Vie de Lacan  Jacques-Alain Miller
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Au fond Lacan – heureusement, c’est sa chance -, on n’en n’a pas donné une image sublime. On en a donné plutôt une image infâme. Et il s’agit de restituer les choses à leur place : en tant qu’analyste, il ne prétend pas à autre chose que d’avoir été dans la position de causer le désir de ses analysants, le désir de s’analyser
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I. Monument de Lacan By Vronique Mller Laisser un commentaire (mercredi 27 janvier 2010) L?ide d?un angle nouveau pour parler de ce dont j?ai coutume de parler ici, s?est prsente moi alors que je devisais avec deux de mes tudiantes. La conversation roulait sur la diffamation dont la mmoire de Lacan faisait encore l?objet, trente ans aprs sa mort. Le dsir me vint alors d?arracher cette tunique de Nessus. Ce dsir tait sans doute dsir de rendre justice Lacan, alors mme que je crois le concept de la justice sujet caution. Il y entrait aussi quelques regrets de n?avoir pas fait ce qui tait en mon pouvoir pour contrer la calomnie, alors que j?avais connu, frquent, pratiqu Lacan seize ans durant, et qu?il ne tenait qu? moi de porter tmoignage, de m?inscrire en faux. Aussi, je voyais bien qu?en tudiant son enseignement, en prenant le sillage de sa pense, j?avais nglig sa personne. Sans doute, avais-je toujours pris soin, mthode, de rfrer ses noncs son nonciation, de mnager la place du Lacan dixit - c?tait la condition pour m?approprier sa pense, ou plutt d?approprier ma pense la sienne, opration dans laquelle le tien et le mien s?annulent. J?apercevais que j?avais toujours privilgi l?universel de sa pense. Que j?avais labor ce qui pouvait en tre transmis tous, sans perte ou avec le moins de perte possible, ce qu?il appelait, dans un usage qui n?est qu? lui, le mathme. Dgager cette voie du mathme demandait de dfalquer ce qui tient aux particularits de sa personne, ou mieux, la singularit de celle-ci. Cette singularit de Lacan, je la signalais sans doute, mais c?tait pour la soustraire, la laisser tomber, la sacrifier, la sacrifier, si je puis dire, la splendeur du signifiant. Ce faisant, je me sentais rpondre son appel vers un temps futur o l?imaginaire de sa personne ne ferait plus cran son enseignement. Sollers ? il l?a rappel -, lui me tannait pour que j?obtienne de Lacan qu?il se laisse filmer dans ses sminaires. Et je souriais, et je ne m?aventurais pas en faire la proposition Lacan, sachant fort bien que je serais rebut. Il donnait quelque chose au thtre, pour que a passe, mais pour lui c?tait ce qui n?avait pas lieu de se maintenir au-del de l?instant. Il traitait chacun de ses sminaires comme une performance et en ce temps-l les performances, on ne les enregistrait pas. Dj, mobiliser une stnographe ? imaginez un peu ? pour noter un cours, a ne se faisait pas, c?tait une pratique singulire, qui d?ailleurs se poursuivit mme quand on vit apparatre des magntophones qui se multipliaient sur le pupitre de Lacan. La stnographe tait toujours l, comme un rsidu du XIXe sicle. Ce rsidu, je veux dire la personne de Lacan, ce caput mortuum de mon Orientation lacanienne, voil qu?au cours de cette conversation, il me venait de le relever et que j?tais enchant de l?ide de le faire
vivre, le faire palpiter, le faire danser, comme je sais faire vivre et palpiter et danser les concepts de Lacan. Non, a n?tait pas le dsir de le justifier, d?en faire un juste. Lacan n?tait pas un juste, n?tait pas tourment par le devoir de justice. Il s?tait mme inscrit en faux contre la justice. Il avait eu ce toupet-l, pass inaperu. a n?tait pas le dsir de le justifier. Sans doute bien plus le dsir de le rendre vivant, ce Lacan. Et si nanmoins le mot de justice est voqu pour moi, c?est probablement que la tradition, dans le fantasme du jugement dernier, tablit un lien entre justice et rsurrection. Et je me disais que c?est sans doute ce dsir de rsurrection de Lacan cheminant en moi qui m?avait inspir de choisir la fresque de Signorelli, inscrite jamais dans la psychanalyse par Freud, pour en faire en quelque sorte l?emblme des journes d?tudes tenues au mois de novembre dernier. J?crivis cette occasion Debout les morts , et c?tait sans doute un ? entre tous ? que j?entendais mettre debout. Et