Inter. No. 121, Automne 2015 : Pauvreté, dépouillement, dénuement
116 pages
Français
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Description

Il s’agit, dans ce dossier, d’examiner les pratiques de dépouillement et de simplicité volontaire : comment peut-on assumer la pauvreté, comment la création est-elle perçue comme dénuement? Il s’agit de vivre et de créer avec peu, mais aussi de mettre en commun nos ressources, outils, technologies. L’artiste peut travailler par choix avec un matériel désuet, low-tech, recyclé, bon marché. Tout le monde peut réaliser son œuvre, il est remplaçable, « disposable ». Il peut aussi travailler pour donner une voix aux exilés, aux réfugiés ; explorer la condition des personnes sans statut politique, sans droits civiques, sans représentation historique. Qu’est-ce que la « vie nue » (Agamben) dans une société des technologies et de la consommation?

  • 2. Sept propositions dépouillées Michaël La Chance

  • 4. Faire avec peu Thierry Davila

  • 6. Performatif du désoeuvrement. Pour une esthétique du dénuement, de la vie nue Mélissa Correia

  • 11. Ma Intervalle (actions Infiltrantes) Martine Viale

  • 12. De la ligne à en ligne. Le dessin comme zone créatrice intemporelle non dénuée de desseins Guy Sioui Durand

  • 17. Faire du neuf avec de l’usé. Le dénuement dans le travail des artistes de la Grand-rue de Port-au-Prince Jean Louis

  • 21. Urgences métaphysiques. Gestes et troubles des corps exacerbés de deux artistes de l’Amérique latine : Regina José Galindo et Rosemberg Sandoval Mildred Durán Gamba

  • 25. ubo-hobo Joël Hubaut

  • 26. Achetez un sans-abri québécois Alain-Martin Richard

  • 28. Portraits poétiques Virginie Marchand

  • 31. Les performances d’Alberto Kurapel. Sublimation de l’exil et du dépouillement Susana Cáceres

  • 34. « Ne vois-tu pas que je brûle ? » Les dépouilles de feu Michaël La Chance

  • 38. Le dépouillement comme métaphore artistique. Le Tout dans l’Un Charles Dreyfus

  • 42. La musique silencieuse Tom Johnson

  • 48. Le Musée de l’Invisible et du presque rien Pascal Pique

  • 51. Vers un art de la décroissance Ariane Daoust

  • 52. Poésie de béton. Repères de Karoline Georges Jonathan Lamy

  • 54. LE TAS INVISIBLE

  • 56. L’affiche au service des sans-logements. La maison de la rue Morin à Gatineau Valérie Yobé

  • 59. LESS IS MORE OR… Aude Moreau

  • 60. Renouer avec la matière. Investir les marges Lauranne Faubert-Guay

  • 62. Le Bazar des bas-arts. Déambulation sur la pauvreté en HD André Marceau

  • 65. Gnome-gnomon Éric Madeleine

  • 66. White Squares. Mettre l’espace en boîte (ou mettre la boîte en espace) Gauthier Lesturgie

  • 70. Au sujet des gueux et de la pauvreté Pierre Demers

  • 72. De la valeur de l’existant. Pour un urbanisme minimal au contact du vivant Gilles Clément, Miguel Georgieff Coloco

  • 74. Jugaad Chandigarh Thierry Mandoul

  • 76. Le paradis Boris Nieslony

  • 79. L’argent rend pauvre Jean-Pierre Ostende


  • Topos

  • 80. Don Darby face à la matière Hélène Matte

  • 84. Le langage est le vêtement de l’homme… [Benjamin Kamino] Richard Lefebvre

  • 86. Altérité. Mais dans quelle dimension te caches-tu ? [Mois Multi 16] Alain-Martin Richard

  • 90. LEGS Christian Bujold

  • 92. La simplicité comme mode d’action [collectif Le Banc] Julien Tremblay

  • 94. Déplacement (s) Lorraine Beaulieu

  • 96. Une biennale de bonnes intentions [Biennale de Venise 2015] Mildred Durán Gamba

  • 102. Pour la persistance de la mémoire [Jean-Pierre Raynaud] Sabrina Clitandre

  •  

  • 105. Reçu au lieu

Informations

Publié par
Date de parution 29 octobre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782924298183
Langue Français
Poids de l'ouvrage 11 Mo

