Un pays qui voudrait rester libre : Chronique d une accoutumance sécuritaire (2015-2020)
70 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Un pays qui voudrait rester libre : Chronique d'une accoutumance sécuritaire (2015-2020) , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
70 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Les Français croient-ils encore à leurs libertés ? L’État de droit nous fait-il encore rêver ? Avons-nous encore la force de désirer autre chose que notre sécurité ? Au cours des années 2015 à 2020, les conditions de notre liberté se sont réduites par vagues : urgence sécuritaire, urgence sanitaire, maintien de l’ordre public. Réflexe de protection face au traumatisme du terrorisme islamiste, sacrifices nécessaires pour endiguer le Covid-19, normalisation des atteintes aux droits de la presse, accoutumance à un traitement répressif des manifestants… Alors que nos gouvernements successifs développent une addiction sécuritaire, l’esprit de résistance s’endort.  Avec une plume acérée, François Saint-Pierre nous livre un document essentiel pour capter, derrière les coups de bélier sécuritaires qui ont ponctué ces années, une lame de fond préoccupante : la passion française pour la liberté s’est érodée. De cette chronique, sachons tirer des clés pour raviver la flamme. François Saint-Pierre est avocat. Sa pratique de la défense pénale nourrit sa réflexion de citoyen sur notre modèle démocratique et judiciaire depuis de nombreuses années. Il a publié aux éditions Odile Jacob Avocat de la défense (2009), Au nom du peuple français (2013) et Le Droit contre les démons de la politique (2019). 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 mai 2021
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738155733
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , MAI  2021
15, RUE S OUFFLOT, 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN 978-2-7381-5573-3
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
INTRODUCTION