donc, la faveur de cette conversation, l?ide me vint, mergea, d?intituler ce que je dirais cette anne Vie de Lacan. Vie de Lacan , voil l?angle nouveau dont je parlais en commenant. C?est un angle pour moi indit concernant ce dont je parle, savoir la psychanalyse dans son orientation lacanienne. Je l?ai attrape de bien des faons, je ne l?avais pas encore attrape par le biais Vie de Lacan , par le biais Lacan dans sa singularit . Les chos que Vie de Lacan font lever en moi sont multiples et c?est d?abord un souvenir. Je ne l?aurais pas voqu si je ne me plaais pas cette anne sous l?en -tte Vie de Lacan . Je me souviens de m?tre demand jadis ? Lacan vivant ? pourquoi je ne serais pas pour Lacan ce que James Boswell avait t Samuel Johnson. Pourquoi ? me demandais-je -, pourquoi je n?crivais rien de ce que je voyais et entendais de Lacan tous les jours, et surtout les fins de semaine o j?tais si souvent auprs de lui dans sa maison de campagne Guitrancourt, une heure de Paris. Et en effet, je constatais que jamais je n?crivais un seul de ses propos familiers, alors que j?aimais bien lire les propos familiers des autres. Les propos familiers aussi bien de Martin Luther que d?Anatole France. Jamais je ne notais une date, un vnement. Je ne voulais rien retenir de ce registre, rien conserver. Mais, tout de mme, cette ide m?avait travers la tte, assez pour que j?entrepris la lecture de Life of Johnson dont je ne connaissais jusqu?alors que des extraits ? 1300 pages ! ? o Boswell consignait jour aprs jour, durant 20 ans, ce que le Dr Johnson ? j?imagine que la plupart n?ont pas la moindre ide du Dr Johnson, part quelques Anglais que j?aperois dans la salle et je ne vais pas aujourd?hui vous parler du Dr Johnson, peut-tre une autre fois ? ce que le Dr Johnson vivait, disait, aux fins ? disait Boswell d?en donner a just representation ? une reprsentation juste, au sens de exacte. James Boswell, durant ces 20 ans, avait eu ? dit-il ? the scheme of writing this live constantly in view ? le projet d?crire la vie de Johnson constamment l?esprit. Et Johnson le savait. Il rpondait aux questions de
Boswell, il lui confiait ce qu?avait t son enfance, son adolescence, ses annes de formation, ce qui avait eu lieu avant leur rencontre. Et Boswell notait tout, toute la conversation de Johnson et ses monologues notables ? dit-il ? par une vigueur et une vivacit extraordinaire. videmment, on ne s?aventurait pas questionner Lacan sur sa vie antrieure dont il ne faisait pas confidence et qui semblait l?indiffrer profondment. Je l?ai questionn peut-tre deux ou trois fois et j?ai obtenu une rponse, lapidaire, mmorable, que je n?ai pas eu un besoin de noter pour m?en souvenir. Sa conversation familire n?tait pas marque par une vigueur et une vivacit extraordinaires, il gardait a pour ses sminaires. Sa conversation familire, celle vers laquelle il dirigeait ses proches, qui il laissait, au fond, tenir le crachoir, tait plutt faite de petites anecdotes, et moi me faisait penser ? je l?avais dit l?poque -, plutt au style des Nuits attiques d?Aulu-Gelle. Aulu-Gelle est cit par Lacan dans les crits. Ou encore a ressemblait du Macrobe. Et donc, videmment, il n?y avait pas la mme ressource auprs de Lacan que Boswell trouvait auprs de Johnson. Johnson professait ? c?est la grande figure littraire, l?arbitre des lettres anglaises au XVIIIe sicle -, le Dr Johnson professait que la vie d?un homme ne pourrait tre mieux crite que par lui-mme et Boswell le rappelle, Boswell, videmment soutenu, aspir, par le dsir de se mettre cette place. Life of Johnson, c?est en quelque sorte une autobiographie crite par un autre. Moi, moi, il tait chu d?crire non pas la vie mais l?enseignement de Lacan, de rdiger ses sminaires sa place. Et, certainement, personne ne l?aurait mieux fait que lui-mme. Saisi par une certaine mulation, une fois que j?ai eu rdig le sminaire des Quatre concepts, il s?tait propos de rdiger lui-mme L?thique de la psychanalyse, et c?est pourquoi le premier sminaire que moi je rdigeai aprs sa mort fut celui-l, puisqu?il n?tait plus en mesure de le faire. Et donc je fus, et suis encore, son tenant lieu, cette place. sa place. Et, au fond, il m?y avait appel, ce titre, puisqu?il avait t assez prvoyant pour me dire : nous le signerons ensemble . C?est moi, c?est