Le Paravent des égoïsmes
141 pages
Français

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Le Paravent des égoïsmes , livre ebook

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Description

Un idéal : la solidarité qui oblige à s'engager en faveur des exclus, des déshérités. Un métier qui est aussi une vocation : aider ceux qui souffrent, et particulièrement les femmes. Une exigence de compréhension, de tolérance, d'écoute des autres. Une manière de vivre, une action politique qui témoignent de la constante fidélité à cet idéal, à cette vocation, à cette exigence. Michèle Barzach livre ici l'essentiel de son expérience. Michèle Barzach, médecin gynécologue, a été ministre de la Santé et de la Famille de 1986 à 1988.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 1989
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738142597
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , FÉVRIER  1989 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN 978-2-7381-4259-7
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
www.centrenationaldulivre.fr
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
À Tatiana, Maroussia et Mathieu
Introduction

– Comment devient-on ministre, Madame ?
– Par téléphone, Monsieur !…

Un dimanche après-midi. À 17 heures, le téléphone sonne.
– Si vous êtes d’accord avec la proposition qui vous est faite de prendre la responsabilité de la Santé dans le nouveau gouvernement, soyez là dans une demi-heure.
Il fallait répondre. Tout de suite. Et selon la réponse, ma vie, la vie de ma famille allait basculer, je le savais. La réponse fut oui.
Mais peut-on imaginer à quel point le téléphone peut vous surprendre dans la vie ?
Des amis avaient offert à mes filles une grande boîte de maquillage et, ce jour-là, elles avaient eu le droit – comble de la récompense – d’exercer sur moi leurs talents cosmétiques : leur création allait bon train et j’étais couverte des yeux au menton de cercles concentriques de toutes les couleurs. Quelle fête ! Maintenant il fallait très vite me dégrimer, partir à la hâte. Hélas ! J’ignorais que ces fards fussent pratiquement indélébiles ! Il fallut un long moment pour que je parvienne à m’en débarrasser.
Peut-être aurais-je dû davantage m’attacher au symbole de ce moment…
 
Dès l’âge de douze ans, mon rêve était de devenir médecin. Un désir, un besoin profond d’écouter les autres, de les aider, mais peut-être aussi une façon – ma façon à moi – de me battre contre l’impossible, la mort. Mes études furent aussi passionnées qu’acharnées. Très vite j’eus la chance de comprendre que la vie est fragile, que les instants sont précieux, que certaines choses sont importantes et beaucoup d’autres dérisoires. Cela m’aida à construire ma vie sur des critères qui donnent du prix aux êtres, aux instants, aux desseins.
Pendant quinze ans j’ai consacré une grande partie de mon temps à mes malades, découvrant petit à petit leurs joies, leurs drames, leurs secrets. C’est ainsi que j’ai appris à connaître et à comprendre la vie des femmes, les difficultés qu’elles rencontrent dans leur existence individuelle, dans leur existence familiale. Dans le même temps une longue quête allait commencer pour moi, qui prenait son point de départ dans le besoin de comprendre la portée de certains symboles : pourquoi tel peuple, telle tribu, telle culture privilégie ou non, reconnaît ou ignore tel ou tel symbole, rite social ou comportement individuel ? Comment peut-on expliquer qu’à des milliers de kilomètres de distance les mêmes signes, les mêmes repères sont utilisés pour exprimer les mêmes choses, sans que l’on ait jamais pu faire de recoupements entre eux, trouver une filiation commune ? À ces questions, passionnantes pour moi, l’ethno-psychiatrie, de multiples voyages, des séjours, parfois prolongés, dans des villages, des tribus des Philippines, d’Indonésie, d’Afrique, d’Amérique du Sud, de nombreuses lectures, une analyse jungienne, des thérapies de groupe ont contribué à apporter des éléments de réponse. À Sumatra, où j’ai séjourné un long moment parmi les Minningkabau, j’ai découvert un peuple de cinq millions d’habitants dont l’organisation sociale est fondée sur un matriarcat étonnamment vivace. Un pays de rizières, superbe, sauvage, au relief très accidenté, un des rares endroits en Indonésie où les maisons sont construites en pierre, avec une architecture très structurée, ornée, symétrique. Sur la façade, un escalier de pierre sculptée : il mène à l’intérieur de la maison où l’homme, aucun homme, n’a le droit de séjourner, de dormir au-delà de l’âge de la puberté. Dans ce pays musulman, très pratiquant, les hommes n’ont le droit de rien posséder. Les maisons, les champs et les rizières sont la propriété exclusive des femmes. Ils y travaillent, mais c’est à la mosquée qu’ils vivent. La maison, ils l’ont quittée à treize ans et ils n’y reviennent que pour des visites de tendresse et d’amour. Étonnant équilibre où la chasse à l’arme blanche – le « kris » –, l’animal et la prière semblent suffire pour remplir la vie de l’homme ! Étonnant équilibre qui dure depuis des siècles et qui conduit à douter de l’importance de la structure sociale, patriarcale ou matriarcale, mais qui permet de saisir le sens d’un tabou qu’aucune société n’a jamais transgressé, celui de l’inceste.
En d’autres lieux, en d’autres temps, d’autres femmes, d’autres situations sociales tout aussi insolites occuperont mon attention et mobiliseront mon énergie.
Les femmes berbères et le droit coutumier qui en fait des citoyennes à part, tantôt bêtes de somme, tantôt justiciers. Les femmes andines qui vont prier dans les églises ouvertes à tout vent, leurs enfants sur le dos, précédées de chiens galeux et fidèles, exaltant la foi de leur voix acidulée après avoir confectionné le chichon – une bière de ménage infâme – tout en mâchonnant de la coca… Leurs difficultés, leur misère, elles les camouflent, non sans une certaine gaieté, sous leur chapeau de feutre et leur poncho multicolore.
 
