Autobiographies de transfuges
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Autobiographies de transfuges , livre ebook

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Description

Karl Philipp Moritz, Richard Wright et Assia Djebar sont des écrivains transfuges, passés d'une classe sociale à l'autre, de mondes minoritaires et minorisés à un monde majoritaire entretenant des préjugés diffamants ou haineux contre ceux qu'il exclut. Leur posture est doublement critique tant à l'égard des rapports de domination qui structurent la société où ils ont fini par se faire un nom, qu'à l'égard des traditions qui paralysent le monde opprimé de leur naissance et d'où ils ont voulu s'échapper. Pour énoncer ces tensions, le geste autobiographique, plus que l'abstraction philosophique ou lou la généralisation sociologique, est une ressource irremplaçable.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 février 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782304042153
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Martine Leibovici
Autobiographies de transfuges
Karl Philipp Moritz, Richard Wright, Assia Djebar
Collection « L’Esprit des lettres »
Éditions Le Manuscrit Paris


© Éditions Le Manuscrit, 2013
© Illustration de couverture : Évelyne Petiteau
EAN : 9782304042146 (livre imprimé)
EAN : 9782304042153 (livre numérique)


Du même auteur
Hannah Arendt. Crises de l’Etat-nation, pensées alternative s , (A. Kupiec, M. Leibovici, G. Muhlman, E. Tassin, éds), Paris, Sens e t Tonka, 2007.
Hannah Arendt et la tradition juive. Le judaïsme à l’épreuve de la sécularisation , Labor et Fides, 2003.
Hannah Arendt. La passion de comprendre , Paris, Desclée de Brouwer, 2000.
Hannah Arendt, une Juive. Expérience, politique et histoire , Préface Pierre Vidal-Naquet, Paris, Desclée de Brouwer, 1998.


« L’Esprit des Lettres »
Collection dirigée par Alain Schaffner et Philippe Zard
« L’Esprit des Lettres » présente, dans un esprit d’ouverture et de rigueur, toutes les tendances de la critique contemporaine en littérature française ou comparée. Chaque proposition de publication fait l’objet d’une évaluation scientifique par les directeurs de collection ainsi que par des spécialistes reconnus.


Dans la même collection
Agnès Spiquel et Alain Schaffner (dir.), Albert Camus, l’exigence morale. Hommage à Jacqueline Lévi-Valensi , 2006
Jean-Yves Guérin (dir.), La Nouvelle Revue française de Jean Paulhan , 2006
Isabelle Poulin, Écritures de la douleur : Dostoïevski, Sarraute, Nabokov , 2007
Philippe Marty, Le poème et le phénomène , 2007
Philippe Zard (dir.), Sillage de Kafka , 2007
Jean-Yves Guérin ( dir .), Audiberti. Chroniques, roman, théâtre , 2007
Emmanuelle André, Martine Boyer-Weinmann, Hélène Kuntz (dir.), Tout contre le réel. Miroirs du fait divers , 2008
Yves Landerouin, Aude Locatelli ( dir .), Musique et littérature , 2008
Hedi Kaddour (dir.), Littérature et saveur. Explications de textes et commentaires offerts à Jean Goldzink , 2008
Alain Romestaing (dir.), Jean Giono. Corps et cosmétiques , 2009
Jean Goldzink, La Plume et l’Idée, ou l’intelligence des Lumières , 2009
Vincent Ferré, Daniel Mortier (éd.), Littérature, Histoire et politique au 20 e siècle : hommage à Jean-Pierre Morel , 2010
Jean Goldzink, Aux amis, faux frères et malades imaginaires des Lumières , 2011
Patrick Sultan, La scène littéraire postcoloniale , 2011
Yves Landerouin, Le roman de la quête esthétique , 2011
Alison Boulanger, Chiara Nannicini et Alice Pintiaux (dir.), Ruptures du récit. Essais sur la discontinuité narrative , 2012
Daniela Fabiani et Danilo Vicca (dir.), Julien Green et l’Europe , 2012
Anne Tomiche, L’intradisible dont je suis fait , 2013
Pierre-Jean Dufief et Marie Perrin-Daubard (textes rassemblés et présentés par), Violence politique et Littérature au xix e siècle , 2013


Liste des abréviations
Karl Philipp Moritz
AH, Andreas Hartknopf. Allégorie
AR, Anton Reiser, roman psychologique
Richard Wright
BB, Black boy. Jeunesse noire
FE, Une faim d’égalité
Assia Djebar
AF, L’Amour, la fantasia
CVM, Ces voix qui m’assiègent
FADA, Femmes d’Alger dans leur appartement
NPMP, Nulle part dans la maison de mon père
VP, Vaste est la prison


