L enveloppe du Sanglot
54 pages
Français

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L'enveloppe du Sanglot , livre ebook

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Description

« Dans nos vies des rencontres infimes, indicibles, incompréhensibles viennent percuter et parfois troubler nos logiques terriennes. Nous sommes touchés ou pas, nous nous arrêtons ou pas, nous entendons ou pas, nous relions ou pas.
Cet écrit raconte un chemin de vie traversé, comme tout un chacun, par ces rencontres étranges que certains nomment coïncidences, hasards ou synchronicités. »

Informations

Publié par
Date de parution 20 juin 2023
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312133980
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0150€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’enveloppe du Sanglot
Maud Roy
L’enveloppe du Sanglot
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
Du même auteur
L’Homme digéré – 2013 – Les Editions du Net
Palette – 2014 – Les Editions du Net
Entrez les artistes – 2020 – Les Editions du Net
Photo de couverture : Anne Duquesne
© Les Éditions du Net, 2023
ISBN : 978-2-312-13398-0
À vous Christian Bobin

Pour votre indéfectible présence
Vos lectures attentives
Votre sourire d’encre
Votre reconnaissance
Merci
« Le hasard n’est que la mesure de notre ignorance »

Alfred Capus


« Il est parfaitement concevable que la splendeur de la vie s’offre à nous et toujours dans sa plénitude, mais de manière voilée, enfouie, invisible, très distante.
Pourtant elle est là, ni hostile, ni malveillante, ni sourde.
Qu’on l’invoque seulement en prononçant le mot juste, le nom juste, et elle viendra.
Telle est l’essence de la magie, qui ne crée pas mais invoque. »