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Extrait

121
P A U V R E T É D É P O U I L L E M E N T D É N U E M E N T
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PAUVRETÉ, DÉPOUILLEMENT, DÉNUEMENT Sept propositions dépouillées MïCHAË A CHANCE Faire avec peu THïERRY DAVïA Performatif du désœuvrement. Pour une esthétique du dénuement, de la vie nue MÉïSSA CORREïA Ma Intervalle (actions Infiltrantes) MARTïNE VïAE De la ligne à en ligne. Le dessin comme zone créatrice intemporelle non dénuée de desseins GUY SïOUï DURAND Faire du neuf avec de l’usé. Le dénuement dans le travail des artistes de la Grand-rue de Port-au-Prince JEAN SERGO OUïS Urgences métaphysiques. Gestes et troubles des corps exacerbés de deux artistes de l’Amérique latine : Regina José Galindo et Rosemberg Sandoval MïDRED DURÁN GAMBA UBOHOBO JOË HUBAUT Achetez un sans-abri québécois AAïN-MARTïN RïCHARD Portraits poétiques VïRGïNïE MARCHAND Les performances d’Alberto Kurapel. Sublimation de l’exil et du dépouillement SUSANA CÁCERES « Ne vois-tu pas que je brûle ? » Les dépouilles de feu MïCHAË A CHANCE
Le dépouillement comme métaphore artistique. Le Tout dans l’Un CHARES DREYFUS La musique silencieuse TOM JOHNSON
48 51 52
54 56
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Le Musée de l’Invisible et du presque rien PASCA PïQUE Vers un art de la décroissance ARïANE DAOUST Poésie de béton. Repèresde Karoline Georges JONATHAN AMY LE TAS INVISIBLE L’affiche au service des sans-logements. La maison de la rue Morin à Gatineau VAÉRïE YOBÉ LESS IS MORE OR… AUDE MOREAU Renouer avec la matière. Investir les marges AURANNE FAUBERT-GUAY Le Bazar des bas-arts. Déambulation sur la pauvreté en HD ANDRÉ MARCEAU Gnome-gnomon ÉRïC MADEEïNE White Squares. Mettre l’espace en boîte (ou mettre la boîte en espace) GAUTHïER ESTURGïE EN DïSCUSSïON AVEC VïCTOR REMERE Au sujet des gueux et de la pauvreté PïERRE DEMERS De la valeur de l’existant. Pour un urbanisme minimal au contact du vivant GïES CÉMENT ET MïGUE GEORGïEFF (COOCO) Jugaad Chandigarh THïERRY MANDOU Le paradis BORïS NïESONY L’argent rend pauvre JEAN-PïERRE OSTENDE
PRIX D’EXCELLENCE 0 DE LA SODEP Féîcîtatîons à Mîchaë a Chance membre de notre comîté de rédactîon, auréat du Prix Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique,pour son artîce « Exposîtîon détournée, œuvres pîratées, artîste readymade » paru dansInter, art actueo n 117 prîntemps 2014.
Photo : Karoîne Georges.
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TOPOS Don Darby ace à la matière HÉÈNE MATTE
Le langage est le vêtement de l’homme… [Benjamin Kamino] RïCHARD EFEBVRE
Altérité. Mais dans quelle dimension te caches-tu ? [Mois Multi 6] AAïN-MARTïN RïCHARD
LEGS CHRïSTïAN BUJOD
La simplicité comme mode d’action [collecti Le Banc] JUïEN ST-GEORGES TREMBAY
Déplacement (s) ORRAïNE BEAUïEU
Une biennale de bonnes intentions [Biennale de Venise 0] MïDRED DURÁN GAMBA
Pour la persistance de la mémoire [Jean-Pierre Raynaud] SABRïNA CïTANDRE
REÇU AU LIEU
Accueîîr a vîe nue ace à ’extrême quî vîent1BVM $IBNCFSMBOE t Perormance Art Monîka GüntherRuedî SchîMonograietWar Room-ÏB -F #SJDPNUF tPanî, Perormance Art Northern Ireand + Québec & Hesînkî ExchangestMétaspora. Essaî sur es patrîes întîmesJoë %FT 3PTJFST tNe soîs pas efrayé par e poen dans ’œî des iesTweets de @pîerrepaupeau JeanYves Fréchette et @BacksmîthPat Patrîck StHîaîre
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>Karen Eaîne Spencer,bread-bed, Montréa, 2003. Photo : Guy Sîouî Durand.
PAUVRETÉ, DÉPOUILLEMENT, DÉNUEMENT Sept propositions dépouillées
 Contre ’accumuatîon et ’ajout, î y a une créatîon artîstîque quî procède par retraît, efacement, dépouîement. Gîacomettî travaî aît ses statuettes jusqu’à eur dîsparîtîon – a égende voudraît qu’ees soîent es pus réussîes. On dît d’une œuvre dépouîée qu’ee est réduîte à ’essentîe, qu’ee n’a rîen en trop. e dépouîement constîtue une posture esthétîque, un partî prîs pour a sobrîété et a sîmpîcîté, quî dégarnît, éague, se débarrasse, préère e peu, e pas grandchose. Estce encore une œuvre ? Méîssa Correîa nous propose une rélexîon sur ce travaî à a îmîte quî reève d’un « perormatî du désœuvrement ». Thîerry Davîa nous présente une rélexîon sur ’art pauvre de a marche : petîte dîstance, maîs grand tour d’horîzon.
 Cette démarche du dépouîe ment se révèe une anaogîe de a dîsposîtîon mentae du créateur quand ceuîcî se met à nu, entre dans une ébrîîté constante quî compîque es rapports socîaux. En aît, e créateur retrouve une humîîté de a pensée que nous devrîons tous partager : nous ne pouvons pas rendre compte du monde, pour nous et pour es autres, aujourd’huî et demaîn ; nous ne pouvons pas airmer « je suîs » avec autant d’assurance. Aînsî, Guy Sîouî Durand nous pare de tranches de paîn et de graînes pour oîseaux à propos d’artîstes, autochtones pour a pupart, chez esques î reconnat des Igures de a prîvatîon.