Auprès de toutes ces femmes rencontrées à travers le monde, des Lapones imbibées de vodka aux femmes cachées derrière leur moucharabié, en passant par les patientes de mon cabinet, j’aurai compris ce que veut dire très viscéralement l’amour donné aux enfants, le besoin charnel, passionnel de donner, de partager ; j’aurai compris le courage de ces femmes, leur pudeur, leur aptitude à vivre jusqu’au bout leurs intuitions et à faire de l’amour une révolution permanente.
Ces rencontres, ces observations, ces émotions partagées m’ont été d’un grand secours en politique, à moi l’« intellectuelle » dont la force principale, au bout du compte, est l’intuition, celle qui fait avancer les choses, celle qui soulève les montagnes. Et cette intuition, je saurai aussi la reconnaître chez de grands hommes qui savent s’en servir, au détriment, parfois, de l’image qu’ils ont auprès du public. N’est-on pas tenté de prendre pour de la versatilité, de l’instabilité de jugement, ce qui traduit au contraire l’aptitude à éviter certaines erreurs en se fiant à l’intuition plutôt qu’à l’analyse rationnelle ? J’eus l’occasion d’en être le témoin, avec Jacques Chirac, avec François Mitterrand. La capacité à faire preuve d’intuition est leur force, mais c’est aussi leur faiblesse aux yeux de certains.
Née dans une famille où les femmes ne travaillaient pas, j’ai grandi et vécu avec la génération qui a vu se transformer en profondeur la vie et son organisation. Une femme sur trois travaillait alors par nécessité ; aujourd’hui, deux sur trois le font, par besoin pour beaucoup d’entre elles, simplement par désir pour d’autres. Très peu pouvaient prétendre à des responsabilités importantes. Une longue quête commençait dans les années soixante. Des mouvements féministes revendicatifs se créaient. Dans le même temps des femmes, femmes avant tout, mais décidées, détermi nées, menaient leur vie de telle manière que le sort d’une grande partie d’entre elles changeait. Je n’ai jamais été féministe, pensant que la différence entre les femmes et les hommes existe, qu’elle est essentielle, que c’est même pour les femmes leur vraie richesse : celle de pouvoir créer la vie. C’est pourquoi, si la lutte pour l’égalité de traitement, des chances, des salaires m’apparaît comme une nécessité impérieuse, l’affirmation d’une égalité globale et abstraite entre les femmes et les hommes n’a pas de sens à mes yeux.
Ces interrogations, ces intérêts personnels éveillèrent en moi au fil du temps le besoin – la nécessité peut-être – d’ouvrir les yeux sur la vie collective, le fonctionnement de la cité, du pays tout entier, de mon pays. Je décidai donc de dédier une partie de ma vie aux tâches d’intérêt général en assumant des responsabilités municipales, d’abord, qui me permirent de mieux comprendre l’organisation de la vie d’une ville dont j’étais adjoint au Maire. Je pus mesurer alors l’ampleur de difficultés, parfois très insolites, que pouvaient rencontrer certains. J’exerçai ensuite le mandat de conseiller régional d’Ile-de-France. Ce cheminement culmina le 25 mars 1986 lorsque j’entrai au gouvernement de Jacques Chirac comme ministre de la Santé et de la Famille.
CHAPITRE I
La médecine et la vie

Une formation accélérée
C’était un vendredi matin. J’avais pris mes fonctions quarante-huit heures auparavant. Le long week-end de Pâques allait commencer.
Depuis le début de la semaine, trois enfants étaient décédés, quelques heures ou quelques jours après leur vaccination DTCOQ -Polio. Hasard ou lien direct, quelques enfants récemment vaccinés ne se portaient pas très bien. Dès le matin, la presse et les radios s’étaient emparées de l’information. Les renseignements qui parvenaient de mes services avaient de quoi inquiéter : un doute semblait planer sur une relation directe entre le vaccin et la mort de ces enfants.
Première grande décision à prendre et à prendre, pourrait-on dire, sur la place publique, sous le feu des projecteurs.
Toutes les informations rassemblées sur mon bureau, je demande qu’on me laisse seule un moment. Réfléchir avant de décider. Il fallait à tout prix éviter le pire : plusieurs morts d’enfants dans les prochains jours. Les vacances de Pâques n’arrangeaient rien. Pendant cette période, en effet, l’in

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