En main propre !
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Description

Alger 1962. La présence française touche à sa fin. Trois conscrits décident de fêter leur retour en métropole en soulageant un riche négociant de ses lingots d’or. Le casse ne se déroule pas comme prévu...


Avignon aujourd’hui. Un jeune clerc de notaire, d’origine algérienne, tente de liquider une mystérieuse succession. L’affaire délicate le conduit à retourner sur la terre de ses ancêtres... Gravitent autour de l’homme de loi : sa fiancée blonde, un beau-père un poil raciste, son jeune frère pré-délinquant, une algéroise envoûtante, d’anciens combattants plus ou moins vivants...


Jérôme Zolma réussit l’impossible : écrire un roman policier se déroulant pour moitié en Algérie, en 1962, et aujourd’hui, sans tomber dans la caricature sur la décolonisation, le racisme et la recherche identitaire. Une sacrée performance assortie d’une bonne dose de suspense !

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 août 2016
Nombre de lectures 1
EAN13 9782370470164
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

J ÉRÔME Z OLMA
EN MAIN PROPRE !
1
Automne 2005
– Ilyès ?
– Oui ?
– Vous êtes Algérien, vous, non ?
Je n’appréciais guère la question maintes fois posée, à laquelle je répondais diversement selon la nature de mon interlocuteur. Ma réplique oscillait entre un poli « Non. Je suis Français. D’origine algérienne. Par mon père. » et un désagréable « Je suis Français comme toi et je t’emmerde… Qu’est-ce que tu préfères voir ? Mon passeport ou ma pogne ? »
Ma réponse a fusé, sèche et cinglante bien qu’elle appartienne à la catégorie polie. Accompagnée d’un soupçon d’irritation. Un soupçon, simplement. Je ne tenais pas à vexer l’homme qui venait de m’interroger, Maître Bergeaud, notaire, mon employeur depuis deux ans. Le seul qui ait daigné m’embaucher après une longue période de chômage. Malgré mes diplômes. Le seul du département à rémunérer un clerc d’origine beur. Une situation qui m’obligeait à surveiller mon langage et mes sentiments.
– Oui, j’entends bien. Mais vous êtes quand même un petit peu Algérien.
Algérien d’Avignon. Enfin, pour une fois que mon patron s’intéressait à mes ascendants, je me devais de l’écouter. Parions qu’il avait quelque chose à me demander. Gagné.
– Ça vous dirait, un voyage sur les terres de vos ancêtres ?
Je me suis approché de Bergeaud et lui ai rétorqué sans enthousiasme :
– Vous savez, il y a près de dix ans que je n’y ai pas mis les pieds. Depuis la mort de mon père. Les rapports entre ma mère et sa belle-famille du bled n’étaient pas très cordiaux. Je la comprends. Enfin, elle ne nous a jamais empêchés de leur rendre visite mais comme elle n’a jamais voulu nous accompagner… Le voyage était un peu compliqué, moi ado et mon frangin qui marchait à peine ! Surtout pendant la guerre civile des années 90. Vu l’insécurité, j’avoue que ce voyage, je n’ai pas eu le courage de l’entreprendre. Et maintenant, mes grands-parents sont morts, alors… Il ne me reste qu’un oncle sur place. Encore qu’il a peut-être émigré et, si ça se trouve, je le croise tous les jours dans la rue sans le reconnaître…
Après un instant de respiration, j’ai repris :
– Un voyage en Algérie ? Franchement, j’ai l’impression que j’y serais autant paumé que n’importe quel touriste français.
– Vous parlez arabe ?
– Pas vraiment. Je connais juste les principales insultes.
– Seulement ? Effectivement, c’est pas idéal pour nouer des relations durables. Enfin, les gens parlent français, là-bas.
– Plus ou moins. Les vieux, surtout. Et les intellos.