 ï y a une créatîon quî ne craînt pas ’accumuatîon, maîs î s’agît aors d’empîer des matérîaux pauvres, des technoogîes basses, e recycé et echeap, etrashet e baroque de ruee. ’artîste peut travaîer par choîx avec un maté rîe désuet,ow technoogy, recycé, bon marché. ï s’agît de aîre du neu avec du vîeux, comme e rappee Chares Dreyus. ï s’agît égaement de vîvre et de créer avec peu, de mettre en commun nos ressources, outîs, techno ogîes. ï s’agît aussî de ’« objet déchet » dont nous pare Jean Sergo ouîs. ï s’agît même de ’absence d’objet, comme Tom Johnson ’expîque à partîr de a « musîque sîencîeuse ».
 Parer de pauvreté, c’est înévî tabement parer d’une condîtîon économîque que nous n’avons pas choîsîe : împécunîosîté. Cette condîtîon du créateur, quoîque dîicîe, est paroîs choîsîe et assumée : ascétîsme écoogîque, antîconsumérîsme de mîîtant quî rappee es vœux de pauvreté des moînes et des reîgîeuses. On pense à Pasoînî quî s’écrîaît : « J’aî a nostagîe des gens pauvres et vraîs […] . » a danseuse et cînéaste Vîrgînîe Marchand s’attache à suîvre entre autres es sadhus de ’ïnde et un jeune héro nomane avec ’équîpement de prîse de vue e pus éger. Pour certaîns, e dépouîement n’est pas un choîx, maîs une condîtîon avec aquee î aut se débrouîer. On compose aors dans a prîva tîon, on œuvre avec e manque, pour accéder à une autre rîchesse. ’art devîent un état d’esprît, es œuvres sont des îeux de recueî ement, comme on e découvre avec es înterventîons de Karoîne Georges.
Jonathan amy aît remarquer que « [s]î ’art donne e pous du monde, es artîstes en sont peut être, voontaîrement ou non, es poux ». Remarque très juste : a cuture dans aquee nous sommes îmmergés reste învî sîbe ; ’art rend vîsîbe a cuture quî surdétermîne nos goûts et notre açon de penser. Aors, nous pouvons nous soustraîre à son înluence, nous afranchîr des préjugés et de toute précon ceptîon. Autrement, nos rélexes cutures sont comme es poux quî n’ont pas été aperçus, ce que Héracîte avaît remarqué : nous es tranons partout avec nous, car îs restentdansnotre tête : « es hommes sont trompés dans a connaîssance des choses vîsîbes, à peu près comme Homère quî ut pus sage que tous es Grecs ; car c’est uî que trompèrent des enants quî tuaîent des poux, en uî dîsant : “Tout ce que nous avons vu et saîsî, cea, nous e aîssons ; tout ce que nous n’avons nî vu nî prîs, cea, nous ’emportons” . »
5 ï y a une pauvreté quî est en utte contre a rîchesse. Nous vouons réévauer e projet de ’Arte povera, dans es arts et e théâtre, contre a capîtaîsatîon des œuvres, contre ’approprîa tîon de a cuture par e commer cîa et e poîtîque. Qu’en estî aujourd’huî de ’artîste quî veut travaîer sous e radar des cîrcuîts de a vaorîsatîon cuturee ? es pratîques du moîndre nous permettent d’échapper à a suren chère des produîts et des servîces. e théâtre de a vunérabîîté d’A berto Kurape, a angue résîdu, es médîas récupérés, es boîs brûés et a compaînte de ’exî îustrent bîen cette posture.
6 Pardeà a condîtîon de ’artîste, î y a a réaîté des mîîons de réu gîés, de sansabrîs, de dépacés et de démunîs, en raîson de guerres ou de réchaufement cîmatîque. ’art s’empoîe aors à donner une voîx aux exîés, aux réugîés, aux « subaternes », à exporer a condî tîon des personnes sans statut poîtîque, sans droîts cîvîques, sans représentatîon hîstorîque. a Igure du dépouîement s’est substîtuée à cee de ’aîénatîon. Qu’estce que a « vîe nue » dont témoîgne ’ouvrage de Pau Cham berand ? es artîstes s’îdentîIent aux sanspapîers, aux déportés, aux « sauvages », aux excus, aux îtînérants. Aînsî, AaînMartîn Rîchard a su mettre en vente des sansabrîs québécoîs sur une pace pubîque de Beîjîng. Pus près de nous, nous examînons ’ai chage sur a rue Morîn, à Gatîneau, pour dénoncer a sîtuatîon des sansogîs.
 Fondamentaement, nous sommes dépouîés du monde, a terre se retîre sous nos pîeds avec e rétrécîssement de ’envî ronnement, ’appauvrîssement des ressources. e spectace de a consommatîon est dîssîpé, nous retrouvons nos besoîns essentîes d’autant pus nus qu’îs ne sont pas combés. e dénuement e pus grand est ceuî de a In, pourtant es « dépouîes de eu » tentent encore de se aîre entendre. W
MICHAËL LA CHANCE
Notes 1 Pier Paolo Pasolini, cité dans Furio Colombo et Gian Carlo Ferretti,L’ultima intervista di Pasolini, H. Frap-pat (trad.), Allia, 2010, p. 15. 2 Héraclite,Fragments, M. Conche (trad. et comm.), PUF, 1991, frag. 28 (frag. 56 chez Diels-Kranz)
INTERART ACTUEL121
P A U V R E T É , D É P O U I L L E M E N T , D É N U E M E N T
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FAIRE AVEC PEU
THIERRY DAVILA X
