Déménagements

Alain Bouthier

Description

Henriette doit déménager. Son âge avancé lui impose de quitter le logement dans lequel elle a vécu la majeure partie de sa vie pour choisir un rez-de-chaussée. Son fils, sa belle fille et ses petits enfants s’emploient à vider l’appartement, la cave… Mais les fonds de tiroirs réveillent des souvenirs chez Henriette : peut-être l’occasion enfin pour elle de se décharger d’un secret …

Informations

• Publié par: Les Éditions du Net
• Date de parution: 23 janvier 2014
• Nombre de lectures: 0
• EAN13: 9782312027180
• Langue: Français

Extrait

Déménagements

Alain Bouthier
Déménagements
Théâtre







LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2014 ISBN : 978-2-312-02718-0
Déménagements
P ERSONNAGES :
Henriette Octogénaire
Éric Fils d’Henriette
Sylvie Belle fille d’Henriette
Elsa Fille aînée d’Éric et Sylvie (Étudiante)
Charles Fils d’Éric et Sylvie
Célia Fille d’Éric et Sylvie (Bientôt 18 ans)

Scène 1
H ENRIETTE
De dos en fauteuil roulant
Il faudrait penser à écrire sur chaque paquet ce qu’il contient…
Silence
Éric ? … Éric ? … Il n’entend rien ! Et en plus, il trouve que je deviens sourde !
Plus fort
Éric ? … Sylvie ? …
Sylvie entre
S YLVIE
Oui maman ? …
H ENRIETTE
Ah ! Sylvie, tu m’entends, toi ! Excuse-moi, mais vois-tu, je regardais ces cartons…
S YLVIE
Maternante
Oui Maman…
H ENRIETTE
Légèrement agacée
Je crois que ça serait bien d’écrire sur chaque carton ce qu’on peut trouver à l’intérieur, ce qu’il contient… !
S YLVIE
Sur les cartons ?
H ENRIETTE
Oui, sur les cartons. Où veux-tu l’écrire ?
S YLVIE
Mais c’est ce que nous avons fait sur tous les cartons qui vont vous suivre au 15. Ceux-là, ce sont ceux que je vais mettre au grenier. C’est là qu’on les gardera, alors ce n’est pas la peine de …
Elle regarde sa belle mère et se reprend
Remarquez, maman, ce n’est pas difficile d’écrire également dessus… Vous avez raison ! Je le ferai avant de les ranger, c’est promis. Excusez-moi, il faut que j’aille aider Elsa et Charles, ils démontent la grande armoire de votre chambre. Comme Éric est descendu à la cave, je préfère quand même superviser le travail des jeunes.
H ENRIETTE
Pensive , Éric est à la cave ! à Sylvie , Les jeunes, ce ne sont plus des enfants, mais tu as sans doute raison : supervise…
Sylvie sort, Henriette fait pivoter son fauteuil, elle est face au public.
Oui, elle va enterrer mes affaires dans son grenier. Et moi aussi, un jour… mais pas dans son grenier ! Et bien justement, quand on enterre, il faut toujours écrire le nom dessus ! il n’y a pas de flamme pour le carton inconnu !! Je ne demande pas grand-chose, tout de même.
Célia entre, de l’arrière
C ÉLIA
Mamie ? …
H ENRIETTE
Elle sourit
Ah, c’est toi Célia. Alors en fin de compte tu fais partie de l’équipe de déménagement ? Je croyais que tu avais une fête, ce Week End, une boum! Elle rit C’est comme ça que ton père disait?
Elles rient toutes les deux.
C ÉLIA
On ne dit plus trop ça, tu sais! Un temps C’était Alex, un copain, il veut fêter ses 18 ans…
H ENRIETTE
Ça se fête, 18 ans !
C ÉLIA
Tu parles, ça fait trois mois qu’il les a eus, ses 18 ans ! C’est juste un motif pour s’éclater.
H ENRIETTE
