Ateliers
269 pages
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Description

« Toute vie est un atelier, la mienne entre autres. Depuis plus de soixante ans, j’écris pour le cinéma et le théâtre. À chaque pas, j’ai rencontré des difficultés, de toute nature, et même des obstacles qui paraissaient parfois insurmontables. J’essaie de raconter ici, sous une forme simple, comment je les ai, ou ne les ai pas, résolus. J’y parle de mes problèmes personnels d’écriture – qui furent nombreux – et aussi des ateliers que j’ai dirigés – une centaine – un peu partout dans le monde, de Los Angeles à Pékin, de Téhéran à Jérusalem. Il ne s’agit pas de théorie, mais de pratique. Les échecs y côtoient les succès. Luis Buñuel, Peter Brook, Pierre Étaix, Louis Malle, Milos Forman, Jean-Luc Godard, Nagisa Oshima, Jacques Deray, Volker Schlöndorff, Jean-Paul Rappeneau, et jusqu’au jeune Louis Garrel, y sont, parmi d’autres, mes compagnons d’aventure. Et j’espère qu’on peut y sentir combien il est difficile, mais passionnant, pour un auteur d’aujourd’hui, de faire jouer ensemble non seulement le réel et l’imaginaire, le lointain et le proche, mais aussi l’historique et l’invraisemblable, surtout quand celui-ci est vrai. » J.-C. C. Scénariste, dramaturge, écrivain, Jean-Claude Carrière est l’auteur de grands succès comme Einstein, s’il vous plaît, Fragilité, Tous en scène, Croyance et, plus récemment, La Paix et La Vallée du Néant. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 octobre 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738149299
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , OCTOBRE  2019 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4929-9
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Notes concrètes et pratiques,

