Audimat N° 6
93 pages
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Description

Audimat éditions publie des textes critiques, sensibles et politiques, des contre-récits, de l'esthétique sauvage.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2023
Nombre de lectures 0
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait


Une revue éditée par
Les Siestes Électroniques

Avec l’aide du CNL

13
Brexit,
Wendy Carlos
etaccélérationnisme
– Adam Harper

29
David Toop,
l‘utopie perdue
– Simon Reynolds

63
Le monde d‘échos
d‘Arthur Russell
– Tim Lawrence

85
Lee Perry dans
lafiction sonique
– Kodwo Eshun

99
Le rap piraté
par laCaraïbe
– Nicolas Pellion

121
1946 -1982 :
Éphéméride de
l’électroacoustique
– Michel Chion

Édito

On se dit parfois qu’écrire sur lamusique procède
d’une volonté de pacifier les débats, d’organiser un
consensus sensible. Or lamusique peut ne pas poser
de problèmes. L’indifférence ou le mépris faceàtel
tube ou tel «phénomène »en restera àl’expression
ponctuelle d’un dégoût; parfois, rarement en fait,
une performance de drone tournera à l’esclandre,
puis chacun rentrerachez soi enayant trouvé
l’épisode étrange et même exotique. Peut-êtrealors que
c’est la meilleuremusique qui se charge de nous
créer des problèmes, et en particulier des problèmes
nouveaux. Telle nouveauté fait vieillir tout ceàquoi
on s’étaitattaché jusqu’ici, tel classique rappelle
que le monde fascinant qu’ilalevéàl’écoute n’aura
jamais de suite, dans laou d musiqueans la vie.
Parfois, écrire sur lamusique, ce n’est pas construire
un «safe space »entreamateurs éclairés, mais
partager plus largement un peu du mal que lamusique
nous fait.

Ce numéro commence par des textes qui concernent
la façon dont lainc musiquearne des utopies, ou
plutôt des promesses, qui ont lamauvaise tendance
soitàmal vieillir, soitàmal finir. Quand le Brexit met
en doute le lien entre fraternité et émancipation, la
version de l’Hymne à la joiepar Wendy Carlos se
superposeàl’originale de Beethoven pour couvrir
son harmonie de résonances presque sarcastiques.
Avec David Toop, onapu croire un temps que les
microsounds et la réinterprétation imaginaire des

Édito

folklores mondiauxannonçaient une nouvelle liberté
culturelle et politique, mais ce n’est évidement pas ce
qui s’est passé.

Dans ces musiques et dans ces textes, pourtant, il y
aquelque chose qui ne s’éteint pas toutàfait. Ce
sont les styles, les projets de contamination sensible
qui cherchent des ouvertures. En creusant lamatière
sonore et les mots, comme quand Kodwo Eshun
exagère l’histoire de Lee Perry par des effets et des
filtres langagiers dépaysants,àlalimite de l’absurde.
En faisant grimacer les mots pour Young Thug,
Future et leur progéniture, chez lesquels on perçoit
les spectres du vaudou, commeautant de vanités
cachées dans lacélébration de lamarchandise. En
jouant du violoncelleau bord des scènes mondaines,
comme Arthur Russell l’afaitavant de devenir une
icône posthume. Ou en organisant patiemment des
alternatives, tout en se méfiant du goût de
l’institution pour le neuf : dans samicro-histoire précise et
apaisée de lamusique concrète et électroacoustique,
écrite en1982, Michel Chion parle surtout des
collectifs d’individus qui,au moins pendant un temps,
ne se sont pas lassés d’essayer de faireautrement.

Merci de nous lire et de partager nos problèmes.

Playlists
audio
disponibles
sur
notre chaîne
You Tube

www.youtube.com/user/
AudimatRevue

Brexit,
Wendy Carlos
et
accélérationnisme

Adam Harper

Adam Harper

Auteur d’Infinite Music (ZeroBooks, 20!!),
collaborateur deThe Fader etaccessoirement d’Audimat,
puisqu’il participait déjà à notre numéro un, le
Britannique Adam Harper, comme nombre de ses
compatriotes, s’est réveillé un beau matin de juin
dans le Royaume-Uni du «Leave», un air entêtant à
l’esprit : l’Hymneà la joie deBeethoven revisité par
Wendy Carlos. Il en a tiré ce texte court et nerveux,
en forme de manifeste esthético-politique, écrit à
l’origine pour le site du festival 3hd, qui tente finalement
de répondre à une question cruciale : comment la
musique, prise dans sa dimension sensible, peut servir
de ressource pour appréhender les turbulences qui
agitent notre monde?