« Cette très ancîenne manîère de se dépacer sur ses jambes devraît être un paîsîr sînguîèrement pur, dépourvu de toute Inaîté, à notre époque où î exîste tant de moyens de transport ayant une onctîon précîse. Pour aer queque part, vous utîîsez es vocans à essence – automobîes personnees ou transports pubîcs – et d’autres véhî cues encore. Pour votre santé, vous pouvez pratîquer ce qu’on appee ejoggîng, cet exercîce ort enthousîasmant où ’on est sî occupé à aîre des mouvements corrects et à matrîser son souLe qu’î est împossîbe de regarder nonchaamment à droîte et à gauche. Se promener n’est nî utîe, nî hygîénîque, c’est, comme a poésîe seon Goethe, uno orgueî. C’est “aer”, maîs, pus que dans n’împorte quee autre manîère d’aer, c’est aussî “se aîsser aer” : on tombe d’un pîed sur ’autre en contrebaançant cette chute à chaque oîs. ï y a dans notre démarche un chanceement d’enant et cet état de suspensîon bîenheureuse que ’on appee équîîbre. Je me permets de recommander a promenade en toute conIance, dans ces “temps dîîcîes”. Ce n’est pas du tout un paîsîr typîque ment capîtaîstebourgeoîs. C’est e trésor des pauvres et presque eur prîvîège . » Aînsî s’exprîme Franz Hesse dans son texte « ’art de se promener » pubîé en ouverture de ’édîtîon rançaîse de sesFânerîes parîsîennesparues en . Amî de Water Benjamîn, Hesse ut pour ce dernîer e modèe même du lâneur, exactement comme Constantîn Guys ut, pour Baudeaîre, e peîntre de a vîe moderne et e lâneur par exce ence. Benjamîn consacrera d’aîeurs un essaî à Hesse, pubîé en 99 et tîtré « e retour du lâneur » , destîné à ’orîgîne à prendre pace dans e Parîs, capîtae du XIXsîèce:e îvre des passages, un exposé pubîé en Aemagne à ’occasîon de a sortîe desPromenades à Berînde son amî. Pour Hesse, a promenade seraît donc un art, maîs un art très sîngu îer. C’est d’abord un art înutîe, sans Inaîté de queque sorte, et même pas hygîénîque. C’est ensuîte un art de ’abandon, duseîn assenpour parer un peu comme Heîdegger, quî réunît ’enant et ’adute dans une démarche – un chaoupement – d’équîîbrîste. C’est enîn ’art du dépouîement, ’art de aîre avec peu, « e trésor des pauvres et presque eur prîvîège », avancetî. Or, même sî ce dernîer voît dans cette pauvreté du marcheur une dîférence de casse – une sîngua rîté încarnée par a casse a pus démunîe quî trouveraît à matîère à se dîstînguer–, on pourraît aussî dîre que cette « économîe » va bîen audeà d’une dîstînctîon socîae et Inancîère : ee sembe en efet strîc tement ontoogîque, car ee est îée à ’être même du dépacement physîque, sî bîen que tous es hommes peuvent Inaement se retrouver dans cet art pauvre, eux quî n’ont que eurs jambes, que eur corps pour arpenter a terre, pour se dresser sur e so et pour sîgnaer eur huma nîté. Art du dépouîement et de a pauvreté, donc, jusqu’à un certaîn poînt art du rîen et dont a proonde înutîîté – une înutîîté ee aussî ontoogîque – s’ajoînte à ’expérîence de a ugacîté – pus oîn dans son texte, Hesse aît du promeneur un « oîsî secret », « un authentîque jouîsseur [quî] garde présent à ’esprît e caractère essentîe et ugîtî de ses actîvîtés înutîes » , une caractérîstîque que Baudeaîre avaît déjà reevée chez e peîntre de a vîe moderne, cet artîste lâneur quî aban donne ses jours à ’exporatîon des cîrconstances, quî vît dans e reatî, quî habîte dans « e nombre, dans ’ondoyant, dans e mouvement, dans e ugîtî et ’înInî » –, a marche seraît aînsî un outî de peu quî nous aît cîrcuer dans e cîrconstancîe. Marcher : un geste pauvre quî ne produît à proprement parer aucun objet et quî joue avec a ugacîté, avec ce quî ne pèse pas, avec des épaîsseurs înImes. ’art de se promener et son économîe n’auront pas aîssé es artîstes îndîférents. On îdentîIe en efet a pauvreté ontoogîque – et éconde – de a marche dans une des premîères sî ce n’est a premîère marche conçue et vécue comme un geste artîstîque à part entîère. e  avrî 9 à troîs heures de ’aprèsmîdî et sous une puîe battante,
des artîstes Dada présents à Parîs notamment André Breton, Trîstan Tzara, Georges RîbemontDessaîgnes, ouîs Aragon, Benjamîn Péret, Arp, Pau Éuard, Phîîppe Soupaut, Théodore Franke organîsèrent a vîsîte pubîque de ’égîse SaîntJuîenePauvre, une actîon quî devaît înaugurer une sérîe d’excursîons urbaînes dans es îeux banas de a 5 vîe. ï s’agîssaît à d’une « opératîon esthétîque conscîente » quî s’în séraît dans e programme de a Grande Saîson Dada prévue d’avrî à juîn cette même année. Dans e communîqué de presse envoyé aux journaux pour sîgnaer ’événement, on pouvaît îre : « Aujourd’huî à 5 h dans e jardîn de ’égîse SaîntJuîenePauvre, rue SaîntJuîenePauvre métro SaîntMîche, Dada înaugurant une sérîe d’Excursîonsdans Parîs învîte gratuîtement ses amîs et adversaîres à vîsîter avec uî es dépendances de ’égîse SaîntJuîenePauvre. ï y a, paratî, encore queque chose 6 à découvrîr dans e jardîn pourtant sî aîmé des tourîstes . » Rîena prîorîde très exatant dans ce programme, rîen de vraîment remarquabe, ce que conIrme e texte du tract dîstrîbué par es organîsateurs sur es îeux mêmes de ’excursîon : « es dadastes de passage à Parîs, vouant remé dîer à ’încompétence de guîdes et de cîcérones suspects, ont décîdé d’entreprendre une sérîe de vîsîtes à des endroîts choîsîs, en partîcuîer à ceux quî n’ont pas de raîson d’exîster […] . » Ce que permet de découvrîr ou de redécouvrîr cette déambuatîon n’a donc rîen de pîttoresque. ï tîent putôt du queconque, et marcher devîent îcî e moyen de s’însérer dans un contînuum de banaîtés. Bîen pus, sî e pubîc învîté à suîvre cette excursîon n’avaît rîen de spectacuaîre à regarder, es artîstes eux mêmes quî en étaîent es înstîgateurs n’avaîent aucune œuvre concrète à proposer aux vîsîteurs anonymes, aucune productîon physîque de ormes, aucune înventîon artîstîque expîcîte à déendre : Breton et Tzara împrovîsèrent des dîscours ; RîbemontDessaîgnes It e guîde, un dîctîonnaîre arousse à a maîn, y préevant au hasard un artîce pour e îre devant tee coonne ou tee scupture de ’égîse ; des cadeaux mîs dans des enveoppes urent dîstrîbués aux passants. Francesco Carerî avance : « Dada n’întervîent pas sur e îeu en aîssant un objet ou en préevant d’autres objets. C’est ’artîste, ou mîeux encore : e groupe d’ar tîstes, quî întervîent sur e îeu à révéer, sans accompîr aucune opératîon matérîee, sans aîsser de traces physîques, sî ce n’est a documenta tîon îée à ’opératîon – es prospectus, es photographîes, es artîces, es récîts –, et sans aucune autre espèce d’éaboratîon. Parmî es photo graphîes quî documentent ’événement, cee quî représente e groupe dans e jardîn de ’égîse est peutêtre ’îmage a pus împortante de toute ’opératîon. On y voît e groupe Dada poser sur un terraîn en rîche. […] e sujet de a photographîe est a présence de ce groupe partîcuîer dans a vîe, conscîent de ’actîon qu’î est en traîn d’accompîr et conscîent 8 de aîre ce qu’î est en traîn de aîre, c’estàdîre :rîen. » D’embée a marche dans sa dîmensîon artîstîque est donc un art du pauvre quî ne produît rîen, ou sî peu ; un mouvement dont e résutat sur pace ne donne accès à aucune productîon de orme vérîta bement tangîbe ; un art sans objet, procédant d’un trajet sans résutat matérîe îmmédîat. Aînsî est a marche : un acte de peu quî produît bîen souvent des efets essentîeement împapabes. Marce Duchamp ne s’y est pas trompé. Dans ses notes sur ’înramînce pubîées après sa mort en 98, î cîte deux exempes de manîestatîons ugaces – aînsî est en efet ’înramînce : un phénomène à a îmîte de ’apparîtîon et de a dîsparîtîon quî ne pèse en aucune manîère sur e monde et sur es choses – îés à ’exîstence du dépacement physîque du sujet. Entre autres, Duchamp quaîIe d’înramînce a açon dont on peut se gîsser dans un espace réduît pour contînuer quand même à cîrcuer : « Portî ons du métro. – es gens quî passent au tout dernîer moment / înra 9 mînce – ». Voîà un exempe de ce que peut a marche : înventer des moments à ’épaîsseur înIme quî résutent de a mobîîté physîque et spatîae d’un corps. Et cette mobîîté, ee peut égaement créer des
rottements, des sonorîtés, quî sont eux aussî à a îmîte des possîbî îtés de a perceptîon : « Pantaons de veours – eur sîLotement dans a marche par rottement des  jambes est une séparatîon înra mînce  sîgnaée par e son ce n’est pas ? un son înra mînce . » Sî a marche est donc un art de peu, une açon pauvre de créer – ou de ne pas créer – des traces, c’est parce qu’ee est ’outî prîvîégîé – et non excusî – de ’înventîon de ’înramînce, ce type de phénomène quî aît de a dîspa rîtîon ’être même de a manîestatîon. ’on pourraît, audeà de ces deux exempes hîstorîques Dada à Parîs, Marce Duchamp, nommer de nombreux autres gestes, artîs tîques ou pas, îés à a marche quî ont du mouvement du corps humaîn dans ’espace et dans e temps promenade, lânerîe, dérîve, excursîon e moyen d’exporer e peu de réaîté, a urtîvîté, a dîsparîtîon, voîre ’învîsîbe comme te. Nous nous contenterons pour ’heure de reever queques exempes de ce type d’exporatîon, présents dans ’art occî denta récent, quî n’épuîsent bîen évîdemment pas cette questîon. En 9, à Forence, en ïtaîe, Maurîzîo Nannuccî a réaîsé une actîon tîtréeStar/scrîvendo cammînandoÉtoîe/écrît en marchant. Comme a désîgnatîon de cette œuvre ’îndîque, î s’agîssaît pour Nannuccî uîmême de marcher à un rythme soutenu dans es rues de Forence seon un pan bîen précîs pour écrîre en marchant, en dépaçant son corps avec ses pîeds, e termestarsur e so de a partîe hîstorîque de a vîe. Aucune trace physîque vîsîbe n’a résuté de cette marche sîencîeuse, aucune înscrîptîon au so n’a efectîvement été réaîsée, e résutat vîsue obtenu, observabea posterîorî, consîstant en des photos en noîr et banc de Nannuccî accompîssant son geste, accompagnées de a descrîptîon écrîte du trajet suîvî. e tître de cette œuvre, quaî  Iée par son înventeur d’« écrîture topographîque » , contredît son efectuatîon : sî ’étoîe est par essence une entîté céeste, a marche de Nannuccî, quî vîse àaîre une étoîe, à ’înscrîre dans a réaîté, est abso ument terrestre ; sî e cîe étoîé nous domîne, surpombe nos têtes, ’étoîe écrîte à Forence est strîctement horîzontae et reste au ras du so, au pus près des pîeds et des pas du marcheur ; sî astarîncarne ’ex posîtîon spectacuaîre absoue, rendue possîbe par es îndustrîes cîné matographîque et communîcatîonnee, Nannuccî a, au ond, tout aît pour rendre e résutat de son geste artîstîque absoument dîscret, c’est àdîre strîctement învîsîbe. Voîà donc une açon d’utîîser a marche, cet art du peu, pour ne produîre aucun résutat physîquement, vîsue ement, dîscernabe, en tout cas îmmédîatement, e protocoe de cette œuvre, ses objectîs et ses conséquences étant, par contre, îdentîIabes et compréhensîbesa posterîorî, orsque e geste a été accompî et que sa documentatîon a été pubîée. Ce processus pastîque pauvre quî n’aboutît à rîen, ou presque, sur e théâtre même de sa manîestatîon ne concerne pas sîmpement, comme es exempes de Maurîzîo Nannuccî et des dadastes parîsîens pourraîent nous e aîsser croîre, des dépacements urbaîns : es prome nades