit qui marche de lueur en lueur en laissant derrière lui la jeunesse, l'amour, l'illusion, le combat, le désespoir, et qui s'arrête éperdu « au bord de l'infini ». Cela commence par un sourire, continue par un sanglot, et finit par un bruit du clairon de l'abîme. Une destinée est écrite là jour à jour. Est-ce donc la vie d'un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n'a l'honneur d'avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! La dernière phrase souligne que le poète, en sa qualité de génie, est l’intercesseur de l’individu, en quelque sorte son porte-parole. Manière de rappeler queles Contemplationssont plus que de simples souvenirs personnels écrits en vers,qu’ils sontle portrait poétique de l’homme universel.Le recueil faisant retour sur le passé, Hugo y aborde logiquement le thème de la poésie, et de la révolution soudaine appelée romantismequ’elle a connue en 1830, grâce à lui. C’est lesujet du long poème intitulé «Réponse à un acte d’accusation» [accusation faite par les partisans de l’ordre littéraired’avoir corrompu la langueet détruit la tradition], dans lequel Hugo faitl’inventairedes avancées poétiques et des progrès littéraires réalisés en un quart de siècle (1825-1850). Et sur les bataillons d’alexandrins carrés,Je fis souffler un vent révolutionnaire. Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. Plus de mot sénateur! plus de mot roturier! Je fis une tempête au fond de l'encrier, Et je mêlai, parmi les ombres débordées, Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées; Et je dis: Pas de mot où l'idée au vol pur Ne puisse se poser, tout humide d'azur! […]J'ai dit à la narine: Eh mais! tu n'es qu'un nez! J'ai dit au long fruit d'or: Mais tu n'es qu'une poire! J'ai dit à Vaugelas: Tu n'es qu'une mâchoire! J'ai dit aux mots: Soyez république! soyez La fourmilière immense, et travaillez! Croyez, Aimez, vivez! -- J'ai mis tout en branle, et, morose, J'ai jeté le vers noble aux chiens noirs de la prose.
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Ce poème mêle adroitement le registre poétique, linguistique et politique. Le poète établit, a posteriori, une corrélation entre le libéralisme (idéologie) et la liberté verbale. Si le poète s’autorise toutes les audaces possibles dans l’écriture, c’est qu’il écrit au nom dece vent nouveau de liberté qui souffle sur le siècle.En un mot, c’estla révolution politique appliquée à la littérature : Le mouvement complète ainsi son action. Grâce à toi, progrès saint, la Révolution Vibre aujourd'hui dans l'air, dans la voix, dans le livre; Dans le mot palpitant le lecteur la sent vivre. 2.Les Misérables(1862) « Ma conviction est que ce livre sera un des principaux sommets, sinon le principal, de mon œuvre», écrit Hugo à son éditeur à la veille de sa parution en 1862. De fait, lesMisérablescontient plusieurs livres. C’est à la fois une histoire policière (celle de Jean Valjean, le bagnard persécuté par la société pour un crime mineur, un vol de pain), un roman d’amour (celui de Cosette et Marius), un roman historique (l’histoire de la chutede Napoléon à Waterloo), une réflexion philosophique (sur l’individu: «écrasé par la fatalité l’atome et l’ouragan») et un document sociologique (sur la misère, sur la capitale, sur les mœurs en général), et encore : un texte autobiographique (Hugo y parle de lui, de manière masquée, en se mettant dans la peau de Marius). Le tout dans une prose totalement libre, inventive, et proliférante ! Cetteœuvre estactionnée par une cause : la défense du Peuple, dont Hugo veut montrer, en dépit des apparences, la grandeur et la noblesse ; elle est aussi animée par une conviction : que les forces du progrèsfiniront par l’emporter sur l’obscurantisme et le conservatisme.Les Misérablesest un roman gigantesque, un roman « somme », composé de cinq parties, dans lesquellesHugo s’efforce de conjuguer action et réflexion. Côté action, plusieurs intrigues sont menées de front. La trajectoire de Jean Valjean (fil principal) croise, à différents moments du livre, celles d’Eponine [mère de Cosette] (Tome I), de Cosette (Tome II), de Marius (Tome III), des Thénardier, de Gavroche et de Javert (Tome IV et V). L’intrigue est donc, au plan dramatique,fort complexe. Cette complexité est redoublée par le fait que l’histoireconstamment interrompue par de est longues digressions sur des sujets qui tiennent Hugoà cœur, et dont le lien avec l’intrigue est parfois ténu. Au tome II,le romanciers’autoriseainsi deux longues parenthèses : la première sur la bataille de Waterloo, la seconde sur la vie monacale, qui lui offrent l’opportunité d’une méditation sur l’Histoire et sur la religion. Au Tome III, et IV, on trouve un développement sur le « gamin de Paris » et une dissertation sur la langue argotique. Enfin, dans le tome V, Hugo insère une description circonstanciée des égouts de Paris, symbole d’une capitale quirefoulesa misère.C’est que le romancier ne vise pas