Franck Kafka , journal (1921)
« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience » écrivait René Char. Et je pense à ces pierres lancées dans l’eau par chaque enfant que nous sommes nous laissant méditatifs au vu de ces vagues concentriques qui s’estompent lentement.
Il y eut un objet, un geste, un regard, puis tout semble se dissoudre… Semble.
Ainsi dans nos vies des rencontres infimes, indicibles, incompréhensibles viennent impacter et parfois jeter le trouble dans nos logiques terriennes. Nous sommes touchés ou pas, nous nous arrêtons ou pas, nous entendons ou pas, nous relions ou pas.
Cet écrit raconte un chemin de vie traversé, comme tout un chacun, par ces rencontres étranges que certains nomment coïncidences, hasards ou synchronicités.
Nos voies multiples sont sans doute pavées de ces lueurs discrètes qui ne demandent, peut-être, qu’à vivifier notre étonnement.
Parfois l’éclat est fulgurant et l’ouverture chavire…
De l’autre côté du jardin, le tissu blanc trace des mouvements sur le carreau de la maison voisine. Je devine la main. Le blanc est flamboyant. D’un côté le soleil sur la vitre, de l’autre le tissu blanc ; la main, la cuisine, le chien, la femme, la table, la nappe d’odeurs qui s’effiloche.
Dans le jardin, le pommier darde ses dernières feuilles rousses sous un ciel noirci. Un merle s’y pose, la branche imprime le mouvement, l’oiseau s’envole. L’écorce striée de gris accroche la chaleur des ocres lisses. Lumière plantée dans le bleu. Tableau insaisissable. Faut -il seulement regarder les effets du soleil sur les êtres et les choses, la mousse pommelée du toit, le couple de mésange dans les chatons du saule ?
Il y a tout cela que je peux toucher des yeux, de la pulpe de mes doigts, du frisson de ma peau. Il y a ce vent que je peux boire à pleine bouche. Il est dedans, dehors à creuser ma poitrine mais il court, invisible, du saule qui prie le ciel, à ce merle qui plie la branche et ce blanc flamboyant sur la vitre.
Et puis, circulant dans et hors ce « il y a », la densité invisible, foisonnante, impalpable, irraisonnable, dépliant, déployant, agenouillant. Trop, c’est trop.
« Je ne suis pas digne de te recevoir mais dit seulement une parole et je serais guéri »
Quelle est donc cette parole ? Qui et que guérirait-elle ?
Se cogner la poitrine à coups d’humilité, s’enfoncer les yeux dans la terre, avaler la poussière histoire de se rappeler que nous retournerons poussière.
Et puis, « Il y a » se déchire. Mains ouvertes pour recueillir un fragment de compréhension, la vie entrevue est trop vaste. Marcher pieds nus, sentir le sol affûter le quotidien avec componction. Rester de ce monde. Pouvoir écouter les hommes, résister à l’ouverture qui chavire.
Mains ouvertes pour comprendre ce que j’ai à faire entre la misère, la mésange, le souffle qui écarte mes entrailles, déchire mon esprit, m’agenouille.
À qui dois-je m’adresser ? À cette feuille qui se rend, à ce duvet qui flotte, au piaillement de l’oiseau, à l’ami, à l’enfance, au contrat des hommes, aux projets ciblés, à la cloche qui tinte, aux rêves, à mes parents perdus, aux souvenirs qui frappent, aux anges, à Dieu, à qui ?
La femme était agenouillée au pied de mon lit. Elle portait une jupe écossaise plissée. Cette jupe ressemblait à celle de ma mère mais la femme qui était là en pleine nuit dans ma chambre, agenouillée au pied du lit n’était pas ma mère.
J’ai enfoui ma tête sous les draps réfléchissant vite. Nous sommes la nuit, qui est cette femme, c’est impossible ?
J’ai ressorti ma tête lentement pour vérifier. La femme était toujours là, les mains jointes en attitude de prière au pied de mon lit. Je me suis enfouie définitivement la tête. Ne plus bouger, retenir sa respiration. Se dire, demain lorsque je raconterai cela, maman me dira : « tu as sûrement rêvé » et moi je lui répondrai « non puisque j’ai été capable de me dire tout cela puisque je pensais aux paroles que tu pourrais me dire ». Tout ce raisonnement servirait la preuve que je ne dormais pas.
J’ai rigidifié mon corps, j’ai attendu immobile le sommeil.
Le lendemain matin j’ai demandé à ma mère :
- – Tu es venue dans ma chambre cette nuit ?
- – Non, m’a-t-elle répondu.
Alors j’ai expliqué ce qui m’était arrivé. Elle m’a écoutée puis m’a dit : « Tu as sûrement rêvé . »
J’ai eu beau redéployer ma logique nocturne, rien n’y fit.
J’avais 9 ans.
À cette époque, je recommençais à manger.
La peur et l’inappétence chronique de mon enfance m’avaient juste ouverte, dans l’appartement déserté, au jeu en compagnie de mes poupées. Mais il y avait la fenêtre. Là, il suffisait de s’appuyer contre la rambarde en fer forgé pour retrouver mon plus fidèle ami : l’acacia. Nos entreprenions alors des dialogues entre feuilles et peau, ramures et membres, lumière et regards, nervures et sillons.
Vers neuf ans, je franchis la porte. J’allais jouer avec les autres.
En équilibre sur des patins à roulettes, plaisir d’être avec les copains et de se laisser tirer par cette corde qui nous reliait.
J’étais sous le ciel, les pieds creusant les marelles. Je sautais de la terre au ciel en sept sauts. Je redescendais en allant cueillir le galet que je tiens encore dans ma main.
Pour aller de la terre jusqu’au ciel il me fallait prendre le chemin interdit du catéchisme. À l’encontre de mes parents, je voulais savoir.
Le curé jubilait. Il recueillait une brebis de l’autre pâturage. J’étais le modèle qu’il fallait citer en exemple devant mes condisciples, pendant qu’eux peinaient sur une interrogation écrite. Je ne savais rien de ce qui était enseigné, j’étais de passage. Je plantais ma tente et mes questions informulées puis je repartais.
À ma halte je récoltais quelques livres : la vie de Sainte Bernadette, une histoire de Marie, une médaille miraculeuse de Lourdes trouvée par hasard dans les plis d’un fauteuil. Je regardais les images et lisait les courts textes.
J’allais aussi, les jours de Pentecôte, admirer mes compagnes vêtues de voiles d’organdi, amidonnés juste ce qu’il fallait. Leur voile épousait l’arrondi sur les bas-côtés. De leurs mains, elles basculaient le poignet vers l’arrière et entre leurs doigts pliés, ramenaient le tissu vers l’avant. Souvent des « anglaises » dépassaient du rebord rigide de leur coiffe.
Je regardais défiler cette cohorte de petites mariées entre les bancs de bois. Il faisait toujours beau ce jour-là. Je communiais aux bleus du ciel avec un morceau de brioche bénite.
L’image de Bernadette Soubirous était-elle sortie du livre cette nuit-là ? Avait-elle revêtu la jupe de ma mère pour prier à mon chevet ? C’est ce que l’enfant se demandait. Une image incarnée dans ma mémoire si longtemps après.
La mousse du bain s’est dissoute. La froidure s’insinue. La tête tourne, si peu.
Une chose me dit que je vais vers le centre du cercle. Les traces concentriques se resserrent. J’approche de l’œil du cyclone. Ma mère.
Autre bain, autre temps.
Il pourrait y faire bon, y fait-il bon ? Le liquide doux et chaud m’offre le mouvement facile surtout la nuit lorsque ma mère dort. Elle dort peu. Notre journée commence tôt. À cinq heures elle prend sa chicorée, un peu de pain sans beurre l’époque n’est pas aux fantaisies. Ce moment est assez calme, il me semble la retrouver, mais il est court.
Lorsqu’elle se lève, le léger clapotis qui pourrait me bercer, se meut en orage. J’entends sa voix sourde et grave. Elle m’apprend la journée. Le ciel est tourmenté d’angoisse. J’entends sa peur, le sang des hommes se fracasse en mon antre. J’entends le bruit infâme des canons qui assiègent la flotte, qui sombrent aux ventres des mers entraînant les hurlements des marins. Vais-je sombrer avec eux ?
J’entends les portes qui claquent sur le silence, l’enfermement qui clôt les âmes.
J’entends les proclamations dictatoriales, l’étoile m’empêche de rêver. Elle se clôt, jaune, dans le voile de ma peau. J’entends le ventre de ma mère qui se contracte sous la faim.
J’entends son découragement, je ne veux pas entendre, non, je ne veux pas.
Elle va m’aimer, il le faut. Il faut qu’elle sente que je suis là, que j’ai besoin de sa vie, de son désir de moi.
Garde-moi, ne nous séparons pas.
Ma mère je sais ta vie, je sais la vie de mon père, je sais la vie de nos ancêtres au loin, là où je suis, je sais.
Je sais par la moindre parcelle de ma peau, de mes cellules, de mon sang, de mes nerfs, de ma lymphe, de ma moelle. Ici les mots ne sont pas nécessaires. Je suis dans la connaissance-même, je suis avec elle, je suis elle. Pas de question puisque nous sommes.
Je sais aussi que je ne pourrais te parler de tout cela, ma mère, parce que c’est ainsi. Tu as su toi aussi qu’en ouvrant nos poumons à l’air de cette terre nous ne parlerons plus cette langue-là.
Nous serons muets, vagissants, notre grandeur sera à rechercher notre vie durant.
Chemin aride, inculte, il nous faudra traverser grondements et folies, hébétés, incompris. S’attacher à conquérir la joie pure et minutieuse du simple. Laisser advenir le silenc

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