Maître Roland Bergeaud a rajusté son costume quatrième République. Il ne prenait guère soin de son image. Une image de vieux notaire de cambrousse, suranné et poussiéreux. Poussiéreux comme les actes de propriété qu’il conservait plus religieusement que si le messie les avaient paraphés. Ses fripes, ses pellicules et ses propos atones n’incitaient pas à l’inviter à bouffer en dehors des heures ouvrables.
Précisons qu’il avait dépassé la soixantaine et qu’il s’ingéniait à paraître vingt ans de plus. Son chirurgien esthétique s’employait à lui ajouter des rides. Pour cette raison sans doute, il évoquait avec véhémence les réformes successives des retraites : « Partir à soixante ans ! Tous des fainéants ! Nous, les privés, on mourra à notre poste, comme les grands capitaines. Ou Molière ! », affirmait-il avec grandiloquence. Je songeais en l’écoutant que la comparaison avec Molière était assez osée, mais comme il me payait avec une régularité d’horloge atomique, je me contentais d’acquiescer d’un hypocrite hochement de crâne.
À cet instant, le notaire a semblé déçu de ma réaction : l’employé modèle avait tardé à sauter au plafond suite à la proposition de son employeur. Il a ajouté, afin de « vendre » ladite proposition, que la boîte prendrait l’ensemble des frais en charge, « cela va sans dire. »
J’ai corrigé mentalement : « cela va encore mieux en le disant ». Vu sa pingrerie, je préférais un engagement ferme agrémenté d’une trace écrite à un vaporeux « on réglera ça à votre retour ».
Mon notaire a encore insisté : son clerc bénéficierait de tout le temps nécessaire pour venir à bout de sa mission. J’ai répliqué :
– Justement, cette mission ? C’est quoi, au juste ?
– Rendez-vous à dix heures dans mon bureau. Nous allons procéder à la lecture du testament de Monsieur Daniel Genovese, en présence de ses héritiers. Vous comprendrez tout à ce moment-là.
Nous nous sommes séparés en attendant l’heure de l’entrevue. Une entrevue qui m’a effectivement éclairé sur la teneur de ma tâche.
Les héritiers, les neveux du défunt, se sont pointés avec un quart d’heure d’avance. Deux types d’une cinquantaine d’années, en costard élimé par des années de placard, l’air de descendre de leurs tracteurs. Des espèces de gentilshommes campagnards un peu désuets, perdus dans une ville trop vaste et dans des pantalons trop larges. Les deux luttaient contre une calvitie indolente qui les contraignait à rabattre une mince mèche étiolée sur le sommet de leur crâne. Le deuil qui venait de les frapper ne paraissait pas les attrister particulièrement. Ils n’entretenaient aucune relation avec leur oncle et la lecture du testament a tari le zeste d’affection qui avait pu exister.
Un foutoir invraisemblable régnait dans le bureau du notaire. Ce désordre contrastait avec son image de professionnel rigoureux. Les dossiers s’entassaient apparemment dans l’ordre d’arrivée des affaires. Au fond, à l’opposé du bureau sur lequel trônait un ordinateur au design soviétique, d’antiques liasses, beiges de poussière et jaunies par les ans, se prélassaient dans l’attente d’un changement de statut hypothétique. Elles semblaient contemporaines du traité de Versailles. Bergeaud prétendait même posséder dans un coffre des contrats rédigés sous le second empire. Plus on s’approchait du bureau, plus les papiers devenaient clairs et paraissaient récents.
Les piles se touchaient et s’appuyaient les unes sur les autres. Elles s’évitaient ainsi une chute qui eût été douloureuse pour les intérêts des clients. Heureusement, miracle permanent, une bonne étoile en orbite géostationnaire au-dessus de l’étude Bergeaud protégeait les châteaux branlants de l’éboulement et l’homme de loi n’égarait jamais le moindre papier.