Et bien moi, ça fait bien plus que ça que je les ai eus, et je serais d’accord pour les fêter quand on veut. Mais sans m’éclater complètement, faut que je sois raisonnable, à mon âge !
C ÉLIA
Il a invité des copines à lui, qu’on ne connaît pas, c’est des connes finies.
H ENRIETTE
Comment le sais-tu, puisque tu ne les connais pas ?
C ÉLIA
J’ai mes informations, avec elles à toutes les fêtes, il y a toujours un lézard à la fin.
H ENRIETTE
Ah, alors si tu as tes informateurs, je ne dis rien.
Silence
Je ne te savais pas aussi courageuse, tu sais, ils ne se laissent pas faire les meubles. Ils résistent, faut dire que ça fait près de 40 ans qu’ils n’ont pas bougé !
C ÉLIA
Non, je laisse mon frère et ma sœur faire, c’est juste pour rester avec toi !
Tu sais, ça m’fout les boules tout ça.
H ENRIETTE
Ah ?
C ÉLIA
Je suis sûre, il n’y a pas que les meubles, hein ? qui voudraient résister.
H ENRIETTE
Peut-être, mais vois-tu, pour résister, il faut un adversaire. Et le mien, c’est le temps, l’âge, mon corps qui ne suit pas. Je n’ai pas trouvé vraiment le moyen d’y résister.
Alors, une part de moi a décidé un jour d’être raisonnable. Et aujourd’hui, j’ai décidé de ne pas me fâcher avec celle, en moi, qui a été raisonnable.
C ÉLIA
J’ai bien regardé en passant où tu vas emménager, au 15. D’habitude je passe devant sans faire attention. Les volets étaient ouverts. C’est sûr, d’une certaine façon c’est mieux que tu sois au rez-de-chaussée. Mais ça a l’air plus petit ?
H ENRIETTE
Oui… C’est pour ça qu’il y a des cartons qui vont aller dans votre grenier. Il paraît que ce qu’ils contiennent n’est pas indispensable.
C ÉLIA
Et qu’est-ce qu’ils contiennent ?
H ENRIETTE
En fait je ne sais pas trop. C’est pour ça que j’ai demandé à ta mère d’écrire ce que c’est dessus. Ça leur fera une sorte d’épitaphe !
C ÉLIA
Ils auraient pu te demander !
H ENRIETTE
Écoute, ils ne peuvent pas tout me demander, et moi je ne peux pratiquement pas bouger d’ici ! … Mais ton père a trouvé qu’il y a de « vieux trucs », comme il dit ; qu’il me montrera pour que je dise ce que j’emmènerai là-bas.
C ÉLIA
Là-bas, c’est à 100 mètres dans la rue, Mamie.
H ENRIETTE
Ce n’est pas un problème de distance, ma petite Célia.
Silence
Célia ?
C ÉLIA
Oui.
H ENRIETTE
Je voudrais te demander ? Tu sais, j’aime beaucoup Sylvie. J’ai d’ailleurs tout de suite bien aimé ta mère. Au fond, je suis heureuse que mon fils l’ait rencontrée, même si ça ne me regarde pas tant que ça. Et puis c’est un peu grâce à elle que tu es là, hein ?
C ÉLIA
en riant.
Un peu ? … C’est ma mère, ça fait plus qu’un peu tout de même.
H ENRIETTE
Oui, tu as raison.
Silence
Je voudrais te demander, toi qui sais glisser les mots qu’il faut… Tu sais, je ressens toujours un petit agacement quand elle m’appelle « maman ». Elle croit sans doute me manifester son affection de cette façon, j’en suis sûre. Mais je ne suis pas sa mère, et ça ne m’empêche pas de beaucoup l’aimer, j’ai l’impression d’être une usurpatrice !
Elle considère sa petite fille apparemment contrariée
Excuse-moi de te dire ça, je n’aurais pas dû ! Laisse tomber, oublie ce que je t’ai dit. Ne lui dis rien. C’est stupide, ça fera des histoires.
C ÉLIA
Remarque, je te comprends, Mamie.