La tentation liberticide : l’ère des va-t-en-guerre

En six ans, de 2015 à 2020, le terrorisme islamiste, la révolte des gilets jaunes et la pandémie du coronavirus ont bouleversé l’idée que nous nous faisions de nos libertés et mis à l’épreuve ce que l’on nomme l’État de droit. En songeant à ce livre, j’avais eu le projet de le titrer L’Âge d’or des libertés , non par esprit de provocation, mais pour conjurer le pessimisme ambiant. J’avais le dessein d’illustrer mon propos par des exemples concrets démontrant que nous vivions, en France, dans une démocratie active, pour reprendre cette expression du juge de la Cour suprême américaine Stephen Breyer, où les citoyens peuvent exercer leurs droits de manière effective, sans crainte de l’arbitraire de l’administration ni de violences policières 1 .
Mais, au cours de son écriture, j’ai dû me résoudre à modifier ce titre, tant ces événements, chacun d’une nature pourtant si différente, ont conduit le pouvoir politique à réagir par des mesures de plus en plus restrictives de ces libertés, peut-être justifiées de son point de vue, mais sans précédent depuis un passé lointain. Ce livre en présente une chronique, qui s’achève au 31 décembre 2020. Le bilan qu’il dresse est critique, mais nuancé. Il n’est surtout que provisoire.
L’avenir n’est pas écrit : il dépend des circonstances, que nous ne maîtrisons pas toutes, cela va de soi, mais aussi de nos choix, de nos volontés, de notre idéal de société. C’est pourquoi ce titre –  Un pays qui voudrait rester libre  – s’est finalement imposé, pour signifier notre attachement collectif et profond à ces libertés publiques et individuelles, auxquelles il est hors de question de renoncer par ces temps tourmentés, mais aussi notre crainte de nous accoutumer aux politiques sécuritaires que les gouvernements successifs ont tant développées au cours des années passées. D’aucuns parlent désormais de régime autoritaire : c’est un point de vue dont nous discuterons au fil des pages suivantes, mais qui me semble injustifié.
Dans un essai antérieur, Le Droit contre les démons de la politique , j’avais au contraire décrit la formidable évolution contemporaine de notre système juridique, sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme, dont la jurisprudence a remarquablement développé nos libertés fondamentales en France comme dans tous les pays d’Europe, incitant les États à mieux les garantir en modernisant leurs institutions, afin de protéger efficacement les personnes contre les abus de pouvoir, les erreurs judiciaires, les discriminations ou les violences de toute nature dont elles peuvent être les victimes 2 . N’oublions jamais que c’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1950, pour sceller la défaite du nazisme, que fut signée la Convention européenne des droits de l’homme, par des États qui se sont alors engagés à mettre en œuvre un « régime politique véritablement démocratique », tous « animés d’un même esprit […] de respect de la liberté », mais aussi, et c’est essentiel, « de prééminence du droit », selon les termes mêmes de son préambule.
Or la France, comme la plupart de ses voisins européens, a respecté son engagement, bien qu’avec un certain retard. C’est en octobre 1981 qu’elle a finalement accepté que des particuliers puissent aller se plaindre devant la Cour européenne d’une atteinte à leurs libertés, en exerçant un recours à l’encontre d’une décision rendue par la justice française. De là date cette évolution majeure de notre système juridique. La Cour européenne a rendu depuis de très nombreuses décisions, dont la somme constitue une jurisprudence remarquable. Les magistrats français refusèrent longtemps d’en tenir compte, à l’instar d’ailleurs de leurs collègues britanniques, soucieux les uns et les autres de leurs cultures juridiques respectives, le droit napoléonien ou la common law , et jaloux de la souveraineté politique de leurs nations. Mais les années 2010 furent décisives. La Cour de cassation décida que les tribunaux devraient à l’avenir appliquer les arrêts de la CEDH, comme on l’appelle couramment, rendus à l’égard de tous les pays européens et non seulement de la France, directement, et même de préférence au droit national français. C’est alors aussi que le Conseil constitutionnel est devenu une véritable cour constitutionnelle, puisque toute personne peut désormais le saisir d’une question prioritaire de constitutionnalité, afin de contester la validité d’une loi qui lui est opposée lors d’un procès et la faire juger inconstitutionnelle : près de neuf cents décisions ont ainsi été rendues en dix ans.
Dans Le Droit contre les démons de la politique , j’avais décrit en détail ce phénomène qui permit un développement de grande ampleur des jurisprudences de ces juridictions, contribuant à cette « prééminence du droit » qu’évoque le préambule de la Convention européenne. Les arrêts que rendent la CEDH et la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, ainsi que le Conseil d’État, ont autant d’importance si ce n’est plus encore que les lois votées par le Parlement, comme nous le verrons à nouveau dans les pages qui suivent, pour la garantie de nos libertés fondamentales. Tout pouvoir politique est en effet tenté de les restreindre en période de crise, pour réprimer des attentats ou des émeutes, parer à une épidémie, cherchant ainsi à rassurer l’opinion publique inquiète.
J’avais conclu ce précédent essai en soulignant le désaccord profond de plusieurs responsables de partis politiques, ainsi que d’éminents juristes, avec cette mutation récente de notre système juridique. Pour eux, il n’est de pouvoir légitime que celui qui procède du suffrage populaire, dans une démocratie. La loi votée par le Parlement est dès lors la seule source authentique du droit, et non pas la jurisprudence, surtout pas celle de la Cour européenne, qui à les entendre saperait la souveraineté des États et finirait par ruiner leur autorité. Or ce mouvement de protestation n’a cessé de forcir depuis, et pas seulement en France. Au Royaume-Uni, la ministre de la Justice du gouvernement de Boris Johnson, Suella Braverman, l’a parfaitement illustré par cette formule incisive : «  The political has been captured by the legal 3 . »
Lors de la campagne présidentielle de 2017, tant Marine Le Pen pour le Rassemblement national que François Fillon, le candidat pour Les Républicains (LR), avaient dénoncé ce gouvernement des juges, en promettant d’y mettre fin. Les années de tourmente qui suivirent favorisèrent la reprise de ce discours. À l’automne 2020, le sénateur Bruno Retailleau (LR) dénonça dans Le Figaro « les juges internationaux et nationaux [qui] ont ligoté l’État régalien » ; il ciblait notamment le Conseil constitutionnel, qui selon lui ne devrait pas avoir « le droit de désarmer un peuple », et réclamait qu’« en cas de désaccord entre le Parlement et le juge, le dernier mot revienne aux représentants du peuple 4  ». Au sein même du parti présidentiel (LREM), la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s’exaspéra elle aussi de l’annulation par le Conseil constitutionnel de plusieurs lois qu’elle avait soutenues, dont nous parlerons, le menaçant implicitement en suggérant qu’il avait « tout intérêt à évoluer 5  ».
Plus radical, le député Éric Ciotti (LR) dénonça « ces pseudo-défenses des libertés individuelles qui ne font que défendre les terroristes », de véritables « boulets aux pieds ». Un « Guantánamo à la française », voilà la solution, dit-il, tandis que le maire de Nice, son collègue Christian Estrosi, s’emportait lui aussi. « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », jura-t-il au lendemain du sanglant attentat commis dans la cathédrale de sa ville, en novembre : « Trop, c’est trop, il est temps maintenant que la France s’exonère des lois de la paix pour anéantir définitivement l’islamo-fascisme de notre territoire 6 . » Le temps était donc venu, en effet, de poser franchement cette question : une législation d’exception s’imposait-elle en France pour combattre efficacement le terrorisme et lui mener une guerre sans merci, en marge de notre État de droit ? À n’en pas douter, le débat allait s’amplifier à l’approche des élections présidentielles de 2022. Nous pouvions craindre hélas qu’il soit avivé par d’autres attentats.
Des voix s’étaient cependant élevées pour dénoncer la démagogie de ces élus de droite qui prétendaient garantir la sécurité de leurs concitoyens en bradant les libertés. Mireille Delmas-Marty, juriste respectée, professeure au Collège de France, avertit que nous étions en train de basculer « vers un droit pénal de la sécurité, qui traite le suspect en criminel ». Déjà, dit-elle, « la banalisation de l’état d’urgence [avait légitimé] un transfert du pouvoir législatif à l’exécutif », de manière insidieuse : à ce rythme, nous aboutirions inéluctablement « à des despotismes “légaux” », car « la démocratie ne consiste pas seulement dans la majorité des suffrages », mais aussi dans un ensemble de valeurs communes et de libertés effectives 7 . Le président du Conseil constitut

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents