LA Revelation inachevee
191 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

LA Revelation inachevee , livre ebook

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
191 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Longtemps soupçonné d’être frivole, de cultiver le mauvais goût et d’entretenir chez son lecteur des rêveries chimériques, le roman, au moins depuis Don Quichotte, s’est curieusement retourné contre lui-même au nom de la réalité qu’on lui reprochait de fuir. Ce faisant, il s’est transformé radicalement, bien sûr, en se séparant des vieux romans idéalistes qu’il désignait désormais comme ses ennemis. Mais il est aussi resté, plus discrètement peut-être, fidèle à ses origines, c’est-à-dire au mensonge et à l’illusion dont les romanciers n’ont cessé de réaffi rmer la profonde et secrète nécessité.
Cet essai se présente comme une réflexion sur l’art du roman, et plus particulièrement sur l’ambiguïté du savoir dont cet art est investi ; s’il est vrai que le roman nous apprend quelque chose sur l’homme, il nous apprend aussi et surtout que l’homme n’est pas seulement l’objet d’un savoir. En s’intéressant aux oeuvres de Cervantès, Balzac, Flaubert, Valéry et Kundera, l’auteur entend démontrer que tout romancier, même le plus lucide, concède au personnage le mystère de sa liberté.
Yannick Roy enseigne la littérature au niveau collégial et a publié de nombreux essais dans la revue L’Inconvénient, dont il est l’un des fondateurs. Il est l’auteur de La caverne de Montesinos, un essai sur les personnages de romans qui lisent trop.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 février 2012
Nombre de lectures 1
EAN13 9782760627338
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Remerciements

Je tiens d’abord à remercier François Ricard, qui a dirigé la thèse dont est tiré ce livre ; ses avis ont toujours été éclairants, ses conseils toujours judicieux et sa confiance inépuisable.
Merci aussi à Isabelle Daunais, Alain Roy, Lakis Proguidis et Mathieu Bélisle, interlocuteurs de premier plan dont la passion pour le roman a nourri la mienne, et dont les idées toujours stimulantes m’ont permis tantôt de clarifier ma pensée, tantôt de résister à la tentation d’y voir trop clair – ce qui n’est pas moins appréciable.
Pour leur appui financier, merci au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), au Fonds québécois de recherche pour la formation de chercheurs (FQRSC) et au Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill.
Merci enfin et surtout à Laurence, dont la patience et les encouragements m’ont permis de mener cette entreprise à terme ; ce livre lui est dédié, à elle et à nos deux enfants.
Introduction
Un art indéfinissable

C’est un problème bien connu et pour ainsi dire classique, qu’on ne peut éviter dès lors qu’on entreprend de réfléchir sur le roman : tous les auteurs – théoriciens ou romanciers – qui ont tenté de le définir ou d’en délimiter la frontière ont noté que l’entreprise présentait des difficultés particulières et quasi insurmontables. Aucun ensemble de règles, aucune poétique, aucune exigence formelle ou thématique ne permet d’accoler à une œuvre donnée, avec un degré satisfaisant de certitude, l’étiquette de « roman ». La diversité des conventions sur lesquelles le roman peut s’appuyer, des techniques auxquelles il peut recourir, des thèmes qu’il peut aborder semble devoir décourager tous les efforts en ce sens ; tout se passe comme s’il déjouait sans cesse les attentes qu’on peut entretenir à son égard, comme si, excédant toujours sa propre définition [ 1 ] , il ne correspondait à aucun « signalement » qui puisse nous aider à le reconnaître quand il se présente à nous sous l’une ou l’autre de ses incarnations. C’est peut-être Maupassant qui a le mieux exprimé, dans un passage devenu célèbre de sa préface à Pierre et Jean, cette caractéristique paradoxale du roman, qui est de n’avoir aucune caractéristique :
... le critique qui, après Manon Lescaut, Paul et Virginie, Don Quichotte, Les liaisons dangereuses, Werther, Les affinités électives, Clarisse Harlowe, Émile, Candide, Cinq-Mars, René, Les trois mousquetaires, Mauprat, Le père Goriot, La cousine Bette, Colomba, Le rouge et le noir, Mademoiselle de Maupin, Notre-Dame de Paris, Salammbô, Madame Bovary, Adolphe, M. de Camors, L’Assommoir, Sapho, etc., ose encore écrire : « Ceci est un roman et cela n’en est pas un », me paraît doué d’une perspicacité qui ressemble fort à de l’incompétence [ 2 ] .
Même en raccourcissant considérablement cette liste pour en exclure les livres auxquels on ne se sent pas attaché, même en réduisant l’histoire du roman à une poignée de chefs-d’œuvre choisis pour l’admiration particulière qu’on leur porte, l’ensemble auquel on aboutirait ne pourrait guère présenter qu’une déroutante variété de tons, de styles, de sujets, de dimensions, etc. C’est dire qu’on ne peut chercher à saisir l’essence du roman sur le mode empirique, en faisant l’inventaire de ses formes et de ses contenus dans l’espoir d’aboutir à un dénominateur commun qui permette de circonscrire une catégorie déterminée d’objets littéraires. Une telle approche ne peut mener qu’à une définition dérisoire, comme celle d’Edward Morgan Forster qui, jugeant la question peu intéressante, l’expédie de la manière la plus plate mais la plus juste qui soit, en considérant comme roman « toute œuvre de fiction en prose comptant plus de 50 000 mots [ 3 ] ».
Le roman serait donc, pour ainsi dire, indéfinissable par définition ; mais la formule n’est peut-être pas aussi paradoxale qu’elle en a l’air. En tout cas elle n’implique nullement qu’on déclare forfait en admettant que le mot ne signifie rien, que la chose n’existe pas et qu’il est impossible d’en dire quoi que ce soit ; après tout, Maupassant et Forster parlent d’un art qui, au-delà de la diversité dont ils rendent compte, existe bel et bien – sans quoi il ne serait même pas possible d’en parler. Simplement ce « quelque chose » n’est pas tout à fait un genre littéraire, du moins pas au sens classique et restreint du terme ; le roman se présente plutôt, en face des genres proprement dits, comme une entité essentiellement négative ou lacunaire, comme une sorte de « non-genre » en somme, comparable à une végétation sauvage et foisonnante qui pousserait, en dehors de toute règle et de toute poétique, sur la cité ruinée des belles-lettres. Bakhtine ne dit pas autre chose quand il écrit que le roman « ne vit pas en bonne intelligence avec les autres genres » et que pour cette raison «les grandes poétiques organiques du passé, celles d’Aristophane (sic), d’Horace, de Boileau [...] l’ignorent systématiquement [ 4 ] ». Si l’on veut définir le roman, ce ne peut être qu’en s’appuyant sur cette liberté, cette marginalité, cette sauvagerie mêmes, ce qui suppose qu’on renonce à établir son « signalement » ou à brosser son « portrait » pour essayer, plus abstraitement et jusqu’à un certain point plus intuitivement, d’en saisir l’« esprit », voire la « personnalité ». Il s’agit au fond de renoncer à une certaine lourdeur empirique et d’éviter le piège qui consisterait à poser la question trop directement ; on songe ici à ce que saint Augustin disait du temps, dans le livre XI des Confessions : « Le temps, c’est quoi donc ? N’y a-t-il personne à me poser la question, je sais ; que, sur une question, je veuille l’expliquer, je ne sais plus [ 5 ] . » Il en va pareillement du roman ; le difficile n’est pas tant de le reconnaître que de savoir pourquoi on le reconnaît, et d’expliquer ce qu’il est avec toute la subtilité requise.