dans a nature, es marches dans es paysages natures peuvent, ees aussî,ne rîen donner, en tout cas dans un premîer temps. C’est e cas d’Hamîsh Futon quî se dépace dans es sîtes montagneux ou bîen dans a campagne. On saît que, depuîs e début des années soîxante dîx, î a érîgé a marche comme moyen pastîque de créatîon, aîsant du dépacement physîque a condîtîonsîne qua nonde ’émergence de ’œuvre. Au cours de chacune de ses excursîons, aucune productîon artîstîque de queque sorte que ce soît n’est réaîsée sur e îeu même où a marche est efectuée : Futon arpente un terrîtoîre pendant un certaîn temps, et ses trajets ne transorment en aucune manîère eur sîte d’ac cueî puîsqu’î n’întervîent jamaîs pour modîIer quoî que ce soît à ’état nature et dîsponîbe du sîte où î agît – à a dîférence de Rîchard ong quî bouge des pîerres pour obtenîr des géométrîes sîmpes, quî aîsse des traces au so avec ses pas pour marquer sa présence et îndîquer son passage, pour airmer e travaî de a marche dans un contexte donné.
Futon n’est en aucune manîère înterventîonnîste. Marcher, c’est, îcî, ne rîen transormer de ’ordre du monde et ne rîen ajouter à ’ordre des choses. ’œuvre quî témoîgne de son dépacement sans objet consîste généraement en une photo en noîr et banc du terrîtoîre traversé ou d’un de ses aspects, au bas de aquee Igure, en guîse de égende, a descrîptîon aussî concîse et cînîque que possîbe du parcours accompî. Par exempe, a pîèceWater:a 14½Day Wakîng Journey o Approxîma-tey 200Mîes, Northern Indîa98 consîste en une photo en noîr et banc du paysage montagneux sîtué en ïnde, vu de oîn, dans eque a marche a eu îeu. Sous cette îmage, un texte dactyographîé est împrîmé en noîr et en rouge. ’artîste égrène es moments cés du parcours, es passages es pus remarquabes gacîers, vaées, leuves quî ont rythmé a progressîon de ’excursîon, sans pour autant constîtuer un texte à part entîère, c’estàdîre un récît composé de ce quî a eu îeu, sî bîen que ’économîe de a marche concerne égaement cee de sa restî tutîon verbae quî n’est absoument pas comparabe à un compte rendu. Sur cette vue, aucune présence humaîne : e marcheur a dîsparu car, comme ’îndîque Futon, marcher, c’est devenîr anonyme, c’est s’împer sonnîIer : « Je ne veux pas que mon travaî soît à propos de moî. » À ’an nuatîon de a productîon de ormes pendant a pérégrînatîon – ’œuvre résute du dépacement maîs n’en est pas contemporaîne – s’ajoînte par conséquent ’annuatîon du sujet – ’œuvre n’émane pas d’une subjec tîvîté airmée, voîre expansîve, maîs putôt d’une économîede ’ego, de son amenuîsement, de son efacement de sa dîsparîtîon ? jusqu’à un certaîn poînt. Aînsî Futon, du poînt de vue de a orme, du poînt de vue du sujet, ournîtî un autre exempe de ce « prîvîège du pauvre » qu’est a marche, un art de peu dont, bîen souvent, es efets ne pèsent en aucune manîère, en tout cas dans un premîer temps, sur e monde et sur es choses, ce quî ne sîgnîIe bîen évîdemment pas qu’îs soîent însîgnîIants ou sans întensîté. W
Notes 1 Franz Hesse, « ’art de se promener »,Fânerîes parîsîennes, M. Renouard trad., Rîvages, 2013, p. 11. 2 Water Benjamîn, « e retour du lâneur »,înFranz Hesse,Promenades dans Berîn, J.M. Beœî trad., S. Hesse av.pr., ’Herne, 2012, p. 27302. 3 F. Hesse, « ’art de se promener »,op.cît., p. 117. 4 Chares Baudeaîre, « e peîntre de a vîe moderne »,Curîosîtés esthétîques:’art romantîque, Garnîer, 1, p. 43.  Francesco Carerî,Wakscapes:a marche comme pratîque esthétîque, J. Orsonî trad., Jacqueîne Chambon, 2013, p. 7.  Communîqué cîté dans Mîche Sanouîet,Dada à Parîs, A. Sanouîet éd. rev., rem. et aug., M. Humbert pré., CNRS, 200, p. 212. 7Ibîd.  F. Carerî,op.cît., p. 4.  Marce Duchamp,Duchamp du sîgnesuîvî deNotes, M. Sanouîet et P. Matîsse écrîts réun. et prés., A. Sanouîet et P. B. Frankîn éd. rev., rem. et aug., Fammarîon, 200, note r, p. 20. Nous conservons ’orthographe et a ponctuatîon de Duchamp. 10Ibîd., note v. 11Maurîzîo Nannuccî,There Is Another Way o Lookîng at Thîngs, SîvanaEdîtorîae et Musée d’art moderne de SaîntÉtîenne Métropoe, 2012, p. 4.
Hîstorîen de ’art, phîosophe de ormatîon, égaement commîssaîre d’exposîtîon, conservateur au MAMCO,Thierry Davilaest ’auteur de nombreux ouvrages sur ’art contemporaîn L’Art médecîne, RMN, 1,Marcher, créer. Dépacements, lânerîes, dérîves dans ’art de a in du XXe sîèce, Édîtîons du Regard, 2002,In extremîs. Essaîs sur ’art et ses déterrîtorîaîsatîons depuîs 96, a ettre voée, 200,De ’înramînce. Brève hîstoîre de ’împerceptîbe de Marce Duchamp à nos jours, Édîtîons du Regard, 2010.
INTERART ACTUEL121
P A U V R E T É , D É P O U I L L E M E N T , D É N U E M E N T
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PERFORMATIF DU DÉSŒUVREMENTPour une esthétique du dénuement, de la vie nue
MÉLISSA CORREIA X
es actîons dont ce texte rend compte sont du regîstre des pratîques du perormatî, du dénuement, du nonspectacuaîre, en ce que ces actes de présence, et eurs partî tîons, rendent perceptîbes ’évîdage de ’humaîn et a vacuîté des exîstences maînte nues en état de survîe, dans des socîétés soumîses à a gestîon du capîta générîque, comme e manîeste eur voonté de se prémunîr de cîrconstances tees que a préca rîté, ’aîénatîon et ’îsoement socîa. Ce n’est pas un hasard sî, à certaînes occasîons, ceescî sont sîtuées en contexte de vîsîbîîté et d’échanges restreînts, ou même d’î égaîté, d’où paroîs eur nécessîté d’être dîscrètes, anonymes. Dès ors, eur corps peut sember désocîaîsé, înachevé, sans être détermîné puîsqu’équîvaent à des actes de dîférencîatîon et d’autorélexîon en regard du dégoût de ’humaîn, du pauvre, du ou, du dîsparu de a rue, bre de cette încusîve excusîon quî a îeu tant dans nos bîdonvîes, nos prîsons et nos camps de réugîés qu’au cœur de nos métropoes. En ce sens, ques que soîent es canaux pour y parvenîr, a pratîque du perormatî, par ’împosîtîon de restrîctîons, de prîvatîons, tend à ’excès, hors de ce que es carcans des pouvoîrs réguarîsent et excuent. Un avîs de recherche émîs contre Tehchîng Hsîeh s’ajoute à a documentatîon d’actîons întîtuéesOne Year Perormance/Perormance d’un an. ors de son excursîon Outdoors Pîece/ExtérîeurNYC, 9898, Hsîeh présente certaînes photographîes réaîsées par un amî au gré de queques rendezvous aînsî qu’une vîdéo d’une tren
>Tehchîng Hsîeh,OneYearPerormance98-98.© 12 Tehchîng Hsîeh. Courtoîsîe de ’artîste, The Gîbert and îa Sîverman Coectîon  Detroît et Sean Key New York.
taîne de mînutes, aors qu’î se trouve à vîvre sans répît dehors avec son modeste havresac de a marîne. À cette « mîcrovîdéocratîe » s’ajoute une cartographîe de Manhattan où ’on retrouve e trajet de ses dépacements, e ong de ’East Rîver et dans Centra Park. Tandîs que a contraînte înîtîae étaît qu’î reste à ’extérîeur, sans jamaîs entrer à ’întérîeur d’un abrî que conque, y comprîs d’une voîture, d’un traîn, d’une tente ou même d’une toîette pubîque ou d’une cabîne de tééphone, es prîncîpaes capta tîons de contact avec autruî vont se aîre ors de son arrestatîon, suîvîe d’un séjour en prîson. De déserteur à perormeur candestîn, en passant par reporter de sa vîe de sansabrî, î est caîr qu’î saît avoîr e dernîer mot : ors de sa dernîère nonperormance 989999, Hsîeh annonce qu’î est resté « en vîe », tout sîmpement. En cea, î est de ceux, comme es exîés, es bandîts, etc., qu’Agamben nommeHomo sacer, qu’î décrît en termes d’exîstencepoîtîquequî reste îée à ’omnîprésence de a oî et à ’împact de ses mesures : « une vîe nue dépouîée de tout droît » . Assîse sur un banc de a gare de TeAvîv et portant un campement mînîaturîsé sur a tête, Rache Echenberg, dans sa perormanceHomeZAZ Festîva, HaTachana HaMerkazît HaChadasha [Nouvee gare centrae d’au tobus], ïsraë, , peînt e mot hébraqueba-by-îtsur une paroî, avant d’en recouvrîr entîèrement de noîr toutes es suraces de pexîgas et d’être dans e conInement d’un espace d’excusîon : ’expérîence d’un dehors . a maîsonnée, e propre de ce quî est e pus întîme de ’exîstence, ceoîkos, ou espace de ’oîkonomîa, où ’on se trouve et d’où ’on vîent, se renverse, par procédé de substîtutîon d’un chezsoî provîsoîre à une prîva tîon de a vue. Dès ors, cet espace d’înternement advenu, à ’îmage d’un banoù s’înscrît enomos, voîre a matrîce de a stratégîe poîtîque géné rae, converge vers ’actuaîsatîon d’un contrôe de a vîsagéîté, du vîvant. ïcî, a réceptîondon de cet acte d’extérîorîsatîon, durant eque e vîsage reste îsoé dans a orme înteîgîbe du camp, sembe évoquer une voonté de s’extraîre de a norme poîtîque du capîta humaîn des précaîres, des réugîés, etc. et du contexte socîopoîtîque. Du coup, Echenberg rîtuaîse une orme d’împuîssance à vouoîr voîr ou, mîeux, cette même extérîo rîté donne accès à ce quî pourraît être quaîIé d’efet îmîte, d’împouvoîr, en regard de cette reatîon de domînatîon de a vîe nue au seîn du poî tîque. a vunérabîîté du corps s’expose à autruî par ’acte voontaîre de se aîre vîoence et peut se muer en empathîe actîve ou se saîsîr sous a orme d’une questîon : de quoî nous autî être déîvrés ? En ,
>Mîan Knížák,Instaatîon dans a rue, Prague, 1213.
pourThe Banket SerîesSnow,Pîgeons,Tîdes dîstrîbuée par Vîdéographe, Echenberg aît usage en peîn hîver d’un banc pubîc sîtué dans un parc, en bordure du bouevard Saîntaurent à Montréa, pour s’y coucher, jusqu’à ce que a neîge recouvre son corps ors deBanket (Snow) mîn  s,  ; jusqu’à n’être pus qu’une soîtude que e roîd recouvre. Autre ment dît, ee est à, comme un être exîstant, un sansabrî, un entr’aperçu surexposé, en une restîtutîon quasî îmmobîe où se révèe ’événement d’un devenîr quî se dérobe, tee une capacîté d’agîr quî reste îndépen dante à ce quî arrîve, et paroîs aveuge. apotentîa passîva, « acuté de passîvîté et de réceptîvîté », suppose îcî une pratîque du perormatî en vue d’échapper à une perte. Par exempe, ors de a vîdéoBanket (Pîgeons) mîn  s, , tournée au square NormanBethune de Montréa en août , son actîon consîste à demeurer aongée dans ’herbe, aors que son corps est recouvert de nourrîture pour pîgeons, ces dernîers s’agîtant audessus d’ee. Ee parat întîmement pénétrée par ’exîgence de répondre à cette questîon : commentperormercette restrîctîon, cette prîvatîon ? Fondée dans ’optîque d’une poîtîque du désœuvre ment, comme puîssance en attente, ’exposîtîon d’un être queque part
>Rache Echenberg,Home, 2011. Photo : D. Fodzcuk.
INTERART ACTUEL121
P A U V R E T É , D É P O U I L L E M E N T , D É N U E M E N T
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e >Maurícîo ïanês,Untîted (The Kîndness o Strangers), 2 Bîennae de São Pauo, 200. Photo : Amîcar Packer.
abandonné à son exîstence, et pourtant exîstant, renvoîe à un présent à venîr, essentîeement hors d’unchez-soî, quî întègre ’însécurîté et ’încer tîtude dans a perspectîve d’une temporaîté devenue en queque sorte sans promesse. En 96, cet extérîeur qu’est a rue devîent un îeu de transorma tîon socîae, de transactîon et de créatîon pour Mîan Knížák quî sera e représentant de Fuxus à Prague et e ondateur du mouvement Aktuá. Un document d’archîves montre son corps aongé sur une panche de boîs, à proxîmîté d’une modeste entrée, rue Nový svět, aîsant partîe înté grante d’un brîcàbrac d’objets hétérocîtes. On apprend que ceuxcî sont des surpus trouvés quî s’accumuaîent chez uî. ’îmage întîtuéeInsta-atîon dans a rueGaerîe natîonae de Prague, 9696 e présente étendu dans a posîtîon de dormeur, un crucîIx en er appuyé de bîaîs contre e mur à ses côtés. Cette présence, équîvaente à une înstaatîon éphémère dans aquee son corps se conond, est un acte de conscîence crîtîque, pacé sous e doube sîgne du sacrîIce et du rîsque. ’êtrecorps, jeté à, dans es rebuts, aît écho à ’aîénatîon de ’îndîvîdu et au contexte totaîtaîre de a socîété tchèque de ’époque. Par a suîte, Knížák passe d’înterventîons composées au jour e jour, avec des amonceements d’ob jets trouvés dans es rues, es cours ou es parcs, aux déambuatîons et aux rîtues coectîs. En prenant pace parmî ces entassements de débrîs ordînaîrement vîsîbes un peu partout dans ’espace pubîc, ceuîcî s’ex pose à ’îégaîté et à de possîbes répressîons de a part de ’appareî poî tîque d’aors. Pour Knížák, î s’agît avant tout de aîre en sorte que chacun « mène sa vîe comme î e [juge] bon », et de « vîvre autrement » . e Queque temps après ’ouverture oicîee de a 8 Bîennae de São Pauo, en 8, sous ’orîentatîon de a vacuîté, Maurícîo ïanês, avecUntîted (The Kîndness o Strangers), se présente devant e pubîc en étant dépourvu de tout, entîèrement nu. e corps en état d’engagement, de communî catîon dîrecte prévue en deçà des mots et d’înterdépendance devant a réceptîondon des acteurs présents e pubîc, es agents de sécurîté, etc., de jour comme de nuît, est e poînt înîtîa de cette proposîtîon d’actîon en communauté. Dès e départ, ïanês a ’întentîon d’unîr son exîstence, voîre sa subsîstance, pour a durée de ’événement, aux ofrandes reçues avec ’optîque d’y rester, d’y survîvre. À cette dîsponîbîîté  heures par jour
durant  jours où se dépoîe a acuté de vouoîr se voîr exposé en quasî 5 permanence, comme « sînguarîté queconque » , s’ajoute a sîtuatîon aînsî créée d’une errance à ’întérîeur des murs. Cette occupatîon des espaces îbres du îeu d’exposîtîon a transmuté vers un retranchement progressî de son corps surexposé, déocaîsé, au proIt d’une vîsîbîîté accrue de a reatîon entre ïanês et es vîsîteurs, causée par un éveî certaîn de ’aîmabe prévenance des étrangers. Pour es dernîers jours, à ’îmage des personnes en sîtuatîon de précarîté quî adoptent une statîon Ixe, voîre un coîn de rue pour efectuer eur temps de quête hebdomadaîre, ’artîste opte pour ’ap proprîatîon d’une zone non occupée par es autres exposants, sur ’un des étages vîdes du pavîon. Cette înîtîatîon à a prîvatîon, exécutée en sîence et comportant treîze règes – ’une d’ee peut se traduîre comme suît : « orsque vous recevez queque chose de quequ’un, î s’agît de regarder a personne dans es yeux et de contînuer jusqu’à ce qu’ee abandonne. » –, a peu à peu donné accès à a mîse en pace d’une communîcatîon efectîve ou, du moîns, aux îndîces tangîbes d’échange et de responsabîîté récî proque par un accroîssement de dons. À un certaîn moment, vers a In de cette mîse à ’épreuve, ïanês a ofert, à son tour, une prestatîon en chan tantI’ Be your MîrrorThe Vevet Underground & Nîco. ’înterventîon de ongue durée, suspendue entre ’attente de queque chose et ’attentîon crîtîque portée sur ce queque chose, souève a questîon de ’abondance des donatîons dans e cadre spécîIque qu’est ceuî du champ artîstîque, en opposîtîon au champ de a rue ou à tout autre contexte de pauvreté où a générosîté est pus que vîtae. Qu’estce quî entrave cette possîbî îté d’entraîde, par exempe cee des passants envers es gens de a rue, orsque a nécessîté d’autruî est réee ? En , à ’entrée de ’îmmense gare Unîon de a rue Front à Toronto, Karen Eaîne Spencer sîttîn’, a*d ïnternatîona Festîva o Perormance Art, Ontarîo est assîse sur une aée de bancs, dîrectement en ace du poste destîné aux agents de sécurîté : ee se rend à cet endroît dès neu heures pour y être présente durant huît heures d’aiée, soît a durée journaîère d’un travaî quotîdîen de  heures par semaîne. Ee y reste chaque jour et revîent en ce même endroît pendant dîx jours consécutîs. 6 Entre chacun, ee pubîe ses rélexîons, sans majuscues . À cette conI dence maîntenue durant cette actîon de 8 heures ou 8 8 mînutes
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