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seulement (comme Eugène Sue et ses fameuxMystères de Paris, 1842-1843) à divertir ses lecteurs, mais à les instruire.Les Misérablesont une dimension didactique: il s’agit de prouver, par le biais d’une fiction exemplaire, que si les misérables sont méchants (Thénardier, le bandit), que si les infortunés deviennent des infâmes (Valjean, le voleur), que si les pauvres basculent dans l’illégalité (on dirait aujourd’hui la délinquance), la faute en revient au système social qui ne donnepas sa chance, par l’instruction,aux plus défavorisés. Hugo ne cache rien de l’ignominie des pauvres (lesmisérables sont ignobles) mais souligne combien cette misère délictueuseest comptable d’une sociétéfoncièrement inégalitaire. e Pour constituer cette vaste fresque du XIX siècle, Victor Hugo crée une batterie de personnages, dont une bonne dizaine est restée dans la mémoire collective : Valjean, Fantine, Cosette, Marius, Enjolras, Eponine, Javert, les Thénardier, et bien sûr Gavroche, le « gamin » révolutionnaire avec sa gouaille incroyable. Dont voici le portrait : Paris a un enfant et la forêt a un oiseau ; l'oiseau s'appelle le moineau ; l'enfant s'appelle le gamin. Accouplez ces deux idées qui contiennent, l'une toute la fournaise, l'autre toute l'aurore, choquez ces étincelles, Paris, l'enfance ; il en jaillit un petit être. Homuncio, dirait Plaute. Ce petit être est joyeux. Il ne mange pas tous les jours et il va au spectacle, si bon lui semble, tous les soirs. Il n'a pas de chemise sur le corps, pas de souliers aux pieds, pas de toit sur la tête ; il est comme les mouches du ciel qui n'ont rien de tout cela. Il a de sept à treize ans, vit par bandes, bat le pavé, loge en plein air, porte un vieux pantalon de son père qui lui descend plus bas que les talons, un vieux chapeau de quelque autre père qui lui descend plus bas que les oreilles, une seule bretelle en lisière jaune, court, guette, quête, perd le temps, culotte des pipes, jure comme un damné, hante les cabarets, connaît des voleurs, tutoie des filles, parle argot, chante des chansons obscènes, et n'a rien de mauvais dans le cœur. C'est qu'il a dans l'âme une perle, l'innocence, et les perles ne se dissolvent pas dans la boue. Tant que l'homme est enfant, Dieu veut qu'il soit innocent. Si l'on demandait à la grande et énorme ville : Qu'est-ce que c'est que cela ? elle répondrait : C'est mon petit. » (Victor Hugo,Les Misérables, tome III, Livre 1, chap. 1) Toute la verve de Hugos’exprime dansce paragraphe brillant. Mais ce morceau de bravoure (comme il y en a tant dans le livre) est aussi l’occasion pour Hugo de rappeler que le gamin de Paris symbolise les forces vitales d’une société qui nedemande qu’à prendre son essor,même si ce temps du progrès et des lendemains qui chantentn’est pas encore venu(Gavroche meurt sur barricades).
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CONCLUSIONHugo a autant fasciné qu’irrité ses contemporains. La faute à sa démesure. L’homme est doué dune imaginationsurhumaine, et d’une aisance verbalequ’il ne sait pas toujourscontenir«J’appelle les puissances de Hugo des puissances puériles et titaniques », dit de lui Sainte-Beuve, son pire ennemi. Maisqu’on:le regrette ou le déplore (André Gide dit perfidement « Leplus grand poètefrançais ? Victor Hugo,hélas! »), Hugo demeure incontournable. L’hommeaen effet refondu la langue (qu’il a libérée de son carcan classique), redonné un souffle à la poésie, créé des personnages mythiques, soulevé enfin, par le biais de l’art, des questionsqui sont et restent encore aujourd’huiau cœur de nospréoccupations. Citons-le une dernière fois pour en apporter la preuve : « Quand on creuse l'art, au premier coup de pioche on entame les questions littéraires, au second, les questions sociales. »
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