Comprendre le monde en écrivant sa vie
Depuis les années 1980, le développement des Black studies et autres Women studies a contribué à faire red écouvrir l’immense quantité de textes autobiographiques écrits dans des situations de marginalité, d’oppression sociale, de racisme ou de sexisme 1 . Il est remarquable que ces textes aient souvent été écrits par des transfuges , c’est-à-dire par des individus que la vie a fait passer d’une classe sociale à l’autre, d’une culture à l’autre, d’un monde minoritaire et minorisé à un monde majoritaire partageant des préjugés souvent diffamants ou haineux à l’égard de ces minorités. Annie Ernaux dirait d’eux qu’ils ont « le cul entre deux chaises » 2 sans jamais pouvoir se sentir « comme des poissons dans l’eau » 3 . Ayant franchi les frontières de leur monde d’origine, ils ont rompu avec ses traditions et ses récits tout en pénétrant dans un monde qui ne les attendait pas et n’a pas de récit pouvant encadrer leur itinéraire, si ce n’est celui de l’individu exceptionnel dont l’excellence ne fait qu’accentuer et conforter les stéréotypes figés au travers desquels le groupe dont ils sont issus est perçu. Le seul choix qui leur est laissé est de renier ou de refouler leur provenance en s’assimilant aux normes de la société dans laquelle ils sont parvenus à se faufiler, laissant ainsi en l’état l’oppression où sont maintenus les autres. Or c’est précisément ce que nos transfuges refusent : s’ils ne peuvent – ou ne veulent plus – s’identifier aux rôles que prévoyait pour eux leur société d’origine, ils ne peuvent – ou ne veulent pas – s’identifier à ceux que la société qu’ils cherchent à rejoindre voudrait leur faire endosser. Ce genre de dilemme était caractéristique d’une expérience qu’Hannah Arendt avait désignée comme étant celle du paria moderne, dont la figure était déclinée dans les œuvres de Heine, Kafka ou Bernard Lazare, à partir de leur « opposition » individuelle passionnée « à leur environnement tant juif que non juif » 4 , et qui, dans chacune de ses déclinaisons, renfermait, comme une issue à des difficultés autrement insolubles, « une nouvelle idée de l’homme extrêmement importante pour l’humanité entière » 5 .
Heine était poète, Kafka romancier et Bernard Lazare acteur politique. La figure du paria se profilait à partir de leurs œuvres et Arendt, qui accordait une grande place à la biographie, à l’histoire qu’un spectateur pouvait raconter des actions de quelqu’un, se méfiait de l’autobiographie, pour son caractère indiscret, impudique, pour son effacement des frontières entre le public et l’intime. A tort ou à raison elle attribuait ce caractère de confession en public à l’œuvre de Rousseau. Cependant, toutes les autobiographies – et une lecture attentive des Confessions pourrait aussi aller dans ce sens – ne font pas cela. Certes le geste autobiographique repose sur un effort de mémoire qui va jusqu’à l’enfance, il consiste en une plongée en soi-même qui mobilise les affects actuels et enfouis, tels qu’ils ont été éprouvés au sein d’une configuration familiale singulière, et restitue un itinéraire fait de rencontres et de hasards qui font d’une vie cette vie-là, insubstituable et unique. En tant que geste écrit après coup, il indique nécessairement l’écart qui sépare le scripteur d’aujourd’hui et celui qu’il était alors. Mais lorsque les autobiographes sont des transfuges ou des parias ayant, de plus, fait de l’écriture leur métier jusqu’à devenir parfois des écrivains célèbres et célébrés, l’origine à laquelle ils reviennent est aussi celle du groupe qui les a façonnés. Pour y revenir ils doivent traverser les préjugés parfois haineux qui défigurent ceux qui le peuplent. Aussi l’autobiographe revient à son enfance à partir d’une distance encore maintenue avec la société qui lui a fait accueil, sur laquelle il pose un regard critique dont l’énergie est précisément puisée à la source de ce monde opprimé qui l’a vu naître. Mais si le monde d’origine est souvent envisagé avec nostalgie, il resurgit aussi avec les pesanteurs qui le paralysent de l’intérieur et qui firent obstacle aux aspirations de celui qui a voulu s’en séparer. Lorsqu’on est quelqu’un de décalé, lorsque se sont répétées les situations où l’on s’est senti en porte-à-faux parce qu’on est quelque part en aspirant à un ailleurs ou parce qu’on est quelque part en venant d’ailleurs, on n’écrit pas seulement pour retrouver et rendre publics les méandres de son intériorité, on écrit aussi pour donner sens à ce décalage constamment revécu entre ses propres dispositions et la configuration des relations sociales où l’on a eu à évoluer. L’autobiographie, point de vue nécessairement singulier, est alors un vecte

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