Souvent en désordre, sur plus de soixante-cinq années de travail

Il s’agit simplement de rappeler quelques-unes des difficultés que j’ai rencontrées – aussi bien dans mon travail pour le cinéma et la télévision que pour le théâtre – et de dire comment j’ai pu, ou n’ai pas pu, les surmonter. Il m’est arrivé, également, d’affronter ces mêmes écueils au cours d’ateliers, que j’ai dirigés un peu partout dans le monde (près d’une centaine), pendant plus de quarante-cinq ans. Naturellement, je ne peux pas me souvenir de tout, bien que j’aie pris, ici et là, des notes. Mais j’ai fait de mon mieux, en sachant, depuis longtemps, que les choses du passé n’ont jamais été telles que notre mémoire nous les rapporte.
La mémoire est un exercice du temps présent. On oublie souvent de le rappeler.
Combien de pages comptera ce livre ? Je ne peux pas le savoir encore. Je ne sais même pas si j’en verrai la fin, s’il paraîtra un jour. Comme tout livre, il n’est qu’un moment.
Les difficultés, dans notre travail (écrire pour les arts de représentation, c’est-à-dire en sachant que ce que nous « écrivons » va, nécessairement, se transformer, disparaître et réapparaître – sous une autre forme –, et que nous ne sommes qu’un moment, qu’une étape dans ce processus), sont tenaces, elles reviennent à la charge, et elles montrent fréquemment des points communs – le plus souvent par rapport à la réalité, ou, pour mieux dire, à la véracité, à la crédibilité, à ce qu’on appelait naguère (et jadis) l’« intérêt dramatique » – même si les solutions que nous tentons d’y apporter sont diverses, et quelquefois surprenantes.
Ces solutions, quand elles se présentent – ce qui est loin d’être toujours le cas – semblent tenir à la fois de l’observation, de l’expérience et d’une imagination constamment sollicitée. Il arrive que ces trois passages obligés se confondent, et même qu’ils ne répondent à aucune définition durable. Qu’est-ce que l’observation ? Qu’est-ce que l’expérience ?
Et comment l’imagination se faufile-t-elle dans le travail ? Par quel biais ? Par quelles ruses, par quelle entrée secrète ? Personne n’a jamais pu la prendre sur le fait. Son irruption demeure souhaitable, mais inattendue. Nous ne savons jamais d’où elle surgit. Nous sommes souvent surpris, désarçonnés et scandalisés par nous-mêmes. Parmi les prouesses de l’intelligence artificielle, il reste une part troublante d’imprévisibilité, qui est, semble-t-il, notre apanage.
Une certaine imprécision, un vague, que certains appellent volontiers le « mystère de la création » (expression emphatique, assurément ridicule, que je me garde d’utiliser en ce qui me concerne), nous enveloppent souvent, comme une brume.
Nous ne savons alors comment nous diriger, ni comment sortir de l’indistinct. Quelques éléments, quelques détails parfois, nous guident, et nous n’aimerions pas les perdre – sinon, que nous restera-t-il ? Nous cherchons une issue, nous pensons à tâtons. Et si ceci ? Et si cela ? Et quoi encore ? Si nous nous laissons aller à la rêverie, cela risque de durer longtemps, sans le moindre résultat – ou de nous emmener tout à fait ailleurs, très loin de ce que nous voulions dire, ou montrer.
Notre intention était de faire rire, le résultat se montre larmoyant, pitoyable. Tout est à jeter.
En plus, nous perdrons en route les quelques repères que nous pensions tenir.
Et nous ne pourrons jamais les retrouver.
Si nous voulons forcer les choses et imposer un choix à tout prix, dans un délai d’écriture qui nous est souvent prescrit (par contrat), nous risquons de tomber dans le capricieux, dans l’arbitraire – ce que nous appelons le « n’importe quoi » – qui peut se révéler, et c’est très fréquemment le cas, inacceptable pour les autres.
Il est vrai aussi, si nous nous en remettons à notre « expérience », qui s’accumule au cours des années (sans nous apprendre grand-chose), que nous prenons des risques, lesquels sont inévitables ; car les nations s’agitent, et les temps changent, comme les habitudes et les sentiments profonds d’un peuple, car nous-mêmes nous avons changé (et nous changerons encore, et nos enfants aussi), car le public auquel nous nous adressons cette fois n’est plus le même que l’année, que la semaine précédente, qu’il a vécu, qu’il a ri et souffert avec le reste du monde (que nous pensions tenir pour un moment dans notre main), qu’il a vu – ici et ailleurs – d’autres films, d’autres pièces de théâtre, et que ce que nous appelons, non sans maladresse, l’« inconscient collectif » (duquel nous dépendons tous, même si nous ne savons pas exactement ce qui se cache derrière ces deux mots) s’est modifié – et cela sans s’en rendre compte, puisqu’il est inconscient.
En fait, rien n’est plus dangereux que de se référer sans cesse à son expérience. Car ce que nous avons fait, et réussi, une fois (avec une part de chance, évidemment), échouera si nous tentons de le répéter – tout simplement parce que le monde aura changé – et nous avec. Le vu est souvent déjà vu. L’idéal serait d’oublier ce que nous avons fait, de n’en garder aucun souvenir, et de refaire la même chose. Dans ce cas, elle ne serait en aucune façon la même. Nous aurions du mal à la reconnaître.
J’ai toujours beaucoup aimé – je la dis au passage, par crainte de l’oublier – cette phrase de Colette : « Il faut se servir des mots de tout le monde et écrire comme personne. »
*
En réalité, tout est atelier. Qu’il s’agisse d’un scénario, d’une pièce de théâtre, ou même d’un roman, tout est d’abord un essai, une tentative. Autrement dit, un travail. Une recherche, si on préfère, une exploration (dirait Peter Brook), comme si tout ce qui nous entoure restait sourdement inconnu. Aucun auteur ne sait très bien où il va. S’il le savait avec précision, il se priverait par avance de toute rencontre possible avec les idées de grand chemin, de tout étonnement, de toute embuscade, de tout renversement inattendu des choses.
Il faut bien sûr un point de départ, une image même vague de ce que nous allons tenter de mettre en forme, mais chaque phrase, chaque moment, chaque scène va se présenter comme un carrefour.
Chaque fois, il faudra choisir, et pour choisir il faudra essayer, prendre tel chemin, ou tel sentier, voir où il nous conduit, revenir en arrière, emprunter une autre voie, et ainsi de suite.
Si nous attendons demain pour choisir, notre décision portera les traces de ces vingt-quatre heures qui viennent de passer. Nous nous poserons les mêmes questions qu’aujourd’hui, plus aiguës peut-être. Le choix d’hier n’était-il pas meilleur ? Devons-nous attendre un jour de plus ? Ou deux ?
C’est là que commence et que se poursuit l’atelier. D’un essai, d’une tentative à l’autre.
La seule vraie question est : À quel moment peut-on dire que cet atelier est terminé ? Qu’une phrase, qu’une image est parfaitement à sa place, juste et inattendue, qu’une scène est, au moins pour le moment, satisfaisante ? Que par exemple, dans le cas d’un scénario achevé, nous pouvons passer à l’étape suivante ?
Questions auxquelles il ne faut répondre ni trop vite ni trop lentement.
Ni trop tôt ni trop tard.
Mais il faut quand même y répondre.
Entre nous, il nous arrive de parler d’artisanat – mais ce mot nous parvient avec des résonances d’autrefois (des bruits de pinces et de rabots), alors que nous sommes, sinon « modernes » (qui oserait ?), au moins contemporains, et que nous devons, surtout en matière de cinéma et de télévision, connaître le plus précisément possible les techniques les plus récentes, et même l’évolution générale de ce qui s’appelle un « scénario ». Car on n’écrit plus aujourd’hui, dans ce cas précis, comme il y a trente ans, comme il y a dix ans.
Notre rapport à l’image, au son, notre contact avec un public éventuel – que nous ne pouvons qu’imaginer au moment même de l’écriture, et qui chaque année devient plus jeune, quoi que nous fassions – évoluent malgré nous, par instants même, peut-être, grâce à nous.
Depuis la prolifération des fake news, qui nous arrivent de tous côtés, l’idée même de vraisemblance est remise en doute. Qu’est-ce qui sonne faux ? Qu’est-ce qui sonne juste ? La réponse peut varier d’un jour à l’autre. Par définition, toute histoire que nous racontons, et que nous pensons avoir inventée, est fake.
Qu’est-ce qui la rend vraie ?
Le public, en tout cas, ne doit se sentir ni en avance ni en retard. Dans le meilleur des cas, nous nageons dans le même fleuve, et au même rythme (en essayant de garder une légère avance). C’est pourquoi la référence respectueuse aux œuvres classiques, si elle est au départ indispensable, est escortée d’autres dangers, et nous courons parfois le risque d’écrire pour un public du XVII e  siècle, qui n’est plus là pour nous accompagner.
Situation quelquefois très complexe, et délicate, lorsque, par exemple, nous entreprenons, avec Jean-Paul Rappeneau, d’adapter au cinéma Cyrano de Bergerac , œuvre théâtrale (ô combien !) se situant au XVII e  siècle, jouée à Paris en 1897 et mise en scène (si nous pouvons utiliser ce mot, qui n’existait pas, bloquée dans cinq décors fixes, écrite en alexandrins réguliers, même s’ils paraissent

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