moi qui reculais devant le Jacques Lacan et Jacques-Alain Miller . C ?est moi par ce trait que Lacan me dcocha par crit, moi par ce trait de modestie qui n?en fit rien et cru plus digne, me trouvai plus dispos un simple Texte tabli par Jacques-Alain Miller , sur les Sminaires de Lacan. J?aurais d l?couter ! Si j?avais fait ce qu?il me disait, toute cette rumeur et cette perscution juridique dont j?ai t l?objet, et je serai l?objet, n?aurait pas eu la moindre apparence de fondement. Il m?est venu rcemment de dire que c?tait une erreur de ma part d?avoir cart a, d?avoir cart la signature Jacques Lacan et Jacques-Alain Miller , qui aurait t videmment immodeste mais exacte. Il m?aurait offert une protection contre les prtentions de la calomnie. Avoir, avec sa propre vie, un rapport autobiographique, n?est pas permis en psychanalyse, n?est pas permis par le discours psychanalytique. Dans la psychanalyse, en effet, on raconte sa vie, on la raconte dans des sances de psychanalyse, on la raconte pour un autre qui l?interprte et c?est de
nature modifier tout ce qui s?est pratiqu dans le genre littraire de l?autobiographie. Considrons la chose qu?en un sens on pourrait dire qu?il n?y a qu?une personne analyse qui puisse valablement raconter sa vie, si on suppose que l?analyse lui a permis de lever les refoulements, laissant des blocs ou des incohrences dans la narration. Le problme, c?est qu?une fois complte de cette manire, votre vie n?est plus racontable. Elle n?est plus racontable pour une question de dcence. L se dresse le dmon de la pudeur, il faut mentir ou tre obscne. Et puis l?analyse fait clater la biographie, elle polymrise la vrit, elle vous laisse avec des fragments, des clats. Et enfin, il y a cet obstacle que prsente ce que Freud appelait le refoulement originaire, ce qui veut dire qu?on peut toujours continuer d?interprter, qu?il n?y a pas de dernier mot de l?interprtation. Peut-tre Lacan aurait-il d raconter sa vie. On le lui a propos et on le lui a propos sous la forme qui est prcisment la suivante : c?est son diteur aux ditions du Seuil, le cher Franois Wahl pour ne pas le nommer, qui lui fit un jour la proposition d?tre interview pour un livre sur sa vie par un des plus distingus interviewer de l?poque, puisque c?est une pratique, s?appelant Pierre Dumayet. J?ai appris le fait de la bouche de Lacan, accompagn de son petit sourire malicieux qui voulait dire que, bien entendu, il n?en ferait rien, que c?tait l une ide saugrenue. C?est ces petits sourires qui avaient de la vigueur et de la vivacit, pas sa conversation. Et, en l?occurrence, en effet, j?adhrai par un autre petit sourire malicieux la notion que dcidment ce Franois Wahl n?y tait pas. Aprs tout, il ne manquait pas de prvoyance que si Lacan ne le faisait pas, ce serait d?autres qui le feraient et pas forcment son avantage, ce dont Lacan se contrefichait. Mais est-ce une raison pour m?en fiche, moi, trente ans aprs, je pense que non, que j?ai quelque chose en dire. Ce qui m?cartait aussi, ce qui rendait vrai dire impensable pour moi la position de James Boswell, c?tait ce que Lacan lui-mme dit du biographe dans les crits propos de la biographie de Freud par Ernst Jones o il souligne la servilit qui appartient au biographe comme tel. Le mot ne m?avait pas chapp. Et si j?assumais d?tre un familier de Lacan et mme d?tre entr dans sa famille, je n?entendais d?aucune faon prendre une position servile. J?tais mme d?une sensibilit, je me protgeais d?un auli tendere exquis. Lacan, vouvoy par sa fille, la tutoyait. Et il lui prit un jour ? lapsus, sans doute ? de s?adresser moi par un tu. Je lui dcochai alors un regard dont je peux me sentir encore habit, du genre enfin, pour qui vous prenez-vous , que Lacan, docile, aussitt, revint au vous. Je crois qu?il n?a pas dpass le tu, avant que je ne l?arrte. Et donc l?ide que la position du biographe tait comme telle servile, nonce une fois dans les crits, c?tait assez pour me la rendre intouchable, impraticable. C?est une position d?esclave parce que, ncessairement, elle fait de son sujet un signifiant-matre. On ne fait de la biographie proprement parler que de matres, que de sujets reprsents par le signifiant-matre. Et c?est sans doute comme a qu?il faut entendre le just representation que je citais tout l?heure de Boswell. Une biographie ne peut que retracer la capture du sujet par sa persona, au sens tymologique, son masque. Et donc je crois a valable, je crois toujours a valable, et je ne sens rien en moi qui remue de tentation d?tre biographe de Lacan, et par Vie de Lacan , j?entends autre chose. Une autobiographie, ce qui y ressemble le plus, c?est l?opration de la passe, celle par laquelle, ayant
