Profession médiéviste
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Description

Des chevaliers armés d’épées en mousse s’affrontent le dimanche sur les flancs du mont Royal. Game of Thrones et The Lord of the Rings séduisent les foules. Les jeux vidéo plongeant les joueurs dans le passé médiéval sont nombreux et populaires. On le voit : il y a un engouement pour le Moyen Âge. Francis Gingras montre comment cette période historique est aussi un objet d’étude pour beaucoup de disciplines : littérature, histoire, histoire de l’art, philosophie, etc.Le Moyen Âge nous paraît familier ; l’auteur montre que c’est en fait une période très éloignée de la nôtre, étrangère à plusieurs égards, mais qui a encore des choses à nous dire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 janvier 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782760633438
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Francis Gingras

Profession médiéviste

Les Presses de l’Université de Montréal
Collection Profession Collection dirigée par Benoît Melançon Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Gingras, Francis Profession, médiéviste (Profession) ISBN 978-2-7606-3341-4 1. Moyen Âge - Historiographie. 2. Médiévistes. I. Titre.II. Collection: Profession (Montréal, Québec). D116.G56 2014 909.07072 C2013-942332-X Dépôt légal: 1 er trimestre 2014 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université de Montréal, 2014 creditwww.pum.umontreal.ca ISBN (papier) 978-2-7606-3341-4 ISBN (PDF) 978-2-7606-3342-1 ISBN (ePub) 978-2-7606-3343-8 Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activités d’édition. Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
À la mémoire de Thierry Groblewski,