Le plus ardu était d’atteindre une de ces piles et d’en tirer la pièce nécessaire sans provoquer un tsunami de poussière et de cellulose. Bergeaud agissait avec dextérité et ne perturbait jamais l’équilibre précaire des paperasses en attente. Sans être partisan du slogan soixante-huitard « le désordre, c’est l’ordre », le notaire le mettait en pratique et cherchait rarement dans son foutoir. Il repêchait tout ce dont il avait besoin à une vitesse qui laissait les employés pantois. D’ailleurs, il n’aimait guère qu’on farfouille dans son bazar. Parfois on l’entendait maugréer, façon le père « Ours » de Boucle d’or : « quelqu’un a touché à ce dossier ». On rigolait en douce. Une des rares occases de se divertir chez Maître Bergeaud.
Le notaire a psalmodié d’une voix monocorde un ensemble de considérations juridiques puis s’est appesanti sur les détails de l’héritage :
– Votre oncle m’avait chargé de la gestion de ses affaires depuis une dizaine d’années. Il vous lègue de menus objets dont vous trouverez la liste au verso de cette page. Ces objets sont dûment classés et répertoriés, j’ai vérifié. Nous les avons récupérés dans son mas des Alpilles et je les ai rapatriés à l’étude. Ils sont disponibles et seront à vous dès que vous aurez signé ces documents.
Maître Bergeaud a désigné une liasse de papiers imprimés dans une antique police de caractère corps 6. Un truc pour économiser du papier, la taille de la police. La lecture de l’ensemble nécessiterait quelques plombes et une bonne paire de lunettes aux neveux éplorés mais le dossier tenait en sept pages au lieu de dix. Le notaire a rassuré les neveux en indiquant que cette lecture était facultative puis a ajouté que les bénéficiaires avaient parfaitement le droit de refuser le legs.
Le désappointement s’est lu sur le visage des héritiers. Une question a jailli presque immédiatement :
– Et le mas des Alpilles ?
Bergeaud a hoché la tête fataliste avant de rétorquer :
– Le mas ! Le seul bien de valeur acquis par votre oncle au cours de sa vie, effectivement. Il le lègue à Monsieur Noël Ramon.
Les deux types ont explosé dans un ensemble digne des meilleures polyphonies :
– À qui ?
– À Monsieur Noël Ramon. Dernier domicile connu, 31 rue Didouche Mourad, Larbaâ Nath Irathen, wilaya de Tizi-Ouzou, Algérie.
Mon attention s’était estompée à l’écoute des enluminures du testament. J’ai rengainé un bâillement et me suis réveillé à l’évocation de l’adresse de l’héritier. La nature de mon job se devinait derrière les ultimes paroles du notaire.
De leur côté, les neveux ont commencé à hurler à la mort. Ils ruminaient sur l’ingratitude de leur oncle, prenaient Bergeaud à témoin, se lamentaient en cadence. Puis, vaincus, ils ont apposé leur signature au bas des pages illisibles avant de quitter l’étude fort désappointés. Ils ignoraient tout des affaires de Genovese mais, dès lors qu’ils avaient appris sa mort, ils s’étaient mis à espérer. Le défunt avait la réputation de vivre chichement. Néanmoins, il habitait une demeure qu’on qualifiait de confortable dans un coin fort prisé. Les neveux avaient imaginé leur oncle amassant sa fortune centime après centime, ne survivant que du nécessaire, bouffant des nouilles et des yaourts et s’habillant de guenilles âprement négociées aux puces de la porte d’Aix. En conséquence, l’homme devait thésauriser et être plein aux as. À tous les coups, des bas de laine confits de thunes emplissaient le mas, de la cave au grenier, en passant par les gaines d’aération de la clim’. Naturellement, ils le savaient sans famille et s’étaient crus quelques jours à la tête de son patrimoine. Bergeaud les avait refroidis.
L’homme de loi a gardé le silence jusqu’au départ des neveux. Les héritiers sortis, il s’est tourné vers moi en sour

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