dtermin la fin de son analyse, le sujet se considre en mesure de rendre compte. De quoi ? De rendre compte non pas tant de sa vie que de l?analyse qu?il a faite. A l?criture de la vie se substitue la narration orale de son analyse. La passe, quand cette opration a lieu, l o elle se pratique, ce qui n?est pas partout dans la psychanalyse mais l o subsiste quelque chose de ce que Lacan a formul, l?opration de la passe est toujours insparable, que ce soit peru ou inaperu du sujet, d?une prcipitation, d?une hte qui n?est pas inessentielle dans l?opration, prcisment parce que la passe joue par rapport au refoulement originaire, c?est--dire la possibilit d?encore d?autres interprtations qui sont toujours possibles. On ne peut donc se dclarer passant, au regard du refoulement originaire, que par un effet de certitude anticipe ? pour reprendre l?expression que Lacan utilise dans son Temps logique ? la certitude anticipe que les interprtations venir seront, si je puis dire, inessentielles, qu? partir du point atteint, plus a changera, plus a sera la mme chose. Cette certitude anticipe demande tre vrifie en obtenant que les auditeurs de ce rcit, si je puis dire, sortent en mme temps. C?est toujours une opration de forage qui impose une finitude une dynamique de l?interprtation qui en elle-mme est grosse d?infini. Comment les analystes se sont-ils tenus par rapport la question de l?autobiographie ? Ne prenons que Freud. Nous n?avons pas d?autobiographie de Freud, et si nous en savons long sur lui partir de lui-mme c?est avant tout par l?interprtation qu?il livre de ses formations de l?inconscient. Et quand il crit quelque chose qui pourrait ressembler une autobiographie, a s?appelle l?Histoire du mouvement psychanalytique, en 1914, et c?est une ?uvre de combat par laquelle il affirme que la psychanalyse est sa cration lui et personne d?autre, et qu?il est donc en mesure de tmoigner que Jung comme Adler dvient de sa trajectoire. Donc un texte qui est fait pour, si je puis dire, affirmer ses titres de proprit sur la psychanalyse. Ce qu?on trouve chez Lacan qui y ressemble, qu?on peut mettre en parallle, c?est ces quelques pages des crits qu?il a intitul glorieusement De nos antcdents . Ce qu?il dsigne par l, ce n?est pas sa vie, c?est ses travaux datant d?avant le texte qu?il publie de son Rapport de Rome en 1953, Fonction et champ de la parole et du langage . Il rejette dans ses antcdents ce qui prcde la naissance l?enseignement, se donne lui-mme pour une sorte de born again, situe le moment o il tait devenu lui-mme, son coming of edge doctrinal, thorique, intellectuel. Ce qu?il a de vie qu?il veut livrer, il l?ordonne, pour dire rapidement, au symbolique et au symbolique de l?enseignement. Il y a un aprs-coup, il y a un ressaut de cette coupure de 1953, c?est en 1957, quand la fin de son crit sur L?instance de la lettre ou la raison depuis Freud , il inscrit une suite de lettres : TTYEMUPT. Un certain nombre maintenant doit savoir ce que c?est, ce que a veut dire, mais ils ne le savent que parce que a, je l?ai demand Lacan. Je l?ai demand parce que tout de mme c?tait crit et que je lui demandais raison de ce qu?il avait crit. Je me souviens encore de son regard de commisration : vous n?avez pas compris ? et il m?a dit dans un souffle ? TU T?Y ES MIS UN PEU TARD. Voil ce qu?il
s?adressait lui-mme en 1957, sous une forme qui n?est pas sans rappeler les signaux que Stendhal se laissait lui-mme dans les marginalia de ses livres imprims et par exemple dans Le Rouge et le Noir ? si mon souvenir est bon, moins que ce ne soit La Chartreuse de Parme ? le mmorial de sa rencontre avec celle qui serait la future impratrice Eugnie et sa s?ur, qui donne lieu une inspection d?allure cabalistique. En tout cas, il a laiss l une marque qui signale que c?est avec la formalisation de la mtaphore et de la mtonymie qu?il pensait s?tre vraiment rejoint et tre vraiment pied d??uvre. Et donc il y a a, je l?ai voqu dj, mais je l?voquais en passant, je l?voquais moi-mme dans les marges. Ce que je voudrais cette anne, c?est faire bloc de ces traces, d?en faire monument. Monument de Lacan. L?histoire monumentale est prcisment celle qui regarde l?avenir, et pour que l?enseignement de Lacan subsiste, et pour qu?il continue d?avoir ses effets, puisque je suis bien forc de constater que j?y ai consacr l?essentiel de ma vie, moi, il faut que sa personne ne soit pas pitine. Et sans doute la consistance de son enseignement assure une flottaison, mais il importe pour l?avenir qu?il y ait une autre figure de Lacan que celle qui a fait flors. Vie de Lacan . Si cette formule m?est venue, c?est qu?elle raisonne en moi de ce genre littraire qui a pris naissance dans l?Antiquit, qui s?est poursuivi la Renaissance, de la vie des hommes illustres. J?ai eu l?occasion de dire avant cette conversation des Journes de novembre, ce qu?avait t pour moi la rencontre en classe de sixime du De viris illustribus de l?abb Lhomond. a a t ensuite Les vies parallles des hommes illustres de Plutarque. J?en parlerai cette anne parce que je veux, cette occasion aussi rflchir sur ce qu?on appelle une vie. L?rudition nous enseigne que l?criture de la vie, c?est une autre discipline que l?histoire, qu?il y a comme l?origine une bifurcation essentielle entre le registre de l?histoire qui est conditionn par une postulation vers l?exactitude, rapporter ce qu?il y a eu, et l?criture des vies qui est du registre, qui a t dans l?Antiquit, du registre de l?thique. Et c?est ainsi que j?entends Vie de Lacan, c?est ce qui peut tre point dans sa vie du registre de l?thique. Je ne dis pas que ce soit forcment moral. Et il y a dans la difficult travers laquelle je m?avance, ceci que par beaucoup de traits et mme par un trait essentiel, Lacan tait un immoraliste ce qui, videmment, rend la tche trop aise qui s?avance vers lui en reprsentant des prjugs de ceux qui pensent bien. Lacan pensait mal et il ne s?en cachait pas. Il ne s?en cachait pas, mais il ne le disait pas trop fort non plus. Si je veux vous donner la tonalit de ce que j?aime dans ce pont-aux-nes des Vies de Plutarque, je le trouve au dpart de sa Vie d?Alexandre o il diffrencie trs bien le registre de l?histoire et le registre de la vie : Nous n?crivons pas des histoires, dit-il, mais des vies, et ce n?est pas toujours par les actions les plus illustres qu?on peut mettre en lumire une vertu ou un vice. Souvent un petit fait, un mot, une bagatelle, rvlent mieux un caractre . Plutarque prdcesseur de
Freud. Comme les peintres ? j?abrge ? qu?on nous permette nous aussi de la mme manire de nous attacher surtout au signe qui rvle l?me . La vie des hommes illustres de Plutarque est consacre ce qu?on appelle des grands hommes. Et c?tait chez moi videmment un choix trs prcoce d?tre attir, fix, par l?ide des grands hommes, des grands hommes et des qui tiennent tte. Et il m?en est rest quelque chose videmment, en dpit de l?analyse, si je puis dire. Oui, c?est un choix sans doute originel que de trouver formidable Mucius Scvola qui passe sa main sur la flamme ? il allait se brler tranquillement ? ou Leonidas aux Thermophiles. Il y a donc quelque chose qui s?appelle les grands hommes dans notre tradition et la Vie, l?criture d?une vie est faite pour leur lever un monument. On en fait, l?occasion, un devoir de pit de la part des collaborateurs ou des lves, un monument qui vise immortaliser aux yeux de la postrit. videmment, c?est crit au regard de la postrit comme sujet suppos savoir et sujet suppos jouir des qualits du grand homme. Postrit dont le statut est videmment discutable ? il a t discut par exemple dans la correspondance, c?est un classique, de Diderot et Falconnet, le sculpteur Falconnet ? et on peut dire tout de suite que la postrit, il me semble, n?avait pas consistance de sujet suppos savoir pour Lacan. Alors que pour le grand homme, sa renomme de son vivant et aprs sa mort est une motivation essentielle. J?ai beaucoup choqu quelqu?un de proche de Lacan en disant que mme s?il m?avait tablit dans la position de rdiger ses sminaires, il y avait tout de mme chez lui quelque chose de l?ordre de aprs moi le dluge . Alors que la Renaissance est enchante de Plutarque. La