14

Brexit, Wendy Carlos etaccélérationnisme

Ce soir-là, nous sommesallés nous coucher dans
un état d’excitation certain, cette excitation que
l’on ressent en contemplant, bienau
chaudàl’intérieur, l’orage qui dehors gronde et menace. Non, le
Royaume-Uni ne voterait pas pour son départ de
l’Union Européennealors même que celui-ci
constituerait un monstrueux désastre, une tragédie.

Pareille folie ne peut survenir que dans la fiction.
Dans lavraie vie,au bout du compte, les gens
finissent toujours par voteravec plus ou moins de bon
sens et rien de grave n’arrive jamais vraiment. Ce
soir-là cependant — cette semaine-là—, il même
étaità la foisétrange et stimulant d’imaginer que
celaêtre le c puisseas. Mais les catastrophes, de
celles qui réduisent en pièces le futur, se
produisent parfois. Lafoudre s’abat vraiment. Je me suis
réveilléauxalentours de quatre heures du matin, et
dans un brouillard semi-conscient, entre rêve et
réalité, je suisallé consulter mon téléphone. Le «Leave»
était légèrement en tête. Je me suis dit que les votes
des grandes villes n’avaient pas encore été
décomptés, voilàtout. Ou quelque chose du genre. Tandis
que j’émergeais des ténèbres, une ritournelle s’est
imposéeàmoi — un de ces morceaux qui vous
tournent dans latête encore et encore, qui vous
exhortentàles siffloter,àles écouter,àtaper leurs noms
dans Google. Il s’agissait du dernier mouvement de
la Neuvième Symphoniede Beethoven, l’Hymne à la

15

Adam Harper

joie, mais dans laversionarrangée par Wendy
Carlos pour synthétiseurs Moog et vocoder, celle qui est
utilisée dansOrange mécanique. Un morceau bizarre,
énorme et tourbillonnant, qui ne vous laisseaucun
répit, mais sonne en même temps étrangement
kitsch et enfantin ;par moments, ses lignes
s’entrecroisent sans fin, organiquement, etàd’autres, elles
évoquent les cliquetis synchrones d’une parade de
jouets mécaniques,avant d’être tout
entièresabsorbées par laclameur,àlafois triomphale et distante,
des voixau cœur des circuits. Cetair entêtant m’a
poursuivi jusqu’au lendemain et toute lasemaine
suivante, se faisant plus insistant encoreàmesure que
se précipitaient les évènementsau Royaume-Uni. Aux
infos, Nigel Farage proclamant lapeuplevictoire du «
réel »(par opposition, j’imagine,au peuple irréel,
surréel voire hyperréel). Lavoix de David Cameron se
brisant tandis qu’il réitérait saen un Roy
foiaumeUni terre d’accueil,avant de démissionner. Les
discours froids,austères, clairement pusillanimesaprès
une telle victoireàlaPyrrhus, de Boris Johnson et
Michael Gove, tenants conservateurs du Brexit (qui
allaient tous deux, contre touteattente, se débiner
dans la courseau poste de Premier ministre). Les
centaines de rapports faisant état d’actes
xénophobesà travers tout le pays. La gauche du parti
travailliste en plein chaos, des douzaines de
parlementaires se retournant contre le leader
socialiste récemment élu, convaincus que le parti devait

16

Brexit, Wendy Carlos etaccélérationnisme

dorénavant proposer un «projet progressiste contre
laliberté de circulaTrès vite, je me ption ».assais la
version Carlos de Beethoven en boucle età plein
volume.

La Neuvième symphoniede Beethoven est l’une des
œuvres musicales les plus complexes de l’histoire. Par
là, je n’entends pas que lamusique en elle-même est
compliquée — ces notes d’apparence neutres sur le
papier — même si en son temps, on n’avait encore
jamais rien entendu de tel. Non, je veux dire par là
que son destin dans l’histoire s’est chargé d’en
complexifier laperception.

Il semble que l’Hymne à la joieBeethoven deait
accumulé un passif culturel et politique venu de
tous bords et tout particulièrement des extrêmes. Il
aendosséàlafois le rôle de quintessence de ce que
l’humanitéade plus noble et celui d’incitationàla
violence laplusabominable. Accessoirement, c’est
aussi l’hymne de l’Union Européenne.

Composée en1823, la Neuvième Symphonieest
profondément enracinée dans le Romantisme
occidentale monde des génies, des grl :ands hommes et de
leurs luttesavant-gardistes pour imposer une vision
sublime, grandiose et triomphale de l’âme humaine
et de saplace dans l’univers. Une conception de l’Art
dont l’influence estaujourd’hui encore très vivace,

17

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