LE NATIONALISME HINDOU

Robert Deliege

Description

L’hindouisme de l’ouverture et la tolérance est aujourd’hui menacé par une vision nettement plus agressive, militante et exclusive de la religion. Cette idéologie que l’on peut appeler le « nationalisme hindou » s’incarne dans diverses organisations dont le parti politique Bharatya Janata Party qui gouverne l’Inde aujourd’hui. Fortement opposé à l’islam, le nationalisme hindou ne met pas seulement en péril les valeurs de laïcité qui ont caractérisé l’Inde indépendante, mais il pourrait aussi accentuer les tensions qui existent en Asie du sud, région déjà très instable. Il promeut aussi l’image d’une Inde fière, conquérante et dynamique, prête à jouer un rôle majeur dans le monde de demain.

Informations

• Publié par: Studyrama Editions
• Date de parution: 01 janvier 2022
• Nombre de lectures: 0
• EAN13: 9782759034697
• Langue: Français

Extrait

LE NATIONALISME HINDOU

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Robert DELIEGE

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L’hindouisme

SOMMAIRE

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Aux sources de la reconnaissance : leBrahmo Samaj 15

L’Arya Samaj

Réaction et renaissance

L’hindouisme organisé

La Hindu Mahasabha et la Vishva Hindu Parishad

LeJana Sangh

Le mouvement de Jaya Prakash Narayan

L’affaire Shah Bano

Le temple d’Ayodhya

Le Cachemire

LaShiv Sena

De Vajpayee à Modi

Culture, histoire et vision du monde

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Conclusion

Glossaire

Bibliographie

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Le nationalisme hindou

La question du nationalisme hindou n’est pas un problème périphérique qui ne concernerait qu’un seul pays et une seule religion, passablement exotique. Il s’agit d’une question qui pourrait bien avoir des répercussions internationales importantes. En premier lieu, contrairement à un passé pas si lointain où l’Inde se voyait reléguée à une nation mineure qui n’intéressait que quelques babas cool ou autres e tiersmondistes, on reconnaît aisément, en ce début duxxi  siècle, la place importante que l’Inde jouera dans le monde de demain. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à penser qu’il s’agit d’une puissance émergente et nul ne peut, dès lors, rester indifférent aux soubresauts politiques et économiques de ce pays.

Jusqu’ici, l’Inde n’a guère été présente sur la scène internationale, si l’on exclut toutefois ses interventions dans les pays voisins. Les choses ont désormais changé et l’Inde est de plus en plus en présente dans tous les domaines de la vie internationale, notamment par sa diaspora, sa capacité nucléaire, son expansion économique, sa présence culturelle, etc. Jusqu’ici encore, l’Inde a été un modèle d’équilibre interne et quand, comme toute autre grande nation, elle a connu des problèmes, ceuxci n’ont guère eu d’influence sur la scène internationale. Ici encore, les choses ont changé : d’une part, depuis la fin de la domination incontestée du parti du Congrès, l’Inde est devenue beaucoup plus instable politiquement et, dès lors, ses positions risquent désormais de perturber davantage l’équilibre international. L’harmonie relative mise en place par Nehru et le Congrès reposait sur une conception « laïque », et « républicaine » de l’État et de la nation. Or, depuis le déclin (relatif) du Congrès, seul le nationalisme hindou a su s’assurer une assise politique nationale et cette mouvance est extrêmement critique face à la laïcité de l’État qui fut la marque du Congrès. Une fois encore, cette question ne sortirait pas de la sphère nationale si le nationalisme hindou ne s’était pas largement

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construit en réaction à l’islam. Il faut alors savoir que l’Inde est un des premiers pays musulmans du monde, avec une population de plus de 150 millions d’individus, et la posture antimusulmane du nationalisme hindou représente donc un danger pour l’harmonie du pays et de la région. Sur le plan extérieur, en effet, l’Inde est l’ennemi juré de son voisin pakistanais et cette hostilité, alliée à la pression qu’exercent les islamistes à l’intérieur de cet État, rend la région extrêmement instable pour l’équilibre international. L’Inde est, en quelque sorte, devenue un élément assez important du déséquilibre croissant que connaît cette région du monde et qui a des répercussions multiples sur l’ensemble du globe.

On voit donc l’importance de cette idéologie politique qui, certes, a toujours été présente en Inde, mais qui, au cours des deux dernières décennies, a joué un rôle politique majeur. Ce rôle, on peut en présager, ne va pas diminuer : en premier lieu, le nationalisme hindou répond au vide des idéologies politiques que l’on connaît depuis quelques décennies. En second lieu, il apporte des réponses qui plaisent à diverses catégories sociales : classes moyennes frustrées par leur manque de poids dans la politique nationale, classes populaires déçues par les promesses non tenues, religieux en manque de représentation, exclus du développement économique… Nombreuses sont les couches sociales qui répondent à la capacité de mobilisation de ce mouvement qui offre l’avantage de ne pas être seulement politique, mais multidimensionnel. De surcroît, le nationalisme hindou a été capable de bien s’organiser et de se structurer, sous l’égide d’une élite cohérente qui a su lui donner une dimension essentielle. Enfin, il répond particulièrement bien aux transformations récentes de la société indienne et surtout à son développement économique. Cette nation, qui a longtemps été représentée comme inférieure, s’est transformée aujourd’hui en une force nettement plus conquérante, virile, expansionniste et fière d’ellemême. Il s’agit là d’un élément clé : le nationalisme hindou montre au monde qu’il faut désormais compter avec l’Inde, que celleci n’entendra pas se contenter de jouer un rôle mineur dans le monde

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de demain, mais qu’elle sera, sans aucun doute, amenée à tenir une place de conquérant, au figuré certainement, au propre… peutêtre. Contrairement à ce qui peut se passer ailleurs, le nationalisme religieux n’est pas seulement ici l’expression d’exclus de tout bord, frustrés par leur déclin ou la corruption. Il est aussi une idéologie positive, qui pourrait avoir une dimension expansionniste et paraît aussi particulièrement bien adaptée au développement économique que connaît l’Inde. C’est dans cette mesure d’ailleurs qu’il attire des catégories sociales qui sont ellesmêmes en pleine expansion et souhaitent donner une expression politique à leur essor.