traduction de Plutarque de Jacques Amyot, celle qui est dans La Pliade, passe pour une des premires ?uvres en franais qu?on puisse lire sans dictionnaire. Et je me souviens m?tre persuad que j?allais lire d?un bout l?autre les deux tomes de La Vie des hommes illustres de Plutarque. L?ennui m?a quand mme arrt en chemin, mais il y avait l?lan. L?criture des Vies de grands hommes s?est multiplie la Renaissance. Et au XVIe sicle, c?est devenu industriel si je puis dire ? c?est vraiment un pilier des humanits, un pilier de la culture humaniste. Il faut dire que c?tait aussi ce dont on disposait l?poque comme retentissement mdiatique. Aujourd?hui, il suffit aux puissants de faire des missions de tlvision. A l?poque vous vous faisiez crire une petite vie de vous par le scribe disponible, en gnral orne d?une gravure o votre semblance figurait d?une faon avantageuse. Montherlant ? qu?on ne lit plus ? a dcrit a d?une faon fort amusante dans sa pice Malatesta o finalement Sigismond de Malatesta cultive son biographe tout en l?humiliant jusqu? ce que l?autre se venge une fois qu?il est bien assur que Sigismond n?en a plus que pour quelques instants, le biographe se rjouit de, page par page, mettre sa grande biographie de Malatesta sous les yeux de celui-ci dans le feu. C?est grandiose. Et c?est une criture des vies qui est, au fond, sous l?gide de cette figure magnifique qu?Aristote a leve dans L?thique Nicomaque, la figure du magnanime, la figure de celui qui a une grande me, megalo spuquia. On est assez loin de ce que l?criture de la vie est devenue, disons, au XIXe sicle,
partir du XIXe sicle, c?est--dire o elle a t incorpore au genre historique et aspire d?une faon grotesque par le discours de la science. On a jou partir de l la biographie chronologique exacte et pseudo-scientifique dont l?exemple le plus croquignolesque, ma connaissance, serait quelque chose comme La Vie de La Fontaine par Taine. a s?est retourn aussi. La religion a t mise l?preuve du nouveau genre de la biographie, scientifique, rudite, en particulier dans ce livre qui, lui, garde mon sens une aura, La Vie de Jsus par Renan, quoi Lacan se rfre dans les crits, jusqu? donner naissance cet hybride invraisemblable qui s?appelle la psychobiographie o le scribe se vante de pntrer dans l?intriorit du sujet pour dtailler ses motivations. Alors, s?il y a quelque chose qui puisse s?appeler Vie de Lacan , qu?est-ce que ce serait ? Surtout ? ce que j?ai voqu en passant, j?y reviendrai au cours de cette anne d?une faon plus mesure et plus dtaille -, Vie de Lacan ne peut pas ngliger que Lacan tait analyste, et en mme temps et par-l mme ne peut pas ngliger qu?il n?y a pas l?analyste, qu?il n?y a pas d?universel de l?analyste. Et donc peut-on donner Lacan comme exemple aux analystes ? Il faut que je mesure a puisque videmment ce que je vais souligner, sous le titre Vie de Lacan , n?chappera pas a, n?chappera pas produire de l?identification sauf si j?arrive le montrer hors d?atteinte. Il n?y a pas d?exemple de l?analyste, s?il est vrai que les analystes sont disparates, sont, selon l?expression du dernier crit de Lacan, des pars dsassortis. Et donc a, a s?oppose tout ce qui a t le projet classique de la Vie ? savoir servir d?exemple . Il faut que je prsente Lacan comme un cas singulier, qu?il est, un cas qui ne rpond pas une rgle gnrale. Et videmment cette singularit, justement parce qu?elle est incandescente, en devient exemplaire, paradigmatique comme nous disons. Un paradigme, a ne veut pas dire que tous sont pareils. Un paradigme, c?est un cas diffrent de tous les autres et il est paradigmatique justement par sa diffrence. Et l, nous sommes sur une ligne de crte. Il est clair que Lacan voulut tre une exception et s?assumer comme exception. Alors, c?est le contraire de Tous ensemble, tous ensemble, ouais ! (rires). C?est plutt, aprs tout, la formule que [?] va trouver pour le nvros, tous sauf moi, mais positiv. Il a fini par le dire, je le cite de mmoire, dans sa lettre du 5 janvier 1981 par laquelle il indiquait son intention de dissoudre l?cole freudienne de Paris [1], il parlait de sa vie et je ne le livre l qu? la fin de ma premire leon de cette anne, parce que a me sert de boussole, il parlait de sa vie passe vouloir tre Autre malgr la loi ? avec A majuscule.
