Camus à coeur
212 pages
Français

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Description

«J’entends que ma mère mourra, Et le sait bien la pauvre femme, Et le fils pas ne demourra». Comme François Villon Meursault est dans une succession, à travers une relation au monde intense et détachée. Son crime lui vaut la mort préméditée que prodigue l’État au nom du Bien. La guillotine est l’objet de ses réflexions bien avant que Camus ne publie les siennes. L’écrivain affrontera le meurtre légitimé par l’État comme par la révolution et le terrorisme. Avec Germaine Tillion il s'opposera à la morbidité de la torture et des attentats en Algérie. Puissent ces porteurs de vie nous éclairer contre le fanatisme qui justifie la mort au nom de Dieu, dans tous les recoins du pays que nous aimons.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 mars 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334104241
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-10422-7

© Edilivre, 2016
Citation


À Léa et Robert, à Sauveur, aux enfants.
Eschyle est souvent désespérant ; pourtant, il rayonne et réchauffe. Au centre de son univers, ce n’est pas le maigre non-sens que nous trouvons, mais l’énigme, c’est-à-dire un sens qu’on déchiffre mal parce qu’il éblouit.
L’Énigme
Avant-propos
Frédéric Dard l’a écrit avec humour et un brin de facilité, la vie ne sert qu’à mourir . Comme pour les hommes dignes de ce nom à la fin d’une vie dont il est question à Djémila, mon tour est venu d’aborder le tête-à-tête avec la mort et de recouvrer l’innocence . J’ai tenu à relire L’Étranger , ce bref roman de jeunesse qui figure à lui seul l’écrivain, comme Noces , où toute « l’ horreur de mourir tient dans la jalousie de vivre . » 1 Près de mourir, Meursault n’attend rien, il sait qu’on ne peut lui ôter ce qu’il a déjà reçu, tout ce « plein » qu’il faut laisser sans l’avoir épuisé, richesse qui ne dépend ni de la fortune ni d’une vie future. Il existe, « comme une pierre ou le vent ou la mer, sous le soleil, qui, eux, ne mentent jamais . » 2 Une simplicité le retient d’une agitation vaine, de tracas pathétiques, de dérisoires ambitions. Il semble avoir fait sienne la sentence d’Épicure : L’homme qui ne se contente pas de peu ne sera jamais content de rien . Dans nos sociétés frénétiques, cette frugalité paraît nécessaire comme jamais. Elle ouvre un espace de liberté. Relire L’Étranger , c’est ressentir le décalage avec notre rythme de vie, et mesurer dès les premières pages à quel point notre présent, miroir de toutes les agitations, bardé de portables et de téléviseurs en continu, est loin de l’univers d’un récit lié à la lenteur et la nonchalance, où le narrateur parti pour Marengo à deux heures somnole dans l’autobus aux odeurs d’essence, savoure un café au lait dans le salon funéraire, tire plus tard son dimanche au balcon, assumant le vide et le détachement, comme si de rien n’était. Après le déjeuner, je me suis ennuyé un peu et j’ai erré dans l’appartement . La modestie, la précarité filtrent à travers les chaises de paille un peu creusées, l’armoire dont la glace est jaunie, la table de toilette et le lit de cuivre du logis. Cette pauvreté et ce dépouillement sont un autoportrait assurément. L’auteur par ailleurs les assume et les revendique. « Le plus grand des luxes n’a jamais cessé de coïncider pour moi avec un certain dénuement » dit la préface de L’Envers et L’Endroit , recueil qui regroupe des essais évoquant les liens de Camus avec le milieu de sa jeunesse. Ceux de Noces expriment de leur côté ses rapports avec la nature. Noces à Tipasa mêle le soleil, les baisers et les parfums sauvages, et le grand libertinage de la nature et de la mer . Dans Le vent à Djémila c’est de lucidité aride qu’il s’agit, celle d’ une mort sans espoir. L’Été à Alger parle du silence des soirs d’été. Ces textes, écrits avant que l’écrivain ait 30 ans, pourraient n’en faire qu’un par la similitude du credo lucide de « l’homme jeté sur une terre dont la splendeur et la lumière lui parlent sans relâche d’un Dieu qui n’existe pas . » 3 Pourtant chacun possède sa marque propre. Les soirs de tendre douceur d’Alger, la grande respiration du monde depuis les collines de Florence et l’ivresse odorante de Tipasa, le vent de Djémila par quoi se ressent le détachement de soi-même, tout cela se retrouve à des titres divers dans L’Étranger . Un fil d’Ariane relie les œuvres entre elles. « Je ne crois pas, en ce qui me concerne, aux livres isolés », révèlent les Carnets . « Chez certains écrivains, il me semble que leurs œuvres forment un tout où chacune s’éclaire par les autres, et où toutes se regardent. » 4 Cela ne signifie pas que l’on confonde le créateur et sa création. « L’idée que tout écrivain écrit forcément sur lui-même et se peint dans ses livres », affirme L’Été , « est une des puérilités que le romantisme nous a léguées. Les œuvres d’un homme retracent souvent l’histoire de ses nostalgies ou de ses tentations, presque jamais sa propre histoire . Aucun homme n’a jamais osé se peindre tel qu’il est . » 5 Il n’empêche que l’artiste est entré, de son propre aveu, dans la composition de son premier roman publié.
Mis au monde sans que nous l’ayons requis, nous sommes voués à un même destin et, comme le condamné à mort, poussés à nous questionner sur nous-mêmes. « Les hommes ont l’illusion d’être libres. Les condamnés à mort n’ont pas cette illusion. » note Camus en 1938. 6 N’est-ce pas Simone de Beauvoir qui écrivait un jour : Un après-midi, à Paris, je réalisai que j’étais condamnée à mort (…). Plus que la mort elle-même, je redoutais cette épouvante qui bientôt serait mon lot, et pour toujours . 7 Meursault trouve pour finir non la consolation, mais l’abandon qui apaise. Il intègre le monde avant d’en être exclu. Le lecteur se prend à songer que, voilà longtemps, le narrateur du Vent à Djémila affirmait avec la belle ardeur de la jeunesse : « L’inquiétude naît du cœur des vivants. Mais le calme recouvrira ce cœur vivant : voici toute ma clairvoyance . » 8
1 . Le vent à Djémila , Noces, Le Livre de poche 1967, p. 31.
2 . Appendice de L’Étranger , Notices, notes et variantes , Œuvres complètes, t. I, p. 1269.
3 . Le désert , Noces. Ibid. p.59.
4 . Actuelles II , Entretien sur la révolte. La Pléiade 1965, p. 743.
5 . L’Énigme , L’Été. Le Livre de poche 1967, p. 154.
6 . Carnets , décembre 1938.
7 . Mémoires d’une jeune fille rangée, Folio 1985, p. 191-192.
8 . Le vent à Djémila , op. cit ., p. 28.
Première partie Retour sur L’Étranger
Et toujours ce grand soupir du monde. Une sorte de chant secret naît de cette indifférence. Et me voici rapatrié.
Entre oui et non
Pour commencer
J’avais ouvert un jour un roman dont le titre m’attirait. L’histoire commençait dans un café. La narratrice regardait le disque dans le juke-box se lever, lentement, pour aller se poser de biais contre le saphir, presque tendrement, comme une joue. 9 Ce désœuvrement lisse, l’attente lourde d’ennui devant une machine à la mode, je les connaissais bien. Elle poursuivait : Et, je ne sais pourquoi, j’avais été envahie d’un violent sentiment de bonheur, de l’intuition physique, débordante, que j’allais mourir un jour, qu’il n’y aurait plus ma main sur ce rebord de chrome, ni ce soleil dans mes yeux. Cela m’atteignait. La joie d’être jeune en se sachant condamné, c’était, romantique et tonique comme un blues, un concentré de modernité légère, agréable, mélange de vitalité et de conscience lucide. Par là le vivant ne tournait pas le dos. La vie devenait un délicieux anachronisme, dont la précarité n’était pas angoissante. Je ne sais pourquoi disait l’abandon au seul fait d’exister sans raison. La connivence avec le lecteur, ce lien intime, se retrouvait dans un autre livre, à la page couverture énigmatique. La jeunesse parlait, dès le début du récit, de notre condition mortelle, mais la tonalité neutre n’avait rien de lyrique. Aujourd’hui, maman est morte, ou peut-être hier, je ne sais pas . Récitatif sobre, l’incipit créait d’emblée un climat de confidence, sans livrer pour autant les pensées du protagoniste, ni ce qu’il éprouvait. Plus tard je découvrirai le credo du créateur : « la véritable œuvre d’art est celle qui dit moins . » 10 Le flou détaché de « je ne sais pas », appuyé par Cela ne veut rien dire figurait l’indétermination, l’indécision, en écho au « je ne sais pourquoi » de Sagan. La mort était rapportée comme une réalité inconsistante. La narration suggérait la mystérieuse densité du monde, la rencontre avec le sphinx. La banalité se parait d’un éclairage énigmatique. L’aventure était quasi inexistante, il ne se passait pas grand-chose, mais l’intérêt ne faiblissait pas. Des vieillards, intensément scrutés par l’œil de Meursault surgissaient, comme tirés d’une œuvre de Goya. Je glissais le long du labyrinthe, du mouroir de Marengo au quartier du port et des grandes rues de la ville jusqu’à une plage de fin du monde, jusqu’aux hauteurs où perche la prison. La mort était naturelle au début du roman, mais plus tard dans le récit elle était infligée. Évoquée par le chien disparu de Salamano, elle était rappelée par le souvenir du père et rapportée comme fait divers par une coupure de presse portant sur un infanticide doublé d’un fratricide. Elle était à la toute fin l’unique horizon du prisonnier voué à la peine capitale. Dans L’Étranger Camus place au premier rang une réalité qui le menace depuis des années. Il jongle avec elle.
Dans sa critique de La Nausée , il soulignait l’angoisse ressentie à l’idée de vivre « en jugeant que cela est vain ». Il usait d’une image forte : « Et, pour tout dire, pourquoi cette agitation à vivre dans ces jambes qui vont pourrir ? » Il trouvait dérisoire que Roquentin, qui a amorcé une révolte sur l’absurdité de la vie, ait pour unique horizon d’écrire un livre. « Car enfin presque tous les écrivains savent combien leur œuvre n’est rien au regard de certaines minutes . » La théorie nuit à la vie, c’est en substance ce qu’il reproche à La Nausée . Par ailleurs il réfute l’idée que la vie serait tragique parce que misérable : « Elle peut être bouleversante et magnifique, voilà toute sa tragédie. Sans la beauté, l’amour ou le danger, il serait presque facile de vivre. » 11 Au tribunal, alors que son avocat plaide, Meursault entend la trompette d’un marchand de glace. Il se rappelle un bonheur sobre fait de plaisirs ténus, dont le poids est considérable, et qui constituent sa seule richesse. J’ai été assailli des souvenirs d’une vie qui ne m’appartenait plus, mais où j’avais trouvé les plus pauvres et les

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