vale, unice.
Introduction
Longtemps mal aimé, le Moyen Âge a aujourd’hui plutôt bonne presse. On trouve certes encore l’adjectif «moyenâgeux» pour dénoncer des pratiques de flagellation publique en Libye (AFP, 17 mars 2013), l’organisation du sénat canadien ( Le Soleil , 6 juin 2013) ou les urgences québécoises ( Le Devoir , 5 août 2011), voire, plus étonnamment, le «management moyenâgeux» des forces de police à Périgueux ( Sud-Ouest , 25 mars 2013) ou les infortunes de la télévision publique en Grèce ( Le Monde , 3 juin 2013). Cependant, la plupart des occurrences récentes du terme médiéval et même de son pendant péjoratif, l’adjectif moyenâgeux , ont plutôt un sens positif, renvoyant sans trop d’arrière-pensées à ces dix siècles qui ont longtemps servi de repoussoir à une certaine idée de la modernité.
Un des premiers humanistes, le poète et érudit italien François Pétrarque (1304-1374), voyait en effet la période entre l’Antiquité et son époque comme un âge des ténèbres. Après lui, l’évêque corse Giovanni Andrea Busi désignait encore cette période comme media tempestas (jouant du double sens entre «tempête» et «époque»), tandis que le secrétaire pontifical Flavio Biondo écrivait en latin des Décades historiques depuis le déclin de l’Empire romain où il décrivait l’intervalle entre le sac de Rome et la Florence du Quattrocento comme une ère sombre. Cette idée d’un âge obscur et intermédiaire se fixe dans l’expression Moyen Âge , en latin medium ævum , qui se répand au xvii e siècle avec le manuel d’histoire de Cellarius, dont un volume est consacré en 1688 à l’ Histoire du Moyen Âge de l’époque de Constantin le Grand jusqu’à la prise de Constantinople par les Turcs . Avec cet ouvrage, la périodisation est fixée pour longtemps et les termes medium ævum s’imposent pour désigner la période entre l’Antiquité et la «Renaissance», près de deux siècles avant que le terme médiéviste n’apparaisse en français pour désigner celui qui s’y intéresse.
Les amateurs de cette période comme les savants qui s’y consacraient ont d’abord été appelés moyenâgistes . Le mot se trouve aussi bien chez Balzac pour décrire une provinciale aux prétentions d’historienne de l’art (dans La muse du département ) que dans les très sérieux Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres pour désigner le premier professeur de littérature du Moyen Âge au Collège de France, Paulin Paris, pour qui cette chaire est créée en 1853. Le doublon savant, médiéviste , formé sur la base latine, s’est imposé au fur et à mesure que s’affirmaient les prétentions scientifiques de ce que l’on appellera la médiévistique .
Cette volonté de revendiquer le caractère scientifique, ou à tout le moins méthodique, de l’étude du Moyen Âge était d’autant plus marquée que l’intérêt pour cette période a longtemps été le fait d’amateurs plus ou moins éclairés. Qu’il soit noirci ou idéalisé, le Moyen Âge est d’abord le fruit de l’imagination de ceux qui sont venus après lui. Les manuscrits, les monuments, les traces qui sont encore accessibles permettent de tempérer ce qui relève du fantasme, mais le médiéviste participe toujours à l’invention d’une époque qui est d’abord un produit de l’esprit.
En lui donnant un début et une fin, la tradition a créé de toutes pièces une période coupée quelque peu artificiellement des temps anciens. Cette expression de temps anciens est dès lors réservée à l’Antiquité qui remonterait, elle, aux origines mêmes de l’écriture et, suivant la définition traditionnelle, au commencement de l’histoire. Le début du Moyen Âge coïnciderait, lui, avec une première «fin de l’histoire», illustrée soit par l’entrée dans Rome des Goths d’Alaric (en 410), soit par la déposition du dernier empereur romain d’Occident, Romulus Augustule, par le commandant germanique Odoacre (en 476). Dans un cas comme dans l’autre, les «barbares» sont associés à la fin de l’Empire romain et au début de ce qui deviendra le Moyen Âge. On comprend alors pourquoi l’adjectif gothique a longtemps désigné, péjorativement, la production médiévale. Là encore, le renversement est frappant quand on compare avec l’usage actuel où, à la suite des Romantiques, des jeunes gens se définissent volontiers comme gothiques, tandis que le cinéma populaire met en scène «une bouchère gothique chtie» dans Les reines du ring , (mauvais) film de Jean-Marc Rudnicki (France, 2013).
La date attribuée traditionnellement à la fin du Moyen Âge correspond à une autre grande transformation de l’ordre du monde, qu’il s’agisse de la prise de Constantinople par les Turcs (en 1453) ou de la «découverte» de l’Amérique par Christophe Colomb (en 1492), associés, dans un cas, à un mouvement des savants grecs et de leurs bibliothèques vers l’Italie, concomitant au développement de l’imprimerie à caractères mobiles, et, dans l’autre, à l’essor des grandes découvertes et à l’exploration d’un Nouveau Monde. À l’inverse de l’entrée dans le Moyen Âge, connotée très négativement, la sortie est perçue comme l’occasion de nouvelles possibilités.
Si les historiens attendent la fin du xv e siècle pour parler de temps modernes , la revendication du statut de moderne apparaît pourtant dès la fin du v e siècle chez certains auteurs latins et devient même un terme central pour les penseurs du xii e siècle quand vient le temps de définir leur position intellectuelle. Poètes, philosophes et romanciers n’ont pas attendu l’Amérique pour affirmer qu’ils voyaient plus loin que ceux qui étaient venus avant eux. Ainsi, aux yeux de ceux qui y ont vécu, le Moyen Âge est plus moderne que barbare.
Un médiéviste ferait donc profession de comprendre et, incidemment, d’inventer ces siècles lointains. Pris entre le fantasme des origines et la tentation de l’étrangeté, il doit continuellement naviguer entre ces deux écueils que sont le risque généalogique et la radicalisation de l’altérité médiévale. Le médiéviste est toujours susceptible d’utiliser la période qu’il étudie pour construire une identité (linguistique, nationale, religieuse). Mais il peut aussi s’appuyer sur ce passé qu’il approche à l’aide de méthodes et de techniques particulières pour nourrir la réflexion sur la société actuelle, voire pour l’enrichir d’un imaginaire qui trouve plusieurs échos dans la culture contemporaine. Sans parler des nombreux jeux vidéo qui reposent sur une certaine idée du Moyen Âge, l’importance du «médiévalisme» (ainsi qu’on désigne aujourd’hui la persistance de l’héritage médiéval dans la culture de ce début de millénaire) se reflète aussi bien dans un des grands succès télévisuels de l’heure, Game of Thrones (produit par HBO depuis 2011), que dans les premières places du box-office mondial, où brille The Lord of the Rings: The Return of the King de Peter Jackson (Nouvelle-Zélande, 2003) avec ses recettes dépassant le milliard de dollars, grâce à l’adap­­tation cinématographique d’un roman lui-même vendu à plus de cent cinquante millions d’exemplaires, ce qui en fait un des principaux best-sellers de tous les temps. L’auteur de cet immense succès de librairie, J. R. R. Tolkien, était par ailleurs médiéviste, professeur de vieil anglais à l’Université d’Oxford. Plus près de nous, le seul livre paru depuis l’an 2000 vendu à plus de quatre-vingts millions de copies, le Da Vinci Code de Dan Brown, capitalise encore sur l’imaginaire médiéval, puisqu’il s’agit d’une reprise pour le moins sujette à caution de la légende du Graal. Dès lors, bien qu’il s’attache à (re)créer une époque lointaine, le médiéviste se trouve souvent parfaitement (et quelquefois malgré lui) au diapason des engouements de ses contemporains.
Avant de s’interroger sur la place du médiéviste dans le monde actuel, ce petit livre reviendra sur la construction du Moyen Âge, comme invention historiographique, à travers quelques-unes des figures et des méthodes qui ont fait de cet intérêt pour le passé autre chose qu’une passion d’amateurs éclairés. Au cœur de cette exploration de ce que pourrait être un médiéviste, je souhaite aussi aborder quelques-uns des thèmes et des enjeux qui sont à l’origine de mon propre intérêt pour cette période et qui, plus généralement, sont significatifs dans le développement de ce qu’on a appelé pendant un certain temps les «sciences médiévales» (de 1942 à 1998, l’Université de Montréal a conféré des grades en «sciences médiévales», sous l’égide de l’Institut puis du Centre d’études médiévales; depuis, le terme «études médiévales» l’a remplacé). Sans être gothique ni mystique, on peut tout à fait se dire médiéviste et continuer à jouer de ce savoir comme on a pu le faire, pour certains d’entre nous, avec des châteaux et des chevaliers de plastique. Le poids du suffixe - iste , lourd de prétentions scientifiques, nous invite simplement à un peu de sérieux dans le jeu. Mais chacun sait qu’il n’y a rien de plus sérieux qu’un enfant q

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