Vouloir tre Autre malgr la loi . Je rapproche a de ce qu?il m?avait dit dix ans auparavant ? et qui a t l?poque recueilli par mon ami Franois Regnault, mais que j?ai publi bien longtemps ensuite -, quand il parlait de sa rvolte, l?poque o j?tais moi-mme un garon rvolt et qu?il me donnait en exemple sa rvolte et la faon dont il avait pass sa rvolte dans la psychanalyse. Non pas que la psychanalyse lui ait fait passer sa rvolte, mais qu?il l?avait mise en ?uvre dans la psychanalyse. Je dis a, que si Lacan prte le flanc la diffamation et la calomnie, la diffrence de mre Teresa par exemple ? oh! j?ai tort de dire a , j?ai tort de dire a, on a dit pis que pendre de mre Teresa aussi -, c?est par sa rvolte contre le pour tout X , sa rvolte contre l?universel. Il se prsente, comme dit l?autre, comme un homme rvolt. C?est entendre que sa position n?est pas sans affinit avec la position fminine. D?ailleurs, on fait la vie des hommes illustres, c?est a le pilier de la culture classique, ce n?est pas la vie des femmes illustres. Comme dit Lacan la femme, on la diffame et donc les femmes diffames, on n?crit pas leur vie sinon en tant que telle. En revanche, les affinits de Lacan avec la position fminine sont avres et cette union des contraires dont il la dcore, Toutes les femmes sont folles, c?est--dire pas folles du tout, elle vaut assez pour lui. D?un ct, soyons clair, Lacan s?assume comme un transgresseur. Il s?avoue comme transgresseur et mme dlinquant. C?est a que veut dire malgr la loi, celui qui a invent le Nom du pre, celui qui a invent la loi de l??dipe, celui qui au dbut de son enseignement et dont certains de ses lves encore maintenant moulinent indfiniment leurs regrets que ce ne soit pas comme du temps de papa, lui s?assume transgresseur, c?est--dire comme un malgr la loi . Et en mme temps, c?est quelqu?un qui brave la loi. Dans les plus petites choses, il bravait la loi, c?est clair. a ne vous est pas arriv de conduire Lacan, de conduire une voiture avec Lacan vos cts. Eh bien, il faut que vous sachiez qu?une chose qu?il trouvait absolument intolrable, c?est de s?arrter au feu rouge. Je n?allais pas jusque-l, donc j?essayais d?avoir le feu vert. Une fois, je suis tomb sur un feu rouge. Eh bien le Docteur Lacan, 75 ans, 76 ans, ouvre la portire, sort de la voiture et avance pied et de l?autre ct du feu rouge, je le reprends, il remonte dans la voiture (rires). C?est dire que le malgr la loi, ce n?est pas seulement une formule, c?est une sorte d?intolrance, une intolrance au signal stop, pas plus loin. Je ne vois pas pourquoi je me priverais des anecdotes, je m?en suis priv depuis 30 ans. Une anecdote de famille : sa fille le conduit au congrs d?Amsterdam, on doit pouvoir retrouver la date, la fin des annes 50, au dbut des annes 60, elle sait qu?il n?aime pas les feux rouges donc elle s?arrange. Par miracle : 500 km pas de feux rouges, et puis un moment, au bout de 500 km, on tombe sur un passage, le train va passer, la barrire descend et le Docteur Lacan dit : Tout pour m?emmerder ! (rires). C?est une thique a, ce n?est pas une thique abstraite, c?est une thique, c?est un mode de jouir. Et si
je l?tale aujourd?hui devant vous, c?est que vous ne pouvez pas absolument jouer faire pareil. a suppose un rapport l?Autre, une faon de braver l?Autre ? avec un grand A ? qui n?est pas donne tout le monde, qui ne s?imite pas facilement. Et en mme temps, il y avait chez Lacan une vertu de la prudence tout fait exquise. En mme temps, ces anecdotes que j?voque qui en tmoigne ? C?est rserv un cercle assez restreint si vous voulez. Son gendre, sa fille, ses proches pourraient dire la mme chose. Les gens qui allaient au restaurant avec lui, oui c?est vrai. Quand le garon ne regardait pas et qu?il s?impatientait, il ne disait pas comme vous et moi : S?il vous plat ? Il disait OOOOOH ! Et ce moment toute la salle du restaurant, tout le monde sautait sur son sige et le garon arrivait fond de train. a, j?essaye parfois de faire a et c?est toujours trs mal pris par les gens avec qui je suis (rires). Mais Lacan ne s?en apercevait mme pas. Dans l?ensemble, part a, Lacan n?tait pas provocateur et on doit constater dans son existence qu?il n?a pas provoqu la rtorsion de l?Autre, il n?a jamais brav l?Autre politique par exemple. Il y a chez lui ce savoir dont Cocteau a donn une trs jolie formule en disant : Savoir jusqu?o on peut aller trop loin . Et donc, s? il y a la position d?tre Autre malgr la loi , il n?y a pas proprement parler de tmrit, il y a au contraire comme la pratique d?une ruse ncessaire. C?est sensible et a, a ne relve pas seulement de son priv ? et l dans la dimension de la Vie, en effet, je mle le public et le priv -, c?est sensible dans son enseignement. Je pense la formule de Saint-Paul dans l?ptre aux Corinthiens : Je me suis fait tout tous pour les sauver tous . Le tout tous , videmment, c?est une formule qui fait partie de l?enseignement d?Ignace de Loyola, a inspire beaucoup les Jsuites. Et d?ailleurs Voltaire dans son Ingnu baptise le Jsuite qui la belle St Yves vient se confesser et demander conseil, il le baptise le pre Tout--Tous, celui qui se garde bien de la dtourner de cder aux propositions malhonntes qu?on lui fait. Il a quelque chose de l?analyste, il faut bien dire, le pre Tout--Tous, il termine en lui disant : je ne vous conseille rien. C?est trs proche de la neutralit qu?on recommande aux analystes. Eh bien Lacan avait a dans son enseignement et c?est ce qui m?a donn un certain tintouin, c?est que c?tait un camlon. C?est--dire, dans son enseignement ? Il prend les gens l o ils sont, il ne s?adresse pas un auditoire idal. Il s?adresse ceux qui l?coutent en commenant par les prendre o ils sont, pour les sauver, si je puis dire, pour les conduire . Vous en avez l?exemple, enfin presque caricatural, dans les sminaires qui ont suivi mai 68 : plus marxiste que Lacan tu meurs. C?est--dire qu?il parle la jeunesse de l?poque, il prend ses rfrences et il dmontre Freud partir de Marx, puisque c?est Marx qui est en vogue. Et rtrospectivement, il y a un adage classique qui exprime a trs bien, qui est Uti foro ? qui veut dire prendre le march tel qu?il est, faire le mieux avec ce qu?il y a, pour se faire comprendre. Lacan, au fond, a toujours pratiqu cette doctrine de la mme faon que sa rfrence Leo Strauss et son ouvrage La perscution et l?art d?crire dsigne trs exactement aussi sa mthode, c?est--dire une mthode mtonymique.
Il y a ce qu?il faut entendre et qui n?est pas dit, parce que le dire serait provoquer la rtorsion de l?Autre, de l?Autre du pouvoir et donc on parle entre les lignes pour tre entendu de ceux qui doivent entendre. C?est ainsi que, par exemple, vous n?avez jamais chez Lacan de doctrine de la sance courte, dont nous savons qu?il en avait la pratique. Nous avons par lui la raffirmation de ce qui s?est appel dans la tradition analytique le principe d?abstention, comme rgle, comme loi. Est-ce que Lacan l?a invariablement respect ? Non, donc l, il y a tout ce qui n?a pas t dit par Lacan, sinon entre les lignes, et ,avec Vie de Lacan , en intitulant le cours de cette anne Vie de Lacan , eh bien c?est ce qui n?a t dit qu?entre les lignes par Lacan que je voudrais mettre au jour, et pour citer un autre adage classique : De l?ombre conduire au soleil . [1] Et si a n?est pas dans cette lettre, y repenser, a doit se trouver dans les quelques sminaires qu?il a fait aprs, les quelques leons qu?il a donnes aprs dans son sminaire. Il y a eu cette phrase, qui m?est reste, c?est pour a que je ne suis pas all consulter le texte. II. La diffrence absolue de Lacan By Vronique Mller Tagu feu rouge, accident, biographie, histoire, autobiographie, hagiographie, saint, objet, meden agan, trop, homostase, plaisr, jouissance, forage, traumatisme Laisser un commentaire (mercredi 3 fvrier 2010) J?ai donc annonc que ce que je dirais cette anne se placerait sous le titre Vie de Lacan . Qu?est-ce qui reste de mon premier cours ? C?est une image, celle d?un homme qui ne respecte pas les feux rouge. a a cr une motion chez quelques-uns qui collaborent avec la scurit routire et qui se sont inquits de la diffusion de ces propos. La scurit routire, en effet, fait appel, l?occasion, des psys pour rformer les conducteurs qui prcisment ne se conforment pas au code de la route. On considre que c?est en raison d?une certaine malfaon de leurs dispositions mentales qu?ils soumettent les autres aux risques qu?eux-mmes s?aventurent prendre. a m?est une raison supplmentaire de souligner que, contrairement au genre littraire de la Vie des hommes illustres, je n?entends pas faire de Lacan un exemple, ou alors en l?occurrence, ce serait un mauvais exemple. Lacan a eu un certain nombre d?accidents de la route. Au moment, m?a-t-on dit, o il se trouvait sous le coup de l?excommunication ? comme il l?a appele ? de l?Association internationale de psychanalyse, il a eu un tel accident : la portire s?est ouverte sur une route de campagne, il a fait un roul-boul et il s?est relev indemne. De plus prs, j?ai t non pas le tmoin mais l?auditeur presque
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