Sur le plan théorique et général enfin, le nationalisme hindou pose la question de la nation, du sécularisme, de la place de la religion au sein de la politique ou encore de l’émergence de l’hindouisme comme religion internationale. Bref, tout cela nous montre que nous ne sommes pas ici en présence d’un phénomène accessoire, mais que nous touchons un élément clé pour l’analyse du monde de demain.

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L’HINDOUISME

L’hindouisme

L’expression « nationalisme hindou » comprend deux termes qui méritent quelque réflexion. Tout d’abord, il convient de noter qu’ils expriment des phénomènes récents. En ce qui concerne le nationalisme, tout d’abord, il faut rappeler que la nation indienne n’existait pas avant l’arrivée des Britanniques. Le terme même « Inde » a surtout été utilisé de l’extérieur pour désigner un ensemble (ce que l’on appelle les « grands empires ») qui n’avait guère de cohérence et surtout pas de centralisation politique, contrairement à la Chine et au Japon par exemple. L’expression « grands empires » est en effet quelque peu usurpée dans la mesure où ces « empires » n’ont jamais recouvert l’ensemble du territoire et où leur degré d’intégration était très faible, ne conduisant que très peu, sinon pas du tout, à un sentiment d’appartenance commune ou même d’identité au sein de la population. Depuis des temps immémoriaux, l'Inde était divisée en petits royaumes et principautés, elle était constituée de nombreux peuples qui parlaient des langues très différentes et n’avaient que très peu de relations entre eux. Enfin, même à l’intérieur de ces groupes linguistiques, l’unité était très faible puisque la population était divisée en de multiples castes qui prenaient grand soin de s’éviter, voire de s’exclure, quand elles n’étaient pas contraintes de collaborer, notamment sur le plan économique. En bref, les peuples du souscontinent ne connaissaient guère de cohésion ; l’Inde, qui ne se nommait d’ailleurs pas ainsi, ne formait pas un ensemble intégré, mais un amas d’éléments plutôt hétéroclites qui n’entretenaient entre eux que très peu de relations. C’est la colonisation britannique et le mouvement national, constitué en réaction à celleci, qui vont permettre la constitution d’une conscience nationale et donc d’une véritable nation. Celleci a toujours été consciente de sa fragilité et n’a cessé d’être préoccupée par le maintien de son intégrité. Elle l’est encore aujourd’hui. Il n’en reste pas moins que, de très peu de choses, la nation indienne est devenue une réalité incontournable et tangible.

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Le nationalisme hindou

La même hétérogénéité se retrouve dans l’hindouisme. Avant l’arrivée des Britanniques, il était difficile de considérer comme une religion véritable cet ensemble assez confus et disparate de croyances et pratiques qui différaient d’autant plus les unes des autres qu’il n’y avait aucune forme de centralisation religieuse pour en codifier les règles et les faire respecter. L’hindouisme ne se nommait d’ailleurs pas, il n’avait e guère de réalité autonome et il fallut attendre lexix siècle pour qu’il fût considéré comme une grande religion méritant le suffixe en « isme » et englobe toutes ses composantes sous un même terme. C’est un euphémisme de dire que les hindous ne formaient pas une communauté. Le phénomène était rendu plus aigu encore par les caractéristiques mêmes de ce qu’on avait du mal à appeler une « religion ». D’abord, ainsi qu’on l’a mentionné, il n’y avait pas vraiment de communauté : en raison de la division en castes, une grande partie de la population était exclue de toute participation aux rites religieux et ne pouvait pas entrer dans les temples, ni non plus dans les rues jouxtant ceuxci. Le domaine religieux était largement monopolisé par une catégorie de la population, les Brahmanes, qui faisaient office de clercs et se considéraient comme supérieurs au reste de la population. Les Brahmanes prenaient grand soin d’éviter tout contact avec le reste de la population : ils n’acceptaient ni eau ni nourriture offerte par les castes « inférieures », ne permettaient pas à ces dernières de pénétrer dans leur quartier, considéraient le moindre contact comme les souillant, etc. Le savoir religieux était leur apanage et ils étaient les seuls à pouvoir servir les grands dieux, c’estàdire à officier comme prêtres dans les grands temples. En tant que clercs, ils étaient les seuls à maîtriser le sanskrit, la langue dans laquelle sont composés et écrits les textes religieux essentiels. Comme on le voit, il est difficile de parler de communauté et les occasions où un sentiment d’unité aurait pu s’exprimer étaient rares, sinon inexistantes. Il convient d’ailleurs de noter que, contrairement à ce qui est souvent admis, les rituels étaient essentiellement privés et les expressions religieuses communautaires relativement réduites, sinon rares. Même les grands pèlerinages étaient peu collectifs et mettaient simplement en présence des masses d’individus qui partageaient assez peu de choses. L’anthropologue américaine Ann Gold a montré qu’il en

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