Marthe Robert résume assez bien le problème dans Roman des origines et origines du roman :
[Le roman] n’a de loi que par le désir utopique dans lequel il est enraciné, mais ce désir lui-même n’a pas de sens à l’intérieur des conventions littéraires connues, il n’existe qu’aux confins de la littérature et de la psychologie. Là, sans doute, le roman ne dit pas lui-même ce qu’il est, mais ce qu’il veut, ce à quoi il aspire à travers la croissance apparemment arbitraire de ses formes et de ses idées. C’est donc là qu’il faut se hasarder, non pas certes pour l’enfermer une fois de plus dans un code abstrait, mais pour tâcher de retrouver le noyau primitif qui seul peut-être explique sa culture et sa sauvagerie, sa puissance collective, son individualisme, et l’unité profonde qu’il affirme jusque dans sa situation de genre déréglé [ 6 ] .
Choisissant d’orienter son regard « en amont » des romans singuliers, vers le projet ou le désir dont chacun d’eux ne serait que la réalisation partielle et provisoire, Marthe Robert évite l’impasse empirique ou descriptive que je viens d’évoquer et donne avec raison au problème du roman une portée beaucoup plus vaste. Quand Cioran affirme que l’Occident est la « civilisation du roman » et que nous sommes tous les « fils du roman [ 7 ] », il ne fait pas allusion à un genre littéraire au sens étroit du terme, mais à quelque chose de plus subtil, qui ne se trouve pas sur les rayonnages d’une bibliothèque mais au cœur de notre conscience, et dont l’examen relève bien plus de la phénoménologie, de la métaphysique ou de la psychologie, que d’une typologie des genres ; ce qu’il s’agit ici de définir, ce n’est pas un objet, mais un aspect de notre subjectivité, et en ce sens le déplacement de la question auquel nous invite Marthe Robert est parfaitement justifié.
Cependant, la manière dont elle définit cette « personnalité » romanesque me semble légèrement tendancieuse, et ne règle pas entièrement notre problème. Marthe Robert insiste un peu trop, dans son livre, sur le lien qui unit le roman à l’ambition et au mensonge – disons sur l’aveuglement, la folie, l’extravagance du roman –, et tend ainsi à occulter sa part lucide et critique, c’est-à-dire le « savoir » dont l’art du roman serait – c’est l’hypothèse qui me guidera dans les pages qui vont suivre – l’héritier ou le dépositaire. Tout se passe comme si le roman, arraché au domaine restreint des genres littéraires pour désigner une certaine manière d’être, une certaine vision du monde, voire un trait de civilisation, était rattrapé par la mauvaise réputation qu’il traîne depuis ses origines et dont on aurait pu croire qu’il avait réussi à se défaire ; celle qui survit par exemple dans l’épithète « romanesque » quand elle s’applique à une personnalité extravagante ou à une histoire invraisemblable. À cet égard il me paraît fort significatif que l’auteur de Roman des origines et origines du roman ne juge pas nécessaire de distinguer clairement le héros du romancier, et que le fait d’écrire un roman semble se confondre sous sa plume avec le fait de vivre un roman ou de mener une vie romanesque [ 8 ] ; au fond il n’est ici question que du héros, qui dans cette perspective n’est rien d’autre que le prolongement de l’auteur. Marthe Robert traite ce dernier comme s’il n’avait cherché par le recours à la fiction qu’à assouvir ses propres désirs, comme s’il n’était devenu romancier que faute de pouvoir devenir personnage, ou encore comme s’il n’était qu’un héros sans envergure, ayant choisi de prendre la plume plutôt que les armes, mais héros tout de même. Il n’y a pas, chez Marthe Robert, de différence essentielle entre le personnage et le romancier – ce qui, incidemment, est tout à fait conforme aux principes posés par Freud lui-même, dont on sait qu’elle se réclame, et sur qui je reviendrai plus loin.
Or l’esprit du roman tel que je voudrais le définir dans les pages qui vont suivre n’est pas strictement « romanesque », au sens péjoratif du terme. Ce n’est pas seulement, pourrait-on dire, l’abandon au charme du récit, l’adhésion à la cause de ses protagonis

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents