Une maison trop grande
282 pages
Français

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Une maison trop grande , livre ebook

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Description

À Rolleville, on habite les uns près des autres mais on se côtoie peu, on s’observe, de loin... Anna vit dans ce petit hameau et se retrouve seule dans sa grande maison, des chambres vides, inutiles. Elle entraîne sa voisine et amie Claude vers la capitale où elle est persuadée trouver des gens à qui elle offrirait le logis. C’est sûrement une bonne idée.


Paul, l’adjoint, qui occupe la plus grande ferme du village, est confronté à la disparition mystérieuse de son épouse. La police mène l’enquête et nul n’est épargné par les soupçons.


Ti-Jean veille et surveille les déplacements de tout un chacun, témoin silencieux et bienveillant.


Et puis il y a Jeanne-Marie, la voisine de Ti-Jean, Héloïse et Anaïs, les filles de Paul, Brice, le fils d’Anna, inséparable de son ami Johnny...


Un roman qui se déroule au sein d’une mini-société, ce petit village campagnard de Rolleville qui rassemble des habitants ordinaires ou pas, leurs secrets, leurs obsessions et leurs attentes. Leur vie quotidienne prendra parfois un tournant inattendu, surprenant. Laissez-vous transporter dans l’imaginaire de l’autrice à la découverte de cette tranche de vie, au milieu des gens.


Une maison trop grande est le troisième roman de Robbie Schwelle, des personnages qui pourraient être vos amis, vos collègues ou vos voisins, des êtres comme vous et moi.



Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 avril 2019
Nombre de lectures 14
EAN13 9782372225151
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Robbie Schwelle
Une maison trop granqe Roman
© Robbie Schwelle Bookless Editions Tous droits réservés Février 2019 Isbn : 9782372225137
1 – Pierre meurt, Anna est seule Anna était veuve depuis peu. C'était le cœur qui av ait lâché pendant l'anesthésie. Pierre avait été hospitalisé pour une opération bén igne de la vésicule et n'était pas ressorti vivant. Elle ne s'y attendait pas, personn e ne s'y attendait. Elle aurait dû se sentir soulagée, depuis le temps qu'ils ne se supportaient plus. Ils vivaient côte à côte, mais proscrivaient toute acti vité commune. Du moins, elle refusait la plupart du temps qu'il s'inscrive aux mêmes atel iers qu'elle. Elle faisait partie d'une chorale, elle aimait le c hant. Il l'accompagnait et faisait, lui aussi, partie des choristes. Il chantait faux et fa isait des commentaires dont elle avait honte. Il tentait de faire rire ses amies avec des blagues qui n'amusaient que lui. Elle lui avait un jour posé un ultimatum : soit il arrêtait de venir avec elle, soit elle faisait grève de la cuisine. Incapable qu'il était de se préparer un repas, il avait capitulé. Eh bien malgré cela, elle l'avait pleuré, sincèreme nt. Pleuré comme jamais elle n'avait cru en être capable. En fait, elle n'était pas sûre de la vraie nature de son chagrin. Elle pensait plutôt que ce décès avait libéré le flot de larmes qu'elle avait bloqué en elle depuis toutes ces années. Ces années qu'elle avait passées à s'opposer à lui, à s’ingénier à vivre sa vie malgré tout. Ça avait dur é au moins vingt ans... Elle avait maintenant presque soixante-dix ans et était enfin libre, libre de ses actes, libre de décorer sa maison comme elle l'entendait, libre de faire partie de toutes les associations qui l’intéressaient sans qu'il lui dem ande des comptes. Et pourtant, elle se sentait vide de toute envie. Tout cela n'avait plus d'intérêt s'il n'était pas là pour râler. Après les obsèques, elle avait regagné sa maison, s eule. Les enfants habitaient loin, ils devaient repartir. Elle avait préféré que ce soit a insi et tout le monde l'avait compris. La maison lui paraissait immense. C'était une grand e battisse, construite en forme de L, sans grand charme. Une mezzanine surplombait l'entr ée principale, inutile. Elle avait toujours rêvé d'une mezzanine et il avait fini par accepter, sans chantage cette fois, mais il ne lui avait pas laissé faire la décoratio n qu'elle souhaitait. Ils n'étaient jamais parvenus à se mettre d'accord à ce sujet, si bien q ue les murs étaient restés bruts, sans aucun revêtement, ni même une couche de peintu re. On pouvait voir les bandes plus foncées que constituaient les joints entre les plaques de plâtre. Elle aurait pu faire venir un peintre, plus rien ne s'y opposait. Elle tardait à se décider. La maison comportait cinq chambres. Cinq chambres p our une femme seule. Ridicule ! Quand Pierre était encore en vie, deux d’entre elle s étaient occupées. Ils faisaient chambre à part depuis longtemps. C'était elle qui e n avait pris l'initiative. Elle ne supportait plus qu'il la touche, ni même qu'il la f rôle, au point d'avoir d’insupportables insomnies. Il avait parfois tenté quelques approche s, sursauts de libido endormie depuis plusieurs années. Elle l'avait à chaque fois rabroué. Elle s'était promis que jamais, plus jamais ça avec lui. Avec un autre, pou rquoi pas ? Elle ne pensait en aucun cas être devenue frigide, mais il aurait fallu que l'occasion se présente. Elle l’exécrait trop pour pouvoir jouer la comédie et le satisfaire . La seule visualisation de la scène provoquait chez elle un profond dégoût. En rentrant ce jour là, elle avait visité sa propre maison, presque comme si elle la découvrait pour la première fois. Qu'allait-elle fa ire de tout cet espace inutile ? Elle ne voulait pas déménager, elle se sentait bien dans so n village. Mais dorénavant, il faudrait qu'elle gère la maison et aussi le jardin. C'était Pierre qui s'en occupait auparavant, elle allait devoir s'y mettre. Il n'éta it pas très grand, mais suffisamment pour vous prendre quelques heures par semaine. Elle s’of frirait sans doute les services d’un jardinier à condition que cela n'ampute pas trop so n budget. Oh et puis ça ne devait pas être si compliqué, elle allait essayer. Après quelques jours, la solitude du soir devint pe sante. Même s'ils ne vivaient plus en
grande harmonie, la seule présence de l'autre suffi sait à garder une certaine sérénité. Elle s'abrutissait de télé, regardait tout et n'imp orte quoi, séries, infos, reportages, films, jusqu'à une heure avancée de la nuit. Et le matin, elle avait tout le mal du monde à s'extraire des couvertures. Elle se forçait à ne pa s dépasser 10 heures, même si elle n'avait rien de particulier à faire. Un soir, sur une chaîne d'infos, elle tomba sur un reportage sur la vie des S. D. F. à Partèce. Ils étaient de plus en plus nombreux, de n ationalités diverses, beaucoup venaient de pays de l'est de l'Europe, mais aussi d 'Afrique, et bien sûr, bon nombre de nos compatriotes faisaient partie de cette populati on. Une idée germa dans son cerveau. Et si elle recueil lait une famille dans sa grande maison ? Il y avait largement la place à loger un c ouple et ses trois, quatre, voire même cinq enfants ! Comment faire pour proposer son offre ? Les sans-to it lisent-ils la presse ? Vont-ils dans les cybers cafés surfer sur le net et ont-il a ccès aux petites annonces postées sur le bon coin ? Probablement pas. Il fallait qu'elle se rende sur place. Quelques mots et son numéro de portable sur une affichette suffiraie nt. Les quais de Sibelle, ou le canal S t Georges, place de la Liberté, ou bien d'autres l ieux encore. Il y avait l'embarras du choix. Les S.D.F. avaient-ils un téléphone portable ? Afficher son numéro sur tous les murs de Partèce n'était pas forcément une bonne idé e. Elle irait plutôt les voir, leur parler. Ainsi, elle se rendrait compte de l'enthous iasme que démontraient ces gens. Elle ferait une sorte de casting improvisé. Et si elle t ombait sur des gens sans foi ni loi qui lui prenaient tout ? Et s'ils la torturaient pour a voir son numéro de carte bleue ? L'idéal serait de trouver un couple qui ferait de l'entret ien en compensation de l'hébergement. Était-ce bien raisonnable ? Supporterait-elle des enfants turbulents dans sa maison ? Elle en parlerait à ses amies les plus proches, leu r demanderait des conseils. Dans sa tête, elle rédigeait son annonce : « Femme possédant grande maison, peut loger famille contre bons soins ». Elle devrait peu t-être rajouter « vieille » devant femme pour ne pas attirer tous les détraqués du coin. Non , il fallait que ce soit plus impersonnel : « Offre toit pour famille qui n'en a pas. Appeler au... » Ce serait mieux qu'ils soient en règle avec la loi, mais ce ne sera it pas facile de poser la question du style : « Vous avez des papiers ? » Ça, elle ne pou vait l'envisager. Tant pis, elle prendrait le risque. Elle expliqua donc sont projet à ses deux amies de chorale, Maryvonne et Claude. Maryvonne pensa tout simplement qu'elle était tombé e sur la tête. Elle disposait elle-même d'une demeure trois fois plus grande que celle d'Anna, mais n'aurait jamais pu avoir une telle idée. « Des mendiants chez toi ! Qu elle horreur ! » Maryvonne payait l'impôt sur la grande fortune mais ne faisait jamai s ni don, ni acte de bénévolat. Tous les biens de la famille se transmettaient de généra tion en génération, et il ne saurait en être autrement. Elles avaient en commun leurs goûts culturels et leur passion pour le chant. Leur amitié tenait à ça, rien d'autre. Quant à Claude, elle trouva cette idée plutôt bonne et était partante pour aider Anna à rechercher « la bonne famille ». Ouf, elle avait au moins une alliée. À deux, elles se sentiraient plus fortes pour aborder les gens dans la rue.
2 – Investigations à la capitale Un beau matin de septembre, munies d'un sac à dos c ontenant leur pique-nique, elles prirent le train pour Partèce. Anna avait trouvé l'adresse d'une association sur l e net et avait appelé. Elle avait exposé son projet et on lui avait conseillé de pass er pour s'expliquer. Le bureau était situé à proximité de la gare, elles pourraient s'y rendre à pied. C'était un petit local qui ne payait pas de mine, c oincé entre un garage et un livreur de pizza. Il fallait vraiment connaître pour le remarq uer. Seule une affiche apposée sur la porte, manifestement imprimée avec les moyens du bo rd, indiquait « Sans toit », nom de l'association. Anna franchit l'entrée, suivie de son amie. Une personne était assise derrière un minuscule bur eau. Elle faisait penser à « Zézette » dans « Le père Noël est une ordure ». - Bonjour. Je vous ai appelé. J'ai un projet concer nant l'hébergement d'une famille défavorisée.. - Ah oui, j'appelle Bernard, notre président. Il ve ut vous rencontrer. Elles patientèrent quelques minutes et un barbu, ch evelu (sans habit de Père Noël), se présenta à elles. - Bonjour, désolé de vous avoir fait attendre. Je s uis le président de « Sans toit ». Venez, on va s'installer dans mon bureau. La pièce ou Bernard semblait officier était jonchée de dossiers énormes. Elles durent en déplacer quelques-uns afin de libérer deux chais es. - On vous a expliqué mes intentions ? - Oui, justement. On peut en parler ensemble ? Votr e projet est très louable, mais vous devez comprendre que ça ne va pas être facile à réa liser. - Ah bon ? Et pour quelles raisons ? - Vous savez combien il y a de familles dehors ? - J'en ai une idée approximative, oui. - Des milliers, il y en a des milliers. Alors comme nt faire un choix ? Pourquoi telle famille plutôt que telle autre ? Nous n'avons pas l e droit de faire ça. - Je pense que ça doit être facile, à votre niveau, de repérer une famille parmi les plus démunies, non ? - Elles le sont toutes vous savez. À partir du mome nt où vous vivez dans la rue... Et vous avez envisagé le fait que ces gens puissent se révéler invivables ? Vous ferez quoi ? Vous les remettrez sur le trottoir et choisirez d'autres candidats ? - Je ne pense pas être capable de tant de cruauté. Le ton commençait à monter. - Vous pensiez qu'on allait vous organiser un casti ng et vous pourriez opter pour le S.D.F. parfait, bien sous tous rapports ? Anna se sentit passablement vexée, voire même humil iée. Il cherchait à la faire culpabiliser. Elle avait tout imaginé, sauf ça. - Eh bien je me passerai de vos services. - Vous pouvez comprendre mon point de vue, non ? - Je comprends surtout que vous préférez priver une famille d'un hiver passé au chaud, dans le confort de ma maison. Il ne répondit pas et les invita à prendre congé. - Désolé Mesdames, je suis conscient que ça partait d'un bon sentiment, mais je ne peux pas vous aider. Vous n'avez pas le droit de ch oisir et moi non plus. Cette dernière phrase pénétra dans la tête d'Anna c omme un coup de poing qu'on lui aurait asséné. Elles se retrouvèrent dans la rue, h agardes. Elles regagnèrent machinalement le bord de la Sibelle où elles s'affa lèrent sur un banc.
Anna se sentait subitement épuisée. - Je suis trop naïve. Mon idée relève de l'utopie, ce mec a raison. - Je ne crois pas que tu doives baisser les bras An na. Il n'a pas tout à fait tort, mais c'est peut-être notre approche qui ne colle pas. Claude était la bonté même et cherchait toujours à encourager et à remonter le moral de son amie. - Il existe certainement d'autres associations où l 'on peut s'inscrire et proposer ses services. - Probablement. Je regarderai sur le net. Le fleuve s'écoulait devant leurs yeux, perdus dans les vaguelettes qu'un bateau-mouche avait laissées derrière lui. Il était midi, alors elles sortirent leurs sandwich es. La déception avait ôté tout appétit à Anna. C'est alors qu'il surgit, d'on ne sait où, il n'y a vait pas grand-chose aux alentours. Il devait être dissimulé dans l'ombre du pont situé ju ste à côté sur leur gauche. - Pain, madame, pain. - Du pain ? Tu veux du pain ? Tu as faim ? Anna était déjà en train de partager son sandwich e t lui en tendit une partie. Il l’attrapa rapidement et mordit dedans. Il lui fit un signe en guise de remerciement et allongea à nouveau la main : - Euros ? - Tu es seul ici ? - Non pas seul, famille avec. Il avait dix ans, tout au plus. - Et il est où le reste de la famille ? Il tendit le doigt pour montrer le pont. - Mama. Euros madame ? Les deux femmes se regardèrent, la même idée german t dans leur cerveau. - Emmène-moi, j'aimerais bien parler à ta maman. Il hésita, méfiant. - Ne t'inquiète pas, je voudrais juste vous aider. - Aider nous ? Il se débrouillait apparemment assez bien dans notr e langue. Il regarda fixement Anna, droit dans les yeux, comme s'il essayait d'y décele r toute malice. Elle s’appliqua à le mettre en confiance. - Tu t 'appelles comment ? - T'appelles ? - Oui, ton prénom ? Moi, c'est Anna. Et voici Claud e mon amie. - Moi, Dimitri. - Ok, Dimitri. Tu me conduis à Mama ? Il se mit en route, elles lui emboîtèrent le pas. Elle était là, à l'entrée du pont, assise par terre . Elle tenait dans ses mains un morceau de carton recouvert d'une écriture tout juste lisib le, implorant la pitié de ceux qui prendraient le temps de lire. Ils échangèrent tous deux quelques paroles dans leu r langue. Il lui expliquait probablement qu'Anna voulait lui parler. - Vous parlez français Madame ? - Un petit, oui. - De quel pays venez-vous ? - Ralonie. - Et vous logez où quand vous n'êtes pas ici ? Il ne semblait pas que la femme et son fils vivent en permanence sous ce pont, aucune affaire ne traînant près d'elle. - La forêt, là-bas.
- Vous avez d'autres enfants ? - Oui, avec mari, dans la cabane. - Combien d'enfants ? - Trois enfants, et lui. Elle la tenait sa famille ! Tous les critères étaie nt réunis. Comment expliquer son projet sans les braquer, sans les effrayer ? La femme se leva. Elle n'était pas très grande. Un fichu encadrait son visage et cachait ses cheveux que l'on devinait blonds, comme ses sou rcils. Quel âge pouvait-elle avoir ? Difficile à dire, 40 ou 45 ans ? Ses traits semblaient avoir été prématurément durcis. Ses vêtements, amples et sans forme, aux couleurs passées, enveloppaient son corps dont on ne pouvait deviner les contours. Pourtant, quelque chose dans son regard faisait qu'elle était agréable à regarder, malgré toute la misère qu'elle dégageait. Anna lui tendit la main. La femme n'était pas habit uée à ce geste envers elle et ne sut que faire. - Je peux peut-être vous aider, vous héberger pour quelque temps, si vous le désirez. - Héberger ? Moi pas connaître. - Je peux vous prêter une partie de ma maison, vous loger. Silence. Elle ne semblait pas comprendre. Elle bais sait les yeux. - Mais pourquoi ? Nous devoir payer ? Vous hôtel ? - Non, j'ai une grande maison et je vis seule. J'ai beaucoup trop de place. Je veux aider une famille comme la vôtre. Votre mari sera d'accord ? Elle haussa les épaules. Anna pensa qu'elle se méfi ait. Ils avaient dû se faire avoir déjà par des marchands de sommeil. Dimitri était déjà reparti tenter sa chance vers un groupe de touristes qui longeait la Sibelle. - On peut aller voir votre mari ? - Vous habitez ville ? Partèce ? - Non, j'habite en campagne. À une heure de Partèce Elle ne fit aucun commentaire. Préférait-elle la vi lle ? - Vous habitiez en ville en Ralonie ? - Non, campagne, puis ville pour travail. Mais pas de travail. Devoir partir. Mari paysan. - Ah bon ? Vous aviez des terres ? - Oui mais devoir partir car pas payer loyer. Anna repartit à la charge : - C'est loin d'ici votre cabane ? - Marcher une heure. Mais pas encore l'heure rentre r. Nous devoir apporter argent et nourriture. - Nous pouvons vous aider pour ça. Son visage devint soudain très grave et se ferma. D es larmes perlaient à ses yeux. - Votre mari risque de vous punir, c'est ça ? - Non non non, pas ça. Lui très gentil. Mais il fau t trouver manger pour toute la famille. Difficile. - Je comprends. Mais si vous veniez habiter avec mo i, ça deviendrait facile. Pour vos repas de ce soir et demain, on va prévoir. Hein, Cl aude, qu'est-ce que tu en penses, on peut s'arrêter en route faire quelques courses ? On y va, on va voir votre mari, vous êtes d'accord ? - Si toi vouloir, oui. C'était une réponse sans enthousiasme, comme à contrecœur. Elle appela son fils. Le petit groupe se mit en marche. Elle s'appelait Silvia. Elle connaissait parfaiteme nt le chemin pour rejoindre leur abri de fortune. Claude suggéra de prendre le métro, mais S ilvia refusa. Elle détestait. Elle avait ses repères dans les rues. Ils traversèrent d es beaux quartiers, comme aucun d'un d'entre eux ne pourrait jamais habiter. Anna s e dit que les mètres carrés superflus
devaient foisonner dans le coin. Ils s’arrêtèrent d ans une supérette. Silvia choisit des aliments basiques et simples à préparer. Après une petite heure de marche, ils gagnèrent l'o rée d'une forêt, célèbre pour les activités de débauche qui s'y déroulaient, parcouru rent une grande allée, puis s'enfoncèrent dans les sous-bois, à l'abri des rega rds. Claude et Anna admiraient la facilité avec laquelle Silva se repérait. Elles aperçurent bientôt des tentes plantées dans u n semblant de clairière. C’était cela qu'elle appelait « cabane ». La famille de Silvia n 'était apparemment pas la seule à vivre là, les habitations précaires étaient nombreu ses. Des fils étaient tendus entre les arbres, du linge terne finissait d'y sécher. - Nous avoir chance, trois cabanes. On avait du mal à imaginer comment six personnes po uvaient arriver à vivre à plein temps dans ces trois minuscules toiles, de celles q ue l'on jette pour les monter. Dimitri courut devant elles, en direction du campem ent, plein de vie. - Mon mari repos. Elle l'appela. Il s'extirpa avec difficulté de sa c ouche. C'était un homme de petite taille, très brun. Il po rtait lui aussi des vêtements élimés. Son regard ne semblait pas hostile, comme l'avait c raint Anna. La pauvreté et les privations avaient sûrement contribué à son amaigri ssement et au fait qu'il soit légèrement voûté. Il parlait français couramment, m ieux que Silvia, cela faciliterait les échanges. Avant tout, cet homme s'excusa, sans rais on, à trois reprises. Il avait honte, tellement honte, cela ne faisait aucun doute. - Bonjour Monsieur. Nous avons une proposition à vo us faire, pour vous et votre famille. Les autres enfants ne semblaient pas être là, pas d ans les tentes en tout cas. Les restes d'un feu de bois jouxtaient la toile dont il était sorti. C’était certainement là qu’ils cuisinaient. Anna avait dit : « Nous avons une proposition à vou s faire ». Elle avait inconsciemment associé son amie, pensant qu'ils seraient plus en c onfiance que si cela venait de la volonté d'une seule personne. Peut-être croiraient- ils à une sorte d'institution qui les prendrait en charge ? Et puis elle en avait besoin de ce « nous ». Depuis la mort de Pierre, elle ne disait plus jamais nous, elle faisa it tout en « je », inévitablement. Elle avait besoin de sentir qu'on approuvait sa démarche et elle ne donnait pas vraiment le choix à son amie. Elle expliqua au mari. Silvia se contentait de le r egarder et attendait sa réaction. Était-elle elle-même conquise ? On n'aurait pu le dire, e lle ne laissait rien transparaître de ses sentiments. Anna leur précisa qu'elle leur laisserait le temps qu'il leur faudrait pour prendre leur décision. Il fallait qu'ils en discutent. Victor, c 'était le prénom de l'homme, posa quelques questions, mais on sentait que ce n'était pas un homme très loquace, un taiseux. Que feraient-ils une fois chez elle ? Y av ait-il du travail pour eux dans son village ? Comment devraient-ils la rembourser ? - Je vous réserve l'entretien du jardin. Depuis que mon mari est décédé, il est à l'abandon. Silvia pourra m'aider à la maison et les enfants pourront aller à l'école. Je me renseignerai. - Vous savez, nous pas avoir droit travailler. Je v eux pas que vous avoir ennuis. - Ne vous inquiétez pas. Je prends le risque. Je po urrais vous aider dans vos démarches. Silvia rassembla les enfants. Ils étaient apparus u n peu plus loin, sortants des fourrés, des bâtons dans les mains en guise d'épée. Quelques cannettes métalliques traînaient çà et là autour des habitations de fortune, de la b ière bon marché. Anna se surprit à penser qu’il n’était pas impossible que le mari ait un penchant pour l'alcool. Était-ce pour cette raison qu'il était couché ? Non, il n'av ait pas une tête d'alcoolique, elle voyait le mal partout. Silvia présenta toute sa petite famille aux deux fe mmes : Alexandru, à peine plus jeune
ue Dimitri, puis suivaient Nora et le plus jeune, I van, petit bonhomme d'à peine trois ans. Ils n'étaient pas sales, pas trop chétifs avai ent les cheveux coiffés. Anna se demandait comment ce couple arrivait à ce résultat avec le peu d’objets qu'ils avaient  à leur disposition. Elle leur parla dans sa langue , leur expliquant qui étaient ces deux personnes qui débarquaient dans leur espace. Les en fants écoutaient sagement, Alexandru semblait très enthousiaste et posait des questions auxquelles Silvia répondait calmement. - Nous ne voulons pas vous brusquer, ni vous forcer . Nous reviendrons la semaine prochaine et vous nous direz ce que vous avez décid é. Entendu ? - Oui nous devons discuter, affirma Victor. - Moi venir avec toi. Alexandru lui prenait la main. - Mais non, bientôt peut-être. Mais aujourd'hui, tu dois rester avec papa et maman. Anna et Claude regagnèrent la bouche de métro la pl us proche. Elles avaient suffisamment marché pour cette journée. - Ça ne t'embête pas, je t'ai associée d'office dan s ma démarche. J'ai eu le sentiment que nous serions plus crédibles à deux. - Non, tu as bien fait. D'ailleurs je suis prête à participer. Tu me diras ce que je peux faire pour t'aider. - Volontiers, mais tu sais, ce n'est pas gagné, je ne suis pas sûre du tout